Analyse des enjeux du retour d’un partenaire stratégique
Il y a 33 ans, le Maroc quittait l’OUA en lui souhaitant «bonne chance avec son nouveau partenaire», à savoir la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). C’était lors du 20ième Sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), le 12 novembre 1984, à Addis-Abeba. Aujourd’hui, les responsables marocains ont effectué un revirement de 180 degrés dans leur décision et ont choisi de s’asseoir à l’Union Africaine aux côtés du partenaire qu’ils ont foui dans le passé. Ce revirement doit, certainement, avoir de fortes raisons géostratégiques.
Le 3 décembre 2016, à l’hôtel Radisson Blu de Bamako, l’Ambassade du Royaume du Maroc au Mali, en collaboration avec la Fondation Balanzan pour la Gouvernance et la Stabilité, organisait une journée de réflexion stratégique sur les enjeux du retour du Maroc à l’UA. Selon le rapport préliminaire issu de cette journée, le Maroc partage avec le continent africain une longue tradition de coopération diplomatique, économique et commerciale, intensifiée depuis le début des années 2000. C’est dans ce cadre que la majorité des grands groupes marocains se sont déployés dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne selon une politique de «champions nationaux» et ont développé des stratégies de croissance diversifiées et ce, sous différentes formes de partenariat. On note la prise de participation, la création de filiale, l’apport d’expertise et la représentation. Cette internationalisation des grands groupes marocains touche les secteurs d’activités clés de l’économie marocaine comme les banques, les assurances, les télécoms, les BTP et l’immobilier, les TIC et les médias, les mines, la pharmaceutique et le transport aérien.
Au-delà des aspects économiques et commerciaux, le Maroc accompagne sa politique africaine d’actions visant également le développement des pays de l’Afrique avec l’annulation de la dette des pays les moins avancés du continent, l’accueil des étudiants et des cadres dans les universités et les formations, la régularisation de plus de vingt mille subsahariens en situation irrégulière au Maroc.
Par ailleurs, et toujours selon les termes de références de ce séminaire, avec ce retour au sein de l’UA, le Maroc souhaite tirer avantage de son emplacement géographique privilégié et de ses relations avancées avec ses partenaires commerciaux européens, américains, du Golfe et méditerranéens, pour se positionner désormais comme un hub économique et financier incontournable vers le continent africain. En ce sens, plusieurs initiatives doivent être citées et en particulier la mise en place de la plate-forme financière, Casablanca Finance City Authority (CFCA), qui vise à attirer les investisseurs internationaux et à leur fournir une infrastructure et des conditions adaptées, leur permettant d’optimiser la rentabilité de leurs investissements dans des projets en Afrique du Nord, en Afrique de l’Ouest et Centrale. A travers ce rôle de facilitateur dans les échanges commerciaux et financiers internationaux, le Maroc met l’accent sur la coopération triangulaire et s’inscrit dans le cadre d’une coopération à la fois Nord-Sud et Sud-Sud. Cette place de choix du Maroc, au sein de la communauté africaine, était en contraste avec l’absence du Royaume chérifien au sein de l’Union Africaine. Le continent a plus que jamais besoin de la synergie de tous ses fils pour faire face aux nombreux défis de l’intégration et de la compétitivité mondiale. L’objectif est que l’Union Africaine soit représentative de toute l’Afrique afin qu’elle soit en mesure de coordonner et de formuler des positions communes, au nom de l’Afrique, sur les questions multilatérales, notamment au sein des institutions internationales. Cette dynamique sera sans doute confortée par le dynamisme économique et diplomatique et le savoir-faire du Maroc dans tous les domaines.
Il importe de souligner que le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine s’effectue à un moment où plusieurs pays d’Afrique du Nord peinent à retrouver la stabilité suite aux conséquences du printemps arabe. Dans ce contexte de crise, le Maroc peut légitimer sa position de pays politiquement stable et économiquement émergent et se positionner en tant que véritable leader régional sur plusieurs plans. Si le Maroc voit un intérêt particulier à réintégrer l’organisation panafricaine, l’Union Africaine aussi peut se réjouir de l’arrivée de ce «nouveau» membre, acteur stratégique, qui possède de nombreux atouts. Le Maroc joue en effet un rôle important dans le règlement de nombreux conflits africains comme en témoignent ses multiples initiatives en faveur de la stabilité et la sécurité, notamment en ce qui concerne les opérations de maintien de la paix en Côte d’Ivoire, en République Démocratique du Congo, en Centrafrique, en Somalie, ainsi que ses efforts de médiation dans la région du Fleuve Mano et en Libye.
Il est vrai que l’UA a plus à perdre en tenant son royaume hors de l’organisation. La contribution du Maroc au budget de fonctionnement de l’organisation est très attendue. Le Royaume chérifien, 5ième puissance économique du continent, après l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Egypte, l’Algérie est impliqué dans de nombreux projets économiques structurants du continent africain et dans des investissements majeurs dans de nombreux bourses et espaces financiers africains. De même, il peut faire profiter l’UA de sa riche expérience sur des questions aussi importantes que la coopération sud-sud, le règlement des problèmes agricoles, les échanges financiers mais surtout la sécurité.
Les dessous d’un retour stratégique
La thèse de la raison économique évoquée par les partisans du Royaume chérifien est balayée par ses adversaires. Ainsi, pour le site d’information, «La Tribune Afrique», «tous les pays africains sont prêts à signer des contrats économiques avec le Maroc, même s’il n’est pas membre de l’organisation panafricaine. Le problème n’est pas économique, mais politique, le Maroc ayant constaté que la politique de la chaise vide n’est pas payante dans la stratégie mise par Rabat pour combattre le rôle de plus en plus important de l’UA et le soutien de plus en plus solide apporté par celle-ci au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination». Et, selon une note confidentielle de la diplomatie marocaine en date du 12 août 2014, le Maroc «a pu se positionner en tant qu’acteur important dans l’agenda africain, à la fois sur le plan bilatéral, sous régional et par rapport aux partenaires internationaux de l’Afrique ».
L’arrivée du Maroc dans les rangs de l’UA après de longues années de boycott n’a rien d’innocent, selon beaucoup d’analystes. Le redéploiement de la France en Afrique, conformément à de nouvelles donnes et de nouveaux paramètres géostratégiques a dû certainement peser sur une telle décision. En outre, l’autre allié stratégique du Maroc, en l’occurrence l’état sioniste d’Israël, exige lui aussi un rang d’observateur à l’UA. Ce qui rend toutes ces demandes suspectes sachant les fourberies des uns et des autres et leur avidité vis-à-vis des richesses africaines. Ce qui pourrait mettre en péril les souverainetés de beaucoup de nations africaines.
Aussi, aux dires de certains observateurs, l’enjeu principal de ce retour est lié à la question du Sahara occidental que se disputent le Maroc et le Front Polisario, soutenu par son plus grand «ennemi intime», l’Algérie. En effet, Mohammed VI souhaite toujours le règlement de cette question en sa faveur. Et pour cause, il a demandé à l’UA de retrouver sa «neutralité» sur le sujet tout en rappelant que la RASD «n’est membre ni de l’Organisation des Nations Unies, ni de l’Organisation des la Coopération islamique, ni de la Ligue des Etats arabes, ni d’aucunes autre institution sous régionale, régionale ou internationale».
En somme, le royaume chérifien a beaucoup à gagner en réintégrant l’UA, car la politique de la chaise vide peut s’avérer problématique. Par ailleurs, en réintégrant l’UA, le Maroc pourrait également se positionner en tant que leader régional et pays émergent, notamment après l’affaiblissement des grandes puissances qui faisaient l’UA à ses débuts comme la Libye, l’Égypte et l’Algérie.
Dieudonné Tembely
tembely@journalinfosept.com