Pour juguler les crises successives dans le domaine du travail, le gouvernement, avant même le début de la Transition, avait émis la volonté d’organiser une «conférence sociale». Après moult péripéties, il a pu réunir en octobre 2022, durant 6 jours au CICB, les acteurs du monde du travail pour une conférence sociale qui a formulé 139 recommandations. Parmi lesquelles, le pertinent Pacte de stabilité et de croissance sociale entre le gouvernement et les syndicats. Bien qu’une mouture soit élaborée, sa validation ainsi que sa signature restent curieusement en stand by.
La conférence devrait amener plus de stabilité dans le pays et alléger le front social à travers l’effectivité de la mise en route d’un pacte de stabilité et de croissance. Les centrales syndicales, bien qu’elles aient toutes participé à ces assises pour sortir une mouture et parfaire les recommandations de part et d’autres, restent réservées pour certaines d’entre elles. L’ambiguïté plane donc sur ce projet de stabilité. Les centrales syndicales sont-elles de bonne foi ? Leur soutien à la transition est-il de façade ? Regards croisés de centrales syndicales qui ne semblent pas sur la même longueur d’ondes.
Issa Bengaly, secrétaire administratif de l’UNTM : ‘’La validation de ce pacte est liée aux observations faites’’
Par rapport au pacte de stabilité et de croissance, le ministère avait appelé les partenaires sociaux à participer à l’élaboration du texte. Donc, toutes les centrales ont été représentées comme le patronat également. Au cours de cet atelier, un projet de pacte a été établi. Maintenant, ce projet a été soumis encore à l’appréciation des différentes centrales et du patronat pour observation. Je pense que nous sommes à cette phase. Une date était déjà fixée pour aller à l’atelier de validation.
Mais, nous avons dit que ça ne serait pas comme ça. Il faut donner encore la mouture aux différentes centrales pour voir ce qu’on peut corriger avant d’aller à l’atelier de validation. Une fois ces suggestions prises en compte, cela faciliterait l’atelier de validation. L’UNTM a envoyé déjà ses observations. Les autres centrales aussi y participent, mais timidement. J’ai appris que des centrales souhaitent que leurs doléances soient prises d’abord en compte pour qu’ils participent à l’atelier de validation.
Donc, ça vous dit déjà qu’il y a un avant-projet qui est élaboré et qui attend sa validation. Cette validation est donc liée aux observations qui devraient être faites par les différentes centrales. L’UNTM aussi a fait les siennes. Une fois qu’elles sont prises en compte, on ira à l’atelier de validation organisé par le ministère et la signature du document viendra après.
Djibril Diallo, responsable de la communication de la CMT : ‘’Si chaque partie respectait ses engagements, le pays serait stable’’
Le ministère du Travail et de la Fonction publique, celui des Finances, la Direction nationale du travail, ont pris part aux processus avec les centrales syndicales pour l’élaboration de ce pacte, dont la concrétisation pourrait amener une stabilité nette dans le pays. C’est un pacte dans lequel les engagements des uns se trouvent être les obligations des autres. Ce qui fait que l’ensemble des questions y ont été traitées. Si chaque partie respectait ses engagements qui sont condensés dans ce document, nous serions dans les 5 ans à venir dans un pays stable où il n’y a pas de quiproquos» a prédit Djibril Diallo, participant lui aussi à l’élaboration au nom de sa centrale (CMT).
Si les centrales syndicales, le patronat, et l’Etat respectaient leurs engagements, alors il n’y aura aucun problème, le pays connaitra une certaine stabilité sociale. Sauf que, la concrétisation du pacte, notamment sa validation et son seing restent en suspense. Djibril Diallo révèle : « nous avons reçu une lettre du ministère il y a deux mois, nous conviant à un atelier de validation qui doit être fait pour la simple et bonne raison de vérifier les engagement des uns et les obligations des autres. Dès que cet atelier l’aura validé, c’est en ce moment qu’on pourra procéder à la signature du document ».
En revanche, « je crois que certaines centrales ont émis des soucis. Moi ma centrale sachant bien que nous sommes dans un pays à gestion exceptionnelle. Or tout pays à gestion d’exception mérite qu’on aille à des mesures d’exception. Chacun devra mettre de l’eau dans son vin, dans le strict limite de l’acceptable ».
Mamary Bagayoko du CDTM : ‘’Le pacte oui mais il faut des préalables’’
Pour Mamary Bagayoko de la Centrale Démocratique des Travailleurs du Mali (CDTM), les revendications des centrales syndicales ont différentes formes. Bien sûr, le pacte social est une bonne initiative et toutes les centrales se retrouvent dedans. Qu’à cela ne tienne, il faut des préalables. La CDTM souhaite la prise en compte préalable des anciens accords. A l’en croire, le gouvernement veut aller aujourd’hui vers un nouveau contrat social. La CDTM est engagée avec les partenaires sociaux ainsi que les autres centrales pour ce projet de stabilité et de croissance. Donc, il requiert l’adhésion de tous les syndicats et la stabilité sociale et la puissance de notre économie en dépend.
Mais, le gouvernement doit aussi voir les propositions faites avant. La CDTM avait avec le gouvernement des accords qu’elle souhaite être pris en compte. Parmi lesquelles, la valeur indiciaire proposée à 1000 FCFA. Depuis, le gouvernement n’a fait aucune réaction encore moins une proposition. Malgré cet état de fait la CDTM reste dans la logique du pacte social et le dialogue continue, affirme M. Bagayoko. Au cours de la conférence de presse du 1er mai, il avait dit que le département du travail ne saurait réussir cette mission de stabilité sans l’engagement des camarades de la CDTM et des autres centrales syndicales.
Le représentant de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM) du fait d’’un cas social, n’a pu croiser son regard avec ceux de ses camarades des autres centrales. Son point de vue dans le prochain numéro. A suivre
Drissa Togola & Ousmane Tangara
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Issoumaïla Cissé, Professeur en psychopédagogie : «Ce qu’il faut pour corriger les difficultés d’apprentissage »
Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Issoumaïla Cissé, Professeur en psychopédagogie, spécialiste en difficultés et troubles d’apprentissage et coordinateur de l’école Papyrus, explique les difficultés rencontrées par les enfants soit en lecture, en écriture ou en calcul à l’école. Ce pédagogue chevronné nous invite à prendre l’avenir de nos enfants en main. Car même décideurs, nous sommes avant tout des parents d’élèves.
En parlant de pédagogie, quelles sont les difficultés qu’un apprenant peut rencontrer ?
Les troubles d’apprentissage rencontrés par un enfant sont ce qu’on appelle les troubles spécifiques d’apprentissage. Parce qu’il y a plusieurs troubles : trouble psychologique, neurologique…Les troubles spécifiques d’apprentissage sont ceux que l’enfant connaît dans une discipline ou dans une matière. Les plus connus sont la dyslexie, la dyscalculie, la dysorthographie et la dysgraphie.
On parle de dyslexie quand l’enfant a des difficultés à lire en classe. La dyscalculie est relative aux difficultés rencontrées par l’enfant à reconnaître les nombres, à s’en rappeler, à faire des calculs. Quand l’enfant a des difficultés en orthographe, à bien écrire les mots, on évoque la dysorthographie. Par exemple, vous dites ‘’éléphant’’ et l’enfant écrit ‘’éphant’’ ; ‘’téléphone’’ ; il écrit ‘’télévision’’… Parfois il écrit un mot à la place d’un autre. La dysgraphie concerne les enfants qui ne forment pas bien les lettres lorsqu’ils écrivent. Malgré les efforts de l’enseignant ou de l’enfant lui-même en apprentissage, son écriture reste illisible.
La dysphasie concerne les enfants qui ne prononcent pas bien les mots. Ils ont un langage oral saccadé, ils parlent souvent en télégraphie ou bien leur langue est un peu ‘’lourde’’ dans la bouche.
Nous allons ajouter les troubles de l’attention. C’est vrai que les enfants, à leur début, ne sont pas très attentifs. Mais pour certains, c’est beaucoup plus grave. Par exemple, ils ne mettent pas les boutons comme les autres ou ont du mal à nouer les lacets. En fait, ils ne peuvent pas faire les actions les plus simples à l’instar de leurs camarades d’âge. Il est déconseillé de négliger ces difficultés qui peuvent s’accumuler au fil du temps. Elles n’ont pas de lien avec la maturité comme on pourrait le penser, mais ce sont bien des signes de difficultés.
On parle de l’hyper activité quand les enfants bougent dans tous les sens. Ils ne peuvent pas s’asseoir tranquille ; ils sont sur la chaise ou le banc, ils descendent, ils sont en dessous de la table. Malgré les menaces et avertissements de l’enseignant, ils courent partout. À un niveau très élevé, ça peut être sévère. L’hyper activité peut être souvent une difficulté d’apprentissage.
Comment faire le diagnostic de ces cas ?
Avant de parler de diagnostic, on va plutôt parler de repérer les signes car c’est un préalable au diagnostic. Il faut aider l’enfant à surmonter les difficultés qu’il peut rencontrer en classe (problème de lecture, de calcul, d’orthographe). C’est pour lui éviter d’être bloqué plus tard et manifester les mêmes besoins qu’un enfant sujets aux troubles d’apprentissages qui sont des troubles neurobiologiques. C’est depuis leur cerveau.
Ce n’est pas parce que le maître n’a pas bien fait son travail ou que l’élève n’a pas de livre de lecture. Non ! Chez eux, c’est naturel, ça vient comme ça. La zone du cerveau affiliée à la lecture, au calcul, à l’attention a un dysfonctionnement. Ça n’a rien à voir avec l’intelligence. Ce sont des enfants qui sont très intelligents. Cependant à cause de ces dysfonctionnements, ils n’arrivent pas à exécuter correctement les tâches.
Le diagnostic est posé par des experts. L’enfant est consulté d’abord par le psychopédagogue qui doit normalement se trouver à l’école. Mais nos écoles n’en ont pas. Il est ensuite conduit au service ORL pour voir s’il a mal aux yeux ou un problème au niveau de l’ouïe. Ces analyses permettent de faire des hypothèses avant de le faire consulter ensuite par l’orthophoniste. C’est plus facile de joindre ce spécialiste au Mali.
On doit consulter le neuro-pédiatre et psycho-pédiatre. Il y a certes des pédiatres au Mali, mais ils ne sont pas spécialisés dans la neurologie de l’enfant. Le psycho-pédiatre est aussi présent, mais n’est pas spécialisé en psychologie de l’enfant à cet âge là.
Il y a cependant une autre analyse à faire : c’est l’IRL (Imagerie par Résonance Magnétique). Cette analyse peut nous montrer vraiment la zone du cerveau sujette à un dysfonctionnement.
La prise en charge se fait comment alors?
Si le cas est repéré, l’enfant doit bénéficier d’un accompagnement au début. Mais quand ça devient sévère, des aménagements en classe s’avèrent indispensables. Tout comme les échanges avec les parents pour qu’ils s’impliquent aussi dans le travail, par exemple les révisions. Si l’enfant ne peut pas lire, quelqu’un d’autre va lire pour qu’il entende et retienne l’information. Il ne va pas faire les mêmes exercices que les autres. S’il fait le même nombre d’exercices que les autres, ça augmente ses erreurs. Si les autres font trois exercices, lui n’en fera deux ou un. Les autres vont lire ou écrire trois ou quatre phrases, ce sera une ou deux pour lui. On réduit son volume de travail pour réduire les risques d’erreurs.
Si pour écrire téléphone, il écrit ‘’téphone’’ lors de l’évaluation, le maître ajoutera le ‘’le’’ puis lui accordera le point, parce que ce n’est pas l’orthographe qui est évaluée, mais plutôt la connaissance.
Pour la prise en charge de ces élèves en difficulté, les parents paient cher les services de l’orthophoniste. Si la difficulté de l’enfant est vraiment lourde ou qu’on a déjà posé un autre diagnostic dans un autre pays, il faut un auxiliaire de vie scolaire individuel qui accompagnera l’élève jusqu’en classe. Donc, les parents payeront l’école, l’Auxiliaire de Vie Scolaire, l’orthophoniste sans compter la logistique : envoyer l’enfant chez l’orthophoniste, le ramener à l’école. C’est vraiment onéreux.
Pour corriger les difficultés d’apprentissage, je ne parle même pas de troubles d’abord, l’Etat doit revoir le système, le contenu des programmes, la formation des enseignants dans ce domaine.
Le nombre d’élèves par enseignant ne doit pas être élevé pour faire bénéficier à chaque élève l’accompagnement nécessaire à son passage en classe supérieure. Ça demande du travail.
Tout sortant des sciences de l’éducation est en mesure d’expliquer la cause des difficultés. Il y a des causes externes et internes. Les causes des difficultés de la plupart des élèves que nous avons aujourd’hui sont externes. Ce n’est pas dû à l’enfant lui-même. Le système n’est pas adapté ; les enseignants ne sont pas bien formés ; l’effectif est excessif dans les classes. Les parents ne s’investissent pas beaucoup, ne paient pas de manuels ou de matériels. Bref, on n’encourage pas l’enfant …
Votre mot de la fin
C’est à l’endroit de nos décideurs politiques ou en éducation. Il est temps qu’on se réveille, qu’on prenne l’avenir de ces enfants en main. On a toujours dit que l’avenir de ce pays repose sur les enfants. Mais si on ne donne pas les moyens aux enfants pour être autonomes ou matures, c’est comme si on érigeait un château de cartes derrière nous. Nos anciens étaient fiers du Mali. Leurs parents n’étaient pas allés à l’école, mais eux sont devenus des leaders en Afrique. Mais pourquoi, aujourd’hui, des directeurs d’entreprises, responsables de l’éducation nationale nantis de grands diplômes ont des enfants n’arrivant pas à lire ni écrire ? Donc, allons chercher la réponse à cette question. Nous avons du travail à faire. Tant que nous ne nous concentrons pas sur l’éducation en général, c’est comme si nous construisions des châteaux de cartes qui tardent pas à s’écrouler.
Propos recueillis par Moussa Diarra