Lors de la journée des universités de communication à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso; Marie-Soleil Frère, universitaire et spécialiste belge des médias africains, a répondu aux questions de Frédéric Garat, journaliste de RFI, le mardi 03 décembre. Elle est intervenue sur les difficultés des journalistes africains à accéder aux informations, les relations entre un journaliste et les réseaux sociaux et l’absence de déontologie dans les discours des journalistes sur ces plateformes.
Frédéric Garat : Bonjour Marie-Soleil Frère. Est-ce que vous diriez que, dans les pays ouest africains qui sont actuellement frappés par le terrorisme, les rapports entre le pouvoir et les médias se tendent de plus en plus ?
MST : Oui, je pense que dans la plupart des pays il y a pour le moment un problème de communication de la part des gouvernements. Les gouvernements ne communiquent pas suffisamment par rapport aux situations de terrain. Les portes paroles des forces de défense et de sécurité de la police et de la gendarmerie sont dans une position très difficile. Parce qu’ils sont souvent pris en tenaille entre une hiérarchie qui refusent de leurs donner de l’information et des journalistes qui les harcèlent pour accéder à cette information. Plus de communication ; une communication rigoureuse, claire et véridique par rapport aux déroulements des évènements faciliteraient le travail des journalistes.
Frédéric Garat : En matière de responsabilité, il y a aussi une part de responsabilité des journalistes de la profession qui ne sont pas rigoureux dans les informations qu’ils donnent. Parce que de là aussi, il y a une des difficultés ?
Marie : Oui sans doute, je pense que les journalistes sont confrontés à plusieurs soucis. D’abord, l’absence d’informations provenant des services de communication des instances de sécurité, par exemple, ne facilitent pas leur travail. Deuxièmement, beaucoup n’ont pas la possibilité de se rendre sur le terrain pour pouvoir recouper et vérifier eux-mêmes l’information. Mais, je pense aussi que certains journalistes laissent se développer des sentiments patriotiques, qui sont des sentiments tout à fait compréhensibles. Donc, ce qui me frappe dans certains nombres de situations : c’est qu’on voit des journalistes qui peuvent rester professionnels dans le cadre de ce qu’ils publient dans leur journal. Mais qui, par ailleurs, sont actifs sur les réseaux sociaux et tiennent sur ces réseaux sociaux des discours qui sont beaucoup moins mesurés, beaucoup moins cadrés par la déontologie professionnelle.
Frédéric Garat : J’en reviens à cette relation très ambigüe entre réseaux sociaux et journalistes, est-ce que les journaux et les médias africains n’ont pas une part de responsabilité lorsqu’ils prennent sans filtre, sans esprit d’analyse les opinions qui sont diffusées sur les blogues ou autres. Récemment, celui d’un artiste malien, très connu, s’est répandu sur les réseaux sociaux à propos d’une complicité présumée entre les forces françaises et les djihadistes au nord Mali. Cette déclaration, elle a été répercutée telle qu’elle est sans analyse derrière, sans esprit critique etc… Ce cas-là, on en a au quotidien en Afrique ?
Marie : Oui, alors je pense que c’est aussi un défi auxquels sont confrontés beaucoup de média dans le monde. C’est la question de la vitesse. Les réseaux sociaux fonctionnent dans l’immédiateté. Le travail journalistique prend du temps. Ça prend du temps de recouper une information, de la vérifier. Donc, souvent, les journalistes vont se dispenser de ce qui devrait être leur travail et vont être plutôt dans une course poursuite avec les réseaux sociaux pour rediffuser au plus vite ce qui circule déjà sur Facebook, tweeter ou d’autres plateformes. Et donc, le problème c’est qu’ils ne prennent plus le temps de vérifier, de recouper, d’analyser. Dans le cas que vous évoquez, il faut que les journalistes maliens puissent avoir les moyens de se lancer dans des investigations poussées pour voir si effectivement ce type d’allégation a un fond de vérité ou pas. S’il y a des éléments factuels qui permettent d’accorder du crédit à une thèse comme celle-là. Malheureusement, ils n’en ont ni le temps parce qu’ils sont pris eux-mêmes dans le syndrome de l’immédiateté, ni les moyens.
Frédéric Garat : Particulièrement, cette zone du continent, les médias n’ont pas bonne presse. Il y a une sorte de média-batching qui se généralise de plus en plus. Est-ce qu’en pointant du doigt, qu’en invectivant cette profession, qu’on se trompe pas du combat ? Est-ce que les autorités de ce pays-là ne se trompent de combat par rapport aux véritables enjeux qui les menacent.
Marie : Je trouve qu’au contraire il y a encore dans ces pays, en particulier dans un pays comme le Burkina Faso par exemple, des journalistes professionnels qui essayent véritablement de bien faire leur travail et qui s’investissent au quotidien pour que le citoyen burkinabé soit correctement informé. Et, donc, les gouvernements devraient être plutôt dans une stratégie, alors je ne dirai pas de la collaboration parce que c’est ambiguë. Un journaliste n’a pas à collaborer avec le gouvernement. Il doit toujours garder sa distance critique. Mais, je suis plus frappé par la difficulté qu’a les gouvernements de produire des données qui permettent aux journalistes de bien faire leur travail que par le manque de professionnalisme des journalistes. Parce que je pense que c’est inévitable que dans les situations où il est difficile d’accéder à une information la plus exacte possible, la plus proche possible de la réalité des faits. Et ça, ce sont les gouvernements, ce sont les forces de défenses et de sécurité qui peuvent aider les journalistes. Je pense que c’est inévitable alors que l’espace laissé vacant soit occupé par des analyses de type éditorialiste, par des opinions. Parce que le journaliste n’ayant pas les éléments factuels et bien il se lance dans des interprétations personnelles qui vont peut-être au-delà tout simplement de l’analyse stricte réalisée dans le cadre des règles de leur profession.
Sory Ibrahim TRAORÉ