Grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale, il est déjà possible de savoir quelle image regardent des volontaires lors d’études scientifiques.
Permettront-ils demain de détecter des mensonges lors d’un entretien d’embauche ou en matière judiciaire, voire de lire dans les pensées ? “Des travaux en cours permettent, chez un individu particulier, de reconnaître qu’il a vu une maison, un visage ou un outil.” Selon une étude publiée en septembre, on peut même savoir qu’il regarde un film montrant un oiseau en train de voler. Mais “de là à lire les pensées, je pense qu’on en est encore très loin”, estime le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux. “Dans la pensée, il y a toujours un contexte, lié à la fois à l’histoire de l’individu et aux conditions dans lesquelles, au moment où l’individu pense, cette pensée s’élabore”, explique-t-il à l’AFP, évoquant une des raisons limitant la possibilité de lire dans les pensées. Mais, dans les années à venir, “il faut s’attendre à une plus grande résolution dans l’identification des objets de pensée consciente pour un sujet donné”, selon ce spécialiste du cerveau, qui avait présidé le Comité national consultatif d’éthique de 1992 à 1998. Les stimulations cérébrales, au moyen d’électrodes implantées dans le cerveau pour soigner des personnes souffrant de la maladie de Parkinson ou d’autres troubles, peuvent-elles être détournées à des fins non-thérapeutiques ?
Est-ce qu’on va vers un viol, une manipulation des consciences ? “Il est certain que des problèmes éthiques sont soulevés par ces questions”, estime le Pr Changeux, jugeant que cette réflexion “aurait dû être intégrée” dans la loi de bioéthique votée cet été. Justice, entretien d’embauche L’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) s’est saisi de ce dossier et prévoit de publier un rapport en février 2012. De multiples questions surgissent. Les données d’imagerie cérébrale peuvent-elles être utilisées par la justice, ou lors d’entretiens d’embauche, par des assureurs ? Comment protéger la vie privée ? Il y a un risque “de vouloir faire dire à des données scientifiques plus qu’elles ne veulent dire”, a relevé cette semaine Lionel Naccache, chercheur à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), lors d’une audition organisée par l’OPECST. Les belles images couleur du cerveau grâce à l’IRM fonctionnelle (IRMF) peuvent donner “l’illusion de mesurer réellement ce qu’est une pensée”, un processus mental. “Le fantasme est là, il faut être très prudent”, met en garde Yves Agid, directeur scientifique de l’ICM. “Ce n’est pas parce qu’un comportement se traduit par une image que la mise en évidence de cette image traduit un comportement”, prévient-il. L’image reste “très éloignée du fonctionnement neuronal” lui-même. Ce qui est mesuré, c’est le débit sanguin dans des capillaires du cerveau. D’où la nécessité de savoir interpréter les images. “Le scientifique a une bonne connaissance des limites de la méthode qu’il emploie”, relève le Pr Agid.
Mais pour d’autres acteurs de la société, “il y a tentation d’aller chercher quelque chose qui est de l’ordre de la vérité”, note Jean-Claude Ameisen, président du Comité d’éthique de l’Inserm. Hélène Gaumont-Prat, spécialiste du droit médical à l’université Paris-VIII, a relevé les risques de voir l’IRMF utilisée pour la détection de mensonges lors d’entretiens d’embauche ou par des assureurs. En justice, “va-t-on faire parler des données cérébrales de la même façon que les empreintes génétiques ?” s’interroge Mme Gaumont-Prat. Aux Etats-Unis, dit-elle, on peut se servir de la neuroimagerie pour montrer une altération des facultés mentales de l’accusé. En Inde, raconte-t-elle, cette méthode a déjà été utilisée pour fournir une preuve à charge : une femme accusée d’empoisonnement a été condamnée à la perpétuité “parce que son cerveau traitait le mot cyanure de manière familière”.