En déposant un préavis de grève sur la table du gouvernement, l’Union nationale des travailleurs du Mali (Untm) entend croiser le fer avec le pouvoir. Si cela n’a rien d’inédit dans un pays où les travailleurs sont sans cesse brimés, c’est tout de même une première pour deux hommes, leur baptême du feu à la tête d’institutions différentes. Ce sont là deux élus.
L’un aux commandes de la plus grande centrale syndicale du pays pour défendre les intérêts existentiels des travailleurs, l’autre à la tête de l’Etat pour défendre les intérêts supérieurs du peuple malien. Elus à quelques mois d’intervalle, leurs institutions respectives, l’Untm pour Yacouba Katilé et l’exécutif pour IBK, vont devoir s’affronter. Tout oppose ces deux hommes.
Le syndicaliste a démontré partout où il est passé qu’il sait mettre de l’ordre dans les choses. C’est grâce à lui que les locaux du bureau des produits pétroliers, où il a installé ses quartiers, sont devenus une vitrine avec des parkings pour engins à deux ou quatre roues, qu’un service d’accueil et d’orientation a été ouvert pour le plus grand bénéfice des usagers. C’est grâce à lui aussi que les travailleurs de ces locaux, grâce à un système de sécurité, sont protégés contre les vandales et autres agresseurs.
Un syndicaliste engagé
Ces initiatives du secrétaire général du syndicat national des douanes lui ont valu d’être élu à la tête du syndicat national des travailleurs des administrations de l’Etat (Syntade), le plus gros syndicat du pays. Là également il a démontré ses talents de balayeur de désordre et de restaurateur d’ordre. C’est tout naturellement qu’en avril dernier il a été élu à la tête de l’Untm. Aujourd’hui, lui et ses camarades du bureau semblent être décidés à mettre en œuvre les recommandations du dernier congrès ordinaire qui les a élus. Ils entendent, comme à leur habitude, mettre de l’ordre dans le monde du travail. Un monde en grogne contre le chef de l’exécutif.
Aux dires de certains de ses militants, l’Untm a pourtant longtemps attendu avant de déclencher les hostilités, comprenant les difficultés que traverse un pays qui tarde à sortir de la catastrophique crise sécuritaire, politique et institutionnelle qu’il vit depuis janvier 2012. Selon eux, leur centrale avait privilégié la voie du dialogue et proposé leur aide au pouvoir. Pour cela, ils ont sollicité des autorités qu’elles les reçoivent afin qu’ensemble ils discutent de ce qu’il convient de faire pour sauver tout le Mali. Mépris ou ostracisme, ils n’ont pas été entendus.
Ce qui était prévisible de la part de l’administration IBK qui a choisi comme mode de gouvernement la sourde oreille et la marche à l’aveuglette. Depuis son accession au pouvoir, IBK est présenté comme n’écoutant personne. Pourtant, il aurait dû avoir la carrure d’homme d’Etat au vu de son long et riche parcours : ambassadeur, conseiller du président de la République, ministre, Premier ministre, député président de l’Assemblée nationale. En outre, il a été le président de l’Adema au moment où ce parti était la plus grande formation politique de ce pays. Il est vrai que c’était aussi au moment où ce parti cultivait la morgue et l’insolence, le mépris des autres aussi.
Pendant tout son parcours politique, l’homme a eu droit aux qualificatifs flatteurs d’intransigeant, ferme, pugnace. Au milieu des années 90, ce sont ces qualités qui lui ont valu de perdurer au sommet. Près de vingt ans plus tard, c’est aussi grâce à ça qu’il a été élu par le peuple malien.
Des politiques sourds
Ce sont là donc deux hommes de tête qui devront s’affronter. Le syndicaliste fera tout pour la satisfaction des revendications des travailleurs. Sont déjà nombreux ou en voie de recrutement ceux qui seront tentés de battre campagne pour Koulouba, sous prétexte que le pays vit des moments difficiles et que le gouvernement a besoin de solidarité. Mais est-ce la faute des travailleurs si pendant qu’ils sont confrontés à la cherté de la vie, à l’inflation des prix, à la précarité de l’emploi, aux difficultés d’accès aux soins de santé ou aux services sociaux de base, les autorités se lancent dans des dépenses dont la seule utilité est le prestige et le confort de quelques personnes ? Non ! Le président, même s’il a bien galéré après sa disgrâce, n’aurait pas dû se laisser « trimballer » par la tentation au lieu de s’attacher à la résolution des problèmes pour lesquels il a été élu.
Ce n’est pas la faute des travailleurs si les institutions de la finance internationale et les partenaires techniques et financiers ont décidé de mettre fin à la récréation moins d’un an après l’accession d’IBK au pouvoir.
De même, à ceux qui disent que ce n’est pas le moment, cette question : faudrait-il attendre de mourir de faim pour réclamer à manger ? Non ! Il n’y a pas de moment pour lutter contre la faim et le dénuement, ce sont des questions de survie.
Et les autorités gagneraient beaucoup à écouter les cris de détresse. Elles ont bien voulu s’asseoir sur la même table que des criminels de tous genres pourquoi ne pas écouter les représentants des travailleurs ? Parce que ceux-ci n’ont pas pris les armes pour tuer, violer, voler et piller ?
Les travailleurs viennent de prendre les armes, l’arme fatale qu’est la grève, et qui est tout aussi dévastatrice que les Kalachnikovs et les roquettes, qui est aussi la meilleure arme contre la mal gouvernance.
Cette arme ne crépitera que pendant deux jours, les 21 et 22, mais ces quarante-huit heures suffiront pour faire passer le message. Sera-t-il entendu ? Forcément, même pour les champions de la sourde oreille, car pour s’acheter un Boeing ou se construire un palace privé, il faudrait bien que le travailleur sue et souffre. Or celui-ci vient de décider de ne plus engraisser personne à la sueur de son front. Les dirigeants seront donc obligés de dialoguer même si c’est pour aboutir à des promesses qui ne seront pas tenues. Comme ces promesses de campagne.
Cheick TANDINA