Autre temps, autre réalité ! Dans un passé lointain, évoluer dans un club expliquait l’amour qu’on éprouvait vis-à-vis de ce dernier. On jouait pour faire valoir son talent et écrire l’histoire du club, mais aussi par patriotisme. C’est pourquoi, l’absence de primes dignes de ce nom à l’époque n’influait point sur le moral des joueurs et leur détermination à mouiller le maillot. Nous avons encore plus cerné cette réalité en rencontrant Youssouf Sidibé, ancien défenseur du Djoliba et des Aigles du Mali dans les années 1970-1980. L’enfant de Niéna, le héros de notre rubrique du jour “Que sont-ils devenus ? “, n’a rien épargné pour évoluer dans son club de cœur. Finalement, il y parviendra. Mais comment ? L’ancien député revient sur la longue histoire qui le lie au Djoliba. Un détail : les années passées n’ont rien enlevé de l’amour du club chez Youssouf.
L’histoire du Djoliba est liée à trois personnalités : Tiéba Coulibaly (le président historique du club de 1960 à 1986), Karounga Kéïta dit Kéké (ancien joueur, entraîneur et emblématique président du club de 1990 à 2013) et Tiécoro Bagayoko (ancien directeur de la Sécurité d’Etat de 1968 à 1978 et grand fan du club). Ceux-ci n’ont ménagé aucun effort pour mettre en exerbe leur amour, leur passion vis-à-vis du club. L’on se rappelle lors d’une assemblée générale à Hérémakono, Kéké a dit que sa vie se résume à trois choses : Dieu, sa famille, le Djoliba. Cela veut tout dire.
Et Tiécoro Bagayoko, en détention à Taoudénit, au crépuscule de sa vie, a demandé à son ami Soungalo Samaké qu’il soit enterré à sa mort avec le maillot du Djoliba.
Ce rappel n’est pas fortuit. Il a le double sens de démontrer à quel degré on peut aimer un club et de trouver une transition pour résumer, sinon comparer l’amour que notre héros du jour, Youssouf Sidibé, avait pour son club, à celui de ces figures emblématiques du Djoliba.
Premiers pas au COB
En séjour à Bamako, nous l’avons rencontré dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”. Faudrait-il rappeler qu’après sa carrière footballistique, l’homme a été muté à Koutiala, avant de prendre sa retraite à Sikasso, sa ville natale. Il nous a dit qu’il est né à Djoliba et que son amour pour le club n’a pas fléchi de 1962 à nos jours.
En toute réalité, l’homme est passionné. Parce que, généralement, le simple fait de jouer dans un club atténue la passion et contient les émotions. Youssouf Sidibé constitue une exception à cette règle. L’opportunité d’évoluer au Djoliba s’est offerte à lui en 1968, après son admission au DEF et son orientation au lycée de Badalabougou. A Bamako, il loge dans la famille maternelle de son ami Mamadou Dipa Fané (ancien joueur et ancien ministre délégué au Sport). L’un des compagnons de ce dernier décèle les qualités de Youssouf, lors des matches interclasses et lui propose le COB, pour mieux étaler ses talents. D’emblée, il refuse, parce que son ambition, c’est le Djoliba. Il prend conseil auprès de Kidian Diallo.
Celui-ci est réticent par rapport à son désir d’évoluer au Djoliba. Cette réaction de l’ancien capitaine des Aigles semble paradoxale quand on sait que Kidian est un joueur du Djoliba. Youssouf Sidibé donne le détail des faits qui ont donné raison à son aîné du village. La réaction de Kidian s’expliquait par le cas de cet autre jeune de Sikasso, Mamadou Sidibé dit Décossaire, qui avait de la peine à se faire un chemin au Djoliba. Raison pour laquelle, il a proposé à Youssouf Sidibé de faire ses premiers pas au COB. L’enfant de Niéna opte pour le COB. Comme il n’est pas connu à Bamako, il prend le nom de Issouf Doucouré, un joueur du COB, mais indisponible durant la saison 1971-1972, pour cause de fracture de la jambe. Youssouf Sidibé s’impose comme un élément incontournable du Club Olympique de Bamako. Une raison valable pour ses dirigeants de lui monter la pression, afin qu’il signe enfin une licence en tant que Youssouf Sidibé. Une fois de plus, Kidian le conseille de signer. Les années 1973-1974 sont celles de la confirmation au COB, avec des exploits en championnat et une finale de coupe du Mali, perdue face au Djoliba. C’est aussi la confirmation, la maturité des joueurs comme Youssouf Sidibé, Jean Pierre Mendé, Réné Ka, Mahamadou Sangaré dit Joe Cuba, Cheick Fall. La même année, au bout d’un stage à la Caisse nationale d’assurance et de réassurance (Cnar), il obtient une bourse pour l’Institut africain des assurances de Tunis.
Le Djoliba ou rien
Après sa formation en Tunisie, Youssouf Sidibé retourne au pays en 1976, pour rejoindre son club de cœur qui le manquait tant, à savoir le Djoliba. Les dirigeants du COB s’y opposent et cherchent à convaincre l’enfant de Niéna. Celui-ci reste intraitable sur la question. Finalement, il parvient à se transférer au Djoliba. Comment ? Youssouf Sidibé revient sur les péripéties qui ont abouti à son retour en famille. “En 1972, au moment où je signais la licence au COB, il a été convenu entre les dirigeants et moi, que mon transfert au Djoliba ne sera pas un problème. Ils ont accepté ce compromis, mais le président du club à l’époque, Papa Sy, s’est opposé à mon transfert. Il convoque une assemblée générale, au cours de laquelle il me refuse la parole, une façon de m’empêcher d’annoncer mon départ. L’assistance le convainc de me laisser parler. Cela n’a pas été facile, mais ma bonne conduite a pris le dessus sur la passion. J’ai été transféré enfin au Djoliba. Tiécoro Bagayoko a essuyé beaucoup de critiques, accusé d’avoir influencé ma décision. Or, en réalité, il n’en était pour rien. Kidian Diallo aussi n’a pas été épargné. Mais seul l’amour du Djoliba a commandé ma volonté de quitter le COB”.
Au Djoliba, Youssouf Sidibé s’impose comme le pilier de l’axe central. Il remporte quatre coupes du Mali, en 1976, 1977, 1978 et 1979. L’enfant de Niéna commençait à sentir l’âge, ses obligations professionnelles devenaient sources d’incompréhension entre lui et les dirigeants du club. Il décide d’arrêter en 1982. Pour cela, il profite de la fin d’une séance d’entraînement pour offrir sa dernière paire de crampons à Bakary Diakité dit Bakaryni, pour le remplacer au Djoliba et en équipe nationale. La même année, il décline la convocation à l’équipe nationale, une décision mal appréciée par Kéké qui l’oblige à s’entraîner. Youssouf lui explique le bien-fondé de sa décision de raccrocher.
Son aventure avec les Aigles avait commencé en 1972 avec l’Allemand Karl pour renforcer le groupe de Yaoundé 1972. Il connut sa gloire en 1974 comme titulaire et ne quittera plus les Aigles que lorsqu’il a décidé de mettre fin à sa carrière.
C’est ainsi que l’enfant de Niéna quitta la scène footballistique, avec des temps qui constituent des moments inoubliables. Ceux-ci se résument à sa maturité au COB, l’expérience, l’assise physique, la finale de la coupe du Mali de 1974, les éliminatoires des Jeux africains d’Alger 1978 et de la Coupe d’Afrique des clubs champions avec le Djoliba parce qu’il s’est rendu compte de sa valeur intrinsèque. Ces différents événements se sont déroulés parfois dans des conditions difficiles voire déplorables. Mais, paradoxalement selon Youssouf Sidibé, sa génération trouvait du plaisir dans ces voyages.
Face à un tel déphasage il est très difficile de faire une comparaison entre deux générations qui ont des mentalités différentes. Et le même refrain concernant les primes refait surface. Autrement dit, les primes n’existaient pas de façon régulière, seuls quelques billets d’encouragement à l’occasion des grands derbys leur étaient promis et remis par les supporters et certains dirigeants. En dehors des primes et autres avantages qui constituent un facteur important pour expliquer la différence entre les deux générations, Youssouf Sidibé a une argumentation plus solide, pour se défaire de la nouvelle génération: “A notre temps, il y avait des génies à l’image de Salif Keïta qui créait des sensations à tout moment. Aujourd’hui, la nouvelle génération a une technique hors pair, mais collective. C’est à dire qu’il est rare de nos jours de voir un joueur capable de sortir l’équipe d’une situation inespérée. Voilà un état de fait qui met en évidence les situations toujours difficiles des Aigles lors des différentes compétitions. En plus, nous avions dans chaque équipe un leader, un entraîneur qui veillait sur tout le groupe. Au Djoliba, même pour se marier, il fallait l’accord de Kéké. Il prenait contact avec nos parents pour avoir leur caution sur notre encadrement, même en dehors du terrain. Voilà un détail pour vite comprendre comment et pourquoi Karounga avait une influence sur nous. Nous les jeunes qui n’avions pas de parents à Bamako, mangions chez lui. Dans ces conditions, nous avions l’obligation de bien nous comporter “.
Le football, un plaisir
Contrairement à d’autres joueurs, à qui le football a été une opportunité pour se procurer un emploi, Youssouf Sidibé, après ses études d’assurance à Tunis, a servi à la Cnar. Mais l’enfant de Niéna reconnait que le football lui a beaucoup servi et à tous les niveaux. Entre autres, il a pu construire un toit à Bamako et être élu député de sa circonscription grâce au renom que la discipline lui a donné. Bref, les relations créées continuent de lui ouvrir les portes partout où il va. Certes, à l’époque sa génération jouait au football par amour et par passion, mais aujourd’hui les retombées sont telles que lui Youssouf Sidibé oublie qu’il évoluait dans l’amateurisme. Et il est prêt à récidiver si c’était à refaire.
Comme anecdote, Youssouf Sidibé parle de ce fameux match qui a opposé en 1977, les Aigles aux Eléphants de la Côte d’Ivoire. C’était dans le cadre des éliminatoires de la CAN de 1978. Cette rencontre avait également retenu l’attention l’équipe de reportage du journal Podium dirigé par le doyen Souleymane Drabo pour avoir été persécutée par les Ivoiriens en réplique au comportement d’un responsable malien. Ce match a la particularité d’être une anecdote, mais les raisons diffèrent. Sinon Youssouf Sidibé n’a pas oublié que son ami Bourama Traoré est venu le voir avant le match retour pour lui poser la question de savoir si les Aigles avaient une chance de se qualifier à Bouaké, après leur courte victoire à Bamako. Il lui a répondu qu’avec la présence de Salif Kéïta et de Fanta Mady Kéïta, le Mali ne se présentera pas en victime résignée. Et Bourama de répliquer qu’il pourrait qualifier les Aigles, à condition que l’entraîneur mette sur le banc de touche les deux vedettes. Estomaqué par ces déclarations de son ami, Youssouf Sidibé lui dit qu’il ne doute pas de ses qualités, mais quel entraîneur prendrait ce risque ? Il fallait vivre l’époque pour savoir que les joueurs avaient une valeur.
L’autre anecdote remonte à 1978, quand le président du Djoliba, Tiéba Coulibaly, est allé voir l’équipe à l’internat à quelques heures de la finale de la coupe du Mali contre l’As Réal de Bamako. L’enfant de Niéna se souvient du message dopant du Vieux Tiéba : “Ce jour-là, le président est venu nous voir avec un message. Il a dit qu’avant sa mort, il ne veut qu’une chose: la victoire du Djoliba pour les deux prochaines coupes du Mali. Parce qu’il fallait démontrer à l’opinion que la suprématie du Djoliba n’était pas liée à la puissance de Tiécoro Bagayoko qui venait d’être arrêté en début d’année. Donc, il fallait relever ce défi. Et le fait de dire que la finale de la coupe du Mali de 1978 était celle de la vérité, avait son pesant d’or. Parce que nous étions aussi choqués par ces allégations, qui avaient trait à l’influence de Tiécoro. Donc nos deux victoires tiennent leurs origines des propos du président Tiéba”.
Aujourd’hui, l’ancien défenseur du Djoliba et des Aigles a pris de l’âge. Youssouf Sidibé a 64 ans. Ce n’est plus le défenseur teigneux que nous avons connu quand le Djoliba s’entraînait au stade Mamadou Konaté dans les années 1980. Oui, l’enfant de Niéna avait la particularité d’être un joueur qui ne trichait pas. Très athlétique, il ne faisait pas trop de calculs pour poser les tacles de façon énergiques ou pour “monter” sur le dos de l’adversaire à la recherche du ballon. Il garde encore cette vivacité. Venu nous rencontrer à côté de l’école de Faladié Socoro, il tentait de faire son portrait pour faciliter la retrouvaille. Mais, il ne savait pas que nous l’avons vu jouer. Autre raison qui empêche votre serviteur d’oublier Youssouf : un jour, lors d’une séance d’entraînement du Djoliba, Youssouf Sidibé en voulant empêcher un ballon de sortir, est venu faucher un de nos compagnons au bord du terrain. Quand nous lui avons rappelé cette action, l’enfant de Niéna s’est souvenu de ces moments où le football était un plaisir pour une génération talentueuse et disciplinée, avec comme mentor un certain Karounga Kéïta dit Kéké.
Habillé en tout rouge et après un accueil chaleureux, nous pouvions commencer notre interview, au cours de laquelle nous finirons par comprendre que le fait qu’il soit habillé dans les couleurs du Djoliba n’était pas fortuit. Cela s’appelle tout simplement: l’amour du club.
O. Roger Sissoko
Merci en encore M. Sissoko, cette rubrique est une sorte de bibliothèque pour moi car à travers elle j’ai connu ou appris davantage sur beaucoup de joueurs. Je n’avais jamais entendu parler de l’héros du jour. Merci et bon courage M. Sissoko.
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