Unité et intégration africaines : La question de l''identité et de l’économie

0

Alpha Oumar Konaré, Président de l”Union africaine renonce à un second mandat empêché d”appliquer ses réformes. Les Chefs d”Etat viennent d”enterrer, en catimini, le NEPAD), lancés qu”ils sont dans un formidable bond en arrière, en quête de… l”OUA. La drôle d”histoire apparaît ainsi comme le tonneau des Danaïdes. C”est qu”au total, elle a été successivement plombée par deux idéologies majeures résumées par la double question de l”identité et de l”économie, à l”intérieur d”un espace scientifique africain pratiquement inexistant.

De l’identité

Je commencerai par postuler ce qui est connu, à savoir que la guerre, non la paix est le mouvement de l”histoire. On peut invoquer Ibn Khaldoum sur ce cycle paix et guerre qui constitue la dynamique de l”histoire, mais il nous plaît de noter que même des adversaires aussi irréductibles que Hegel et Marx sont au moins d”accord sur ce fait précis. Pour Fun, "les périodes de paix sont les pages blanches de l”Histoire", pour Vautre, la lutte sans fin, pour l”instauration du communisme est l”objectif dernier de l”histoire. Il s”avère ainsi que les épisodes de la domination de l”Afrique par le reste du monde : traite, colonisation, néo colonisation, mondialisation etc ne sont, d”un point de vue logique, que simplement banals.

Ayant été la seule humanité à n”avoir pas débordé ses frontières par le fait des armes, ses fils ont été ballottés de continents à continents et de siècles à siècles, sans le moindre soupçon d”une riposte collective, simplement parce que sans la moindre conscience collective d”une force de cette échelle. Il est significatif qu”au 19é siècle, l”Afrique était considérée par les Occidentaux comme absolument vide et sans propriétaire, ce à quoi renvoie, bien son appellation de l”époque : "The dark continent" où, selon Hegel, les habitants n”auraient pas d”âme.

L”histoire de l”Afrique, même et surtout écrite par les Africains, ne peut faire l”impasse sur cette impuissance structurelle, sauf à compenser celle ci par le rappel incessant du continent comme berceau de t”humanité et diffuseur des premières techniques de l”espèce jusqu”au néolithique. Et c”est à grande peine que la civilisation pharaonique est récupérée pour combler le vide abyssal des périodes qui suivent où l”initiative historique (dont on se demande encore pourquoi et comment elle est morte) échappe à tout jamais aux Africains. Le malaise que ressent tout Africain à la lecture de sa propre Histoire, c”est que, quels que soient les faits d”armes et de civilisations de celle ci, ceux ci sont immédiatement engloutis dès que l”Occident pointe le nez, soit pour la traite, soit pour la colonisation, soit pour la mondialisation. Et la littérature et les arts qui ont été imbibés d”un nationalisme directement inspiré de l”historiographie étalent leur maladresse, et à tout le moins, leur caractère laborieux.

Lorsqu”on peut poser à l”historiographie africaine la question de savoir ce que pourrait receler l”identité d”une humanité faible, sinon sa vocation à être perpétuellement dominée, on peut, dans le même élan, postuler que la quête fiévreuse et névrotique d”une identité africaine valorisée est l”indice d”une catharsis collective qui n”avoue pas qu”elle est un mensonge. En effet, peut on valablement comme Césaire, affirmer que les Africains, sur la scène mondiale, n”ont rien inventé et que pour autant, ils sont le "souffle du monde" ou simplement admettre que par cette évidence, ils sont les éternelles victimes du monde ? Les penseurs nationalistes (historiens, écrivains, artistes, ethnophilosophes), quelle que soit l”école de pensée, s”accrochent aux valeurs comme si par exemple les Indiens d”Amérique, les Juifs (autres peuples martyrs du monde) avaient été épargnés de ce fait. Et qu”est ce que la valeur, sinon la contrepartie du progrès, y compris dans son versant purement moral ? Quelles que soient les contorsions africaines du discours auto valorisant, ne mettent elles pas en lumière une seule chose: l”avenir de l”Afrique demeure bel et bien derrière elle ?

Pourquoi toutes ces questions relativement au sujet de .l”intégration africaine ? Parce que la quête d”unité par l”OUA, puis celle d”intégration par l”Union Africaine sont l”exact miroir du cheminement de la conscience africaine de la post indépendance. OUA et UA sont, au plan politique et continental, les ombres portées des idéologies identitaires qui vont à contre courant de l”Histoire et de la philosophie occidentales pour y opposer une Afrique ontologiquement imprenable. C”est là, le creuset, le fondement de toute la question africaine. Et c”est bien pourquoi des idéologies que j”appellerais "volatiles" comme la négritude et l”ethnophilosophie sont mortes avec l”OUA, parce qu”on a bien fini par se rendre compte, dans le tournant des années 1970, que l’émotion ne pouvait tenir lieu de matrice à l”action et que le véritable destin des Africains se trouvait dans la maîtrise de leur monde, non dans l”évocation insatiable d”un passé sublimé. Et l”instance au sein de laquelle cette prise de conscience aurait dû s”imposer dès les "indépendances" aurait dû être l”OUA qui, on le sait hélas, a servi d”écho à la guerre froide plutôt que d”instaurer le dialogue africain. D”où l”émergence de l”Union Africaine pour substituer l”action à l”incantation.

Il n”y a, aujourd”hui et demain, d”intégration africaine qu”essentiellement dans l”approche que les Africains ont de leur situation spécifique par rapport au reste du monde. Et là, aussi loin que puisse aller le débat africain dans un sens ou dans l”autre, on tournoie malheureusement autour d”arguments spécieux. Les panégyristes vantent l”essentialisme africain comme d”un choix de société, alors que ceux qui se définissent comme réalistes brandissent le matérialisme économique pour dénoncer une impuissance dont les Africains font vertu.

Le socle idéologique de l”intégration africaine, c”est à dire de l”Union Africaine est arrimé à la pensée émergente de ces dix dernières années essentiellement caractérisées par Axelle KABOU (1991) et Stephen SMITH (2003). Cette nouvelle école qui prolonge en fait le fameux L”Afrique noire est mal partie de R. DUMONT; cette école disais je, détone par rapport aux précédentes avec cette double vertu de faire peur et de sonner une véritable révolution mentale à partir d”électrochocs qui ne s”embarrassent pas de la nuance.

Dans Et si l”Afrique refusait le développement ? Axelle KABOU tient à la fois pour une certitude et un instrument heuristique la proposition selon laquelle le sous développement est .essentiellement lié à la mentalité africaine. Celle ci serait caractérisée par le refus acharné de la méthode et de l”organisation, le gaspillage et le sabotage des ressources, le rejet de la cohérence, de la transparence et de la rigueur au profit du bricolage, de l”improvisation et de la navigation à vue, dans l”attente de l”aide étrangère considérée comme un dû historique. Le discours identitaire, fondé sur le relativisme culturel s”avère une idéologie parasitaire, justifiant les démarches intellectuelles les plus suicidaires et servant à dissimuler les actions préjudiciables à l”Afrique. La conscience africaine, dit elle, est façonnée par l”humiliation qui caractérise toute son Histoire, notamment à travers la traite et la colonisation. Si bien que ce dont les Africains ont surtout besoin, c”est "d”une révolution mentale de grande envergure ".

Dans Nécrologie, Stephen SMITH lui, fait le constat suivant. Seule héritière au monde des tares laissées par l”esclavage et par la colonisation, l”Afrique, depuis les indépendances ne fait que s’enfoncer, chaque jour davantage dans l”horreur des guerres tribales dont les plus récentes manifestations ont fait près de 4 600 000 morts au Congo Kinshasa, au Rwanda, au Burundi, en Somalie, au Soudan, au Congo Brazzaville, au Libéria, en Sierra Léone. Dans les rares pays épargnés par de tels conflits, dit il, la corruption et le tribalisme règnent en maîtres, pendant que partout, le sida frappe, les entreprises ferment, les salaires ne sont plus payés, les cerveaux s”exilent. Stephen SMITH en conclut que finalement, les Africains se suicident littéralement par impuissance de s”intégrer au monde; se réfugiant dans la certitude que l”homme noir est irréductible à l”universel.

On pourrait, d”un revers de main, balayer ces assertions en criant une fois de plus au complot de l’intelligentsia occidentale contre l”Afrique. Stephen SMITH n”est il pas Français et Axelle KABOU, africaine éduquée en France ? Mais tout n”est pas si simple, du moment que leurs analyses s”inspirent de faits irréfutables. Oui, leur interprétation peut être sujette à caution et en tout cas, elle ne paraît nullement impressionner les politiques et les intellectuels africains qui, malgré ou à cause de cette situation catastrophique dénoncée, professent n”avoir plus que le seul espoir de l”intégration pour faire «renaître» le Continent (le mot est de Thabo Mbeki.)

Mais quels sont les fondements sociologiques d”abord, et politiques ensuite de cet espoir? Conçue comme la fille jumelle de l”Union Européenne, les Africains ne sont ils pas, une fois de plus, avec l”Union Africaine, victimes de leur fascination pour l”Occident qu”ils ont toujours considéré comme l”Unique Modèle, au fi et au détriment de leur Histoire et de leur Géographie, c”est-à dire de leurs Cultures? Car oui, Madame KABOU et Monsieur SMITH, je suis un relativiste. Je crois profondément à une Afrique spécifique de plus en plus tournée vers la modernité, ne serait ce que parce que sa jeunesse, démographiquement majoritaire, n”a plus rien à voir avec la mémoire coloniale, les indépendances ou la négritude. Il s”agit d”une jeunesse déterminée qui, au Mali et ailleurs, a largement contribué à la chute de la dictature, d”une jeunesse qui préfère aller s”empaler aux barbelés de Ceuta et Melilla plutôt que de s”illusionner sur son destin par des mots et des poèmes.

Or, l”une des raisons qui me fait douter de l”efficacité de la démarche intégrative en cours, c”est que cette jeunesse, comme du reste l”ensemble des peuples africains, ne l”intègrent pas comme d”une démarche nécessaire à leur émancipation. Tout simplement parce que, comme en Europe, elle est l”affaire des Etats. L”intégration serait elle une vue de l”esprit liée à la simple gestion économique ou une nécessité sociologique liée à cette sorte d”appel de la race à partir de sa situation singulière dans l”Histoire ? Je parle de la race comme je pourrais parler de l”ethnie; ce sentiment fort d”avoir ensemble, à partir de l”instinct, de la culture et de l”Histoire, un destin collectif commun. L”intégration naît elle dans la tête des ”élites ou est elle dictée par la nécessité de survivre ou de vivre ensemble ?

Que nous apprennent, sur ce plan, les péripéties de la constitution des Etats Unis d”Amérique au 18ème siècle ? Celles des unités italienne, allemande, latino américaine 19ème siècle ? Qu”est en réalité le fondement de l”Union européenne, sinon une commune volonté de mettre définitivement un terme aux conflits sans fin qui ont déchiré les mêmes peuples durant des milliers d”années ? L”intégration, l”unité, si elles ne sont pas un cri qui monte du tréfonds des peuples vers la conquête commune de leur destin, peuvent elles être alimentées par autre chose que par des schémas et des statistiques à la vaine recherche des attentes sociales ?

Il. De l’économisme

Mieux ou pire, dans la démarche sous jacente à l”idéologie dont s”inspire toute la charpente méthodologique de l”Union africaine, il existe un puissant leurre qui rejaillit sur toute notre époque: c”est l”alchimie de l”économie. A ce propos, il est important de rappeler que le rôle du chercheur est d”interroger, sans cesse, contre la mode et la certitude facile, le procès d”accumulation et de renouvellement des idées, avec pour principe de base, qu”aucun savoir si éprouvé soit il n”est à labri du doute, de la suspicion, voire de la contestation; non en ses résultats apparents, mais surtout en ses présupposés.

A ma connaissance, la première conscience collective de l”économie comme donnée basique d”une possible renaissance africaine date du Plan de Lagos. En ce début des années 70, qui n”a point rêvé, à sa lecture, que nous étions enfin au bout de nos peines ? Mais aussi, quelle extraordinaire ressemblance avec le NEPAD, pierre angulaire de l”Union africaine dont les Chefs d"Etat viennent de signer la mort sans le dire, le temps d”avoir vivoté cinq petites années ? De même que la quête identitaire a piégé l’OUA, de même l”économisme est l”arbre qui cache la forêt de lUnion africaine.

Est douteuse la conviction que léconomie est l’alpha et l”oméga du développement. Est douteuse la conviction que les élites seules sont capables de penser et de planifier lintégration. Est douteuse la conviction que l”intégration s”impose de manière infuse à la conscience des Africains.

L”épistémologie de l”économie s”avère difficile pour une raison toute simple: c”est quà partir du moment où elle s”aliène la plus pure des sciences fondamentales (c”est à dire la mathématique) pour fonctionner, elle pense se situer au dessus de la critique et donc de la remise en cause qui caractérise fondamentalement les sciences sociales. Ce n”est pas pour rien que Karl MARX lui même y a consacré le plus gros de ses efforts sans aboutir, dans Le Capital, à quoique ce soit de définitif sur la question. L”économie refuse de se rabaisser au rang des sciences sociales parce quelle postule des lois économiques alors même que lHistoire des nations modernes est précisément émaillée de crises économiques. L”homo economicus, qui tient lieu de prétexte et de fondement à l”économie finit par disparaître, au fur et à mesure des statistiques pour laisser toute la place à la Res economica. Et la Res economica, bien entendu, devient la chasse gardée de l’élite.

La consécration contemporaine de l”économie sur le piédestal de la gouvernance politique est elle même liée à la radicalisation du conservatisme américain sous l”impulsion de Ronald REAGAN. Ce conservatisme belliqueux et triomphant célèbre sa vérité sur les ruines du communisme mondial dont la préoccupation essentielle était, non l”économie, mais ses déterminants sociaux et politiques. La vérité, dès lors, glisse de la gouvernance politique à la gouvernance économique. Souvenez vous du premier slogan de campagne de REAGAN: " LEtat n”est pas la solution, mais le problème."

C”est dans les années 1980 et sous l"impulsion de l”administration américaine, le communisme ayant été vaincu, que les pays du Tiersmonde et notamment l”Afrique, commencent à découvrir le visage des institutions de Brettons Wood. L”ajustement structurel avec toutes ses déclinaisons potentielles s”abat sur les Etats les plus pauvres de la planète, imposant aux politiques l"économie comme le sésame de la gestion de l"Etat. Avec les conférences nationales s"imposent les Premiers Ministres sortis de l’antre de Brettons Wood comme gages d”une politique du succès. C”est l’ère du FMI et de la Banque Mondiale envoyant ses missi dominici aux quatre coins du monde avec les clés de la misère et de la pauvreté dans leurs attachés cases.

Or, quand on voit où tout cela a abouti depuis déjà un quart de siècle (aggravation de la pauvreté avec ses corollaires de guerres, de conflits ethniques et politiques, exacerbation de la précarité et du désespoir des jeunes jetés sur les routes de l"exode); quand on lit surtout sous la plume de STIGLIZ, Nobel d"économie, ancien Vice Président de la Banque Mondiale, les ravages de cette Institution sur l"équilibre et la sécurité du monde, à partir de ses manipulations théoriques; quand Jean ZIGLER démontre les montages et les démontages cyniques de ses gourous, sans considération de milliards de vies ainsi mises en danger, on aboutit à la conclusion que si la science économique refuse d”être une science erratique, alors elle est une science à part: ni sociale et encore moins fondamentale. Et c”est la raison pour laquelle, je le répète, est douteuse la conviction que l”économie est l”alpha et yoméga du développement. Si jamais elle en est la colonne vertébrale, les autres composantes du squelette doivent étroitement lui être associées pour que le mouvement soit seulement possible.

Et c’est là où nous touchons à l’une des plus grandes tares de la science africaine, certainement la plus profonde qui laisse apparaître l’énorme déficit d"étude des sociétés africaines, mais encore plus, le déficit de leur synthèse. A l"état actuel de la bibliographie générale de l”Afrique, je dirais que les travaux des Africains sur leurs cultures et leurs sociétés sont loin d”atteindre le dixième du total. Or, il ne saurait y avoir de politique autonome, de pensée économique autonome sans le secours des sciences discursives. La sociologie anthropologie, le droit, la religion, la psychologie, la philosophie etc. sont autant de domaines qui concourent à la définition de l”Homo economicus africanus; définition que nous attendons encore pour enfin juger la copie du modèle. Définition, soyons clairs, qui ne sera pas la superposition d”une discipline à l”autre, mais leur synthèse pour en déceler l”unité intime. Car, "Le développement, dit Albertini ne peut être appréhendé par la seule science économique. C”est un processus complexe qui a trait tant aux aspects économiques qu”aux aspects sociologiques, psychologiques et politiques de la vie en société".

Si la personnalité africaine était identifiée (je n”ignore pas que l”évocation de ce débat suffit à irriter certains), si les tendances sociales et culturelles étaient cernées, si les situations économiques réelles étaient révélées, nous saurions, de part les populations, et non de par les intellectuels arrimés à l”Occident, quel genre d”intégration est viable pour l”Afrique, avec son schéma autonome, ses moyens et son rythme. En attendant la tendance depuis les indépendances est à l”exact opposé de ce schéma. Les populations, du fond de leur ignorance ne savent rien, si bien que les élites sont conviées à planifier leurs destins individuels et collectifs. Et quand, par hasard, une pratique populaire s”impose d”elle même, on dit qu”elle est "marginale ". C”est le cas de l”économie informelle. C”est le cas des caisses communautaires.

Concernant l”économie informelle (terme qui porte tout son mépris), il existe une véritable école de pensée qui, dans les années 80, s”est développée à Louvain la Neuve, par la production d”une quantité estimable de travaux qui font autorité. La thèse centrale en est que les populations africaines, interdites de pénétration dans le circuit économique officiel, bureaucratique, procédurier, élitiste et prohibitif ont su créer un circuit: 1) à leur dimension, 2) perpétuant leurs valeurs. Il s”agit de l”exercice de micro activités adaptées aux micro besoins des populations, et qui ont pour composantes, le faible taux d”investissement équivalent au faible niveau de vie des consommateurs. Mais on a beau démontrer qu”il représente une part substantielle de l”économie nationale, régionale et continentale, personne n”a pu l”organiser à aucun de ces échelons. Avec la certitude que c”est là, au regard de la mondialisation, le moyen pour les Africains de s”investir, d”inventer, d”innover; bref, d”être les véritables maîtres de leurs destins. L”économie informelle est une étape significative de la démarche politique africaine. Elle signe l’échec du tout Etat et redonne l”initiative à l”individu. Malheureusement, cette initiative nest pas assez encouragée par les politiques.

Dans le même contexte d”ajustement sont apparues les caisses communautaires permettant à la fois l”épargne et le micro crédit. Les banques classiques existent depuis la colonisation et elles demeurent totalement ignorées des populations africaines sur lesquelles elles n”ont qu”un faible impact individualisé. Les caisses communautaires elles, n”ont pas mis 15 ans pour s”imposer à l”espace national, du fait de leur accessibilité et de leur capacité à résoudre les problèmes existentiels. Et malgré ce succès éclatant, je ne connais pas de structure dans ce domaine qui investirait l”espace régional et continental.

Disant tout ceci, je ne commets naturellement pas l”erreur de laisser penser que pour moi, la voie de l”intégration africaine viendrait uniquement du micro crédit ou des caisses communautaires. Mais franchement, à partir du moment où ce sont ces seules structures, ces seuls schémas économiques que les populations ont en propre, mieux vaut en tenir compte pour tout de même créer un équilibre entre l”économie mondiale et l”économie locale. Il s”agit là, plus que d”une question de réalisme ou de pédagogie, d”une question de principe car, quel autre en tiendrait lieu dans la conscience d”Africains qui s”ignorent totalement pour les causes historiques que nous connaissons ?

Dans la démarche intégrative, il faut tenir pour une cause essentielle d”échec, le blocage de la clause de la libre circulation des biens et des personnes. Or justement, de toutes les dispositions économiques, juridiques et politiques de l”Union africaine, la seule qui eût permis que les populations s”y impliquent, c”est cette clause. Pour au moins deux raisons.

Très loin dans le temps, depuis au moins l”Empire du Ghana jusqu”à la colonisation, les Africains ignoraient jusqu”au nom des entités politiques qui les côtoyaient. On se référait au nom des ethnies ou tout simplement aux quatre coins cardinaux pour les désigner. Or, ce fut l”époque du plus grand échange, non seulement entre pays africains, mais entre l”Afrique et le Maghreb, voire le Moyen Orient. Ce sont les frontières coloniales qui ont parqué les Africains dans les réserves de leurs micros Etats. Postulant l”intégration, si les conditions de la réappropriation de leur espace social, politique et économique peinent à être établies, comment persuader les Africains que quoi que ce soit bouge en ce sens, alors que quand ils ne sont pas traqués aux frontières, ils sont expulsés manu militari de leurs pays d”accueil ou servent tout simplement de boucs émissaires lors des interminables crises de régime ?

La seconde raison qui militerait en faveur de l”urgente application de la clause de circulation des biens et des personnes comme d”un pré requis, c”est qu”il est évident qu”on ne saurait réussir l”intégration avec l”argent et les efforts des autres. Comme pour paraphraser le roi Guézo du Dahomey: c”est de l”assemblage des doigts de tous les fils du royaume, pour boucher les trous de la jarre percée, que le pays sera sauvé.

Pascal Baba COULIBALY

Anthropologue
Institut des Sciences Humaines

Commentaires via Facebook :