Dans cet entretien exclusif, le premier ballon d’or africain, Salif Kéïta dit Domingo, évoque entre autres, le niveau du football malien, les chances des Aigles du Mali à la prochaine CAN prévue en Afrique du Sud en 2013, son retrait de la tête du Centre Salif Kéïta (CSK), la politique de formations des jeunes… Aux dires de celui qui fut l’ambassadeur du football africain, le football malien au niveau des clubs doit évoluer vers le professionnalisme. Avant de préciser : “j’ai été à la base de beaucoup de politiques pour le développement du football malien”.
L‘Indépendant : Pouvez-vous vous présenter à ceux qui ignorent tout du Domingo que vous avez été ?
Salif Kéïta dit Domingo : Je m’appelle Salif Kéïta plus connu sous le nom de Domingo, ancien footballeur. Je suis né à Bamako le 6 décembre 1946. Je suis marié et père de deux filles et de quatre petits enfants.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre carrière footballistique ?
Ma carrière a commencé avec les compétitions de pionnier en 1962 qui m’ont permis d’être connu à Bamako, puisque l’équipe de Ouolofobougou dans laquelle je jouais a eu la chance d’être finaliste à l’occasion de la première épreuve. Une finale que nous avons malheureusement perdu contre Bagadadji. Mais la deuxième année, nous avons gagné la finale contre Bamako-coura.
Après, grâce à la politique des jeunes menée par les autorités sportives de l’époque, beaucoup de jeunes qui avaient participé aux compétitions de pionnier se sont retrouvés en équipe nationale en 1963 pour préparer le voyage sur Djakarta. Où le Mali devait participer aux jeux des nouvelles forces montantes.
Finalement, nous avons été trois à être retenus pour ce tournoi. C’était Sivory, Diawoye et moi. Nous avons débuté tous en équipe nationale contre la Chine et après contre l’Indonésie. La participation du Mali n’a pas été extraordinaire mais pas décevante non plus. Mes débuts internationaux en Afrique remontent au match contre la Côte d’Ivoire à Abidjan. Je suis parti comme remplaçant, le Mali était mené un but à zéro, l’entraîneur Oumar Sy m’a fait monter et j’ai égalisé pour le Mali. Dans la foulée, j’ai fait un très bon match et tout est parti de là. Donc Abidjan a été un grand succès pour moi. Ce qui fait que quand je suis arrivé à Dakar, au Sénégal, quelques semaines après avec l’équipe du Mali, j’étais déjà attendu parce que les nouvelles d’Abidjan y étaient parvenues. Tout est parti rapidement.
Après, j’ai participé avec le Stade Malien de Bamako à la première Coupe d’Afrique des clubs champions. Nous nous sommes qualifiés d’abord pour le premier match aux dépens des Sénégalais. Après nous avons éliminé les Guinéens, puis les Ivoiriens, et on s’est retrouvé en demi-finale contre l’équipe championne d’Ethiopie que nous avons battue.
En finale, c’était contre l’Oryx de Douala. Malheureusement, nous avons perdu parce que ce jour-là, cette équipe camerounaise nous a proposé un jeu très physique qui nous a empêché de nous exprimer. L’équipe du Stade à cette époque était constituée de joueurs qui n’avaient pas beaucoup d’expériences. Donc, nous ne faisions pas le poids physiquement contre l’équipe camerounaise, et nous avons perdu par deux buts à un.
Lors de la deuxième année de cette même compétition en 1966, l’AS Réal représentait le Mali. Là encore nous avons fait un parcours remarquable. Nous sommes allés gagner au Liberia. Nous nous sommes qualifiés aux dépens des Guinéens, et après nous avons éliminé le détenteur du trophée l’Oryx de Douala.
En finale contre le Stade d’Abidjan, là aussi nous gagnons à Bamako par trois buts à un, mais malheureusement nous avons pris quatre buts à Abidjan. Je pense que nous n’avons pas eu beaucoup de chance. Parallèlement, les Aigles du Mali participaient aux premiers jeux africains à Brazzaville. Pendant cette compétition, nous sommes arrivés jusqu’en finale, où nous avons perdu contre le Congo par le nombre de corners. Donc en deux ans de 1965 à 1966, le Mali a joué trois finales de compétition africaine. Après la finale de la Coupe d’Afrique à Abidjan en 1966, j’ai eu beaucoup de problèmes avec le public malien, au point que j’ai dû m’exiler. Je suis parti à Saint-Etienne en France, où j’ai été champion de France trois fois et vainqueur de deux coupes de France. Après, je suis allé à Marseille, puis transféré à Valence, au Sporting de Lisbonne et aux Etats-Unis où j’ai fini ma carrière. A la fin de ma carrière, je suis revenu à Bamako.
Les gens qui ont suivi votre carrière pensent que vous avez été incontestablement l’un des meilleurs joueurs du monde de votre époque. Quelle a été la clé de votre réussite ?
C’est vrai que les gens ont toujours dit que j’étais parmi les meilleurs joueurs du monde, (le public, les différents entraineurs, la presse), donc cela doit être vrai. En ce qui concerne la clé de ma réussite, je pense qu’il y a eu plusieurs facteurs. Cela peut être dû à mes qualités physiques et techniques. Mais disons tout simplement que j’ai eu la possibilité de m’adapter à toutes les situations qui se sont présentées.
Comment est venu le sobriquet de Domingo ?
C’est venu très banalement. En vacance avec mes amis, nous sommes allés au cinéma Vox, et nous avons vu l’affiche d’un film mexicain. Nous nous sommes arrêtés pour regarder, et là un de mes amis Modibo qui voit quelque part Omega, Domingo, me dit, toi on va t’appeler Domingo et ton grand frère Omega. Je ne sais pas pourquoi et puis cela m’est resté.
Quel rapport entretenez-vous avec des grands joueurs de l’époque à l’image de Pélé, Eusebio ?
Avec Pelé, c’est juste de la politesse, quand nous nous voyons à l’occasion des grandes rencontres notamment des jubilés, nous discutons un peu puisque nous avons la chance de parler le portugais et l’anglais puisqu’il a fait aussi les Etats-Unis. Nous parlons souvent du football lors des grandes compétitions. Mais avec Eusebio c’est différent parce que je l’ai fréquenté beaucoup, et nous avons vécu dans la même ville à Lisbonne. J’étais plus proche de lui.
Votre période de gloire a coïncidé avec une époque où le noir était perçu autrement par les blancs. Sous quel prisme était perçu Salif Kéïta ?
C’était une époque où la jeunesse voulait s’exprimer. Aux Etats-Unis j’avais quelques réflexions fâcheuses qui venaient de certains mauvais perdants, mais globalement pour moi, je peux dire que ça s’est bien passé.
Comment vous avez pu négocier votre premier contrat avec Saint-Etienne ?
Quand je suis arrivé en France on ne m’attendait pas à Saint-Etienne. Je viens à la surprise générale de tous et je m’impose. Mais je ne voulais pas devenir professionnel car je voulais participer aux jeux africains qui étaient prévus à Bamako en 1968. Les professionnels ne pouvaient pas prendre part à la compétition. Quand je suis arrivé à Saint-Etienne, je n’avais pas ma lettre de sortie, du coup je ne pouvais pas faire de match officiel. Après la venue de ma lettre de sortie, j’ai fait mon premier match et on a voulu me donner un contrat. Je ne l’ai pas signé car je voulais jouer aux jeux africains. Donc je suis resté amateur et finalement les jeux n’ont pas eu lieu, et j’ai dû signer un contrat pro.
Un contrat qui a été d’ailleurs discuté à Bamako, car les dirigeants de Saint-Etienne se sont déplacés pour rencontrer mes conseillers.
Quels souvenirs gardez-vous de votre carrière ?
J’ai le souvenir d’avoir eu une belle histoire d’amour avec le public. Tantôt c’était le grand amour, mais parfois aussi c’était la tempête en fonction des résultats.
Peut-on savoir le nombre de trophées que vous avez remportés ?
C’est un peu difficile de les citer tous, mais les principaux sont : le ballon d’or africain, le soulier d’argent du 2ème meilleur buteur d’Europe, le trophée du premier Africain a être sacré meilleur joueur du championnat français, le trophée du meilleur étranger de France.
J’ai été beaucoup décoré aussi. Sans compter les nombreuses décorations de la FIFA, de la CAF et de certains Chefs d’Etat notamment malien, français, sénégalais. J’ai été aussi un symbole pour l’Afrique parce que j’ai été considéré comme l’Ambassadeur du football africain.
Après votre carrière, vous avez créé le Centre Salif Kéita (CSK), Quelle a été votre satisfaction ?
J’ai eu la joie et la fierté d’avoir formé de grands joueurs comme Seydou Kéïta, Djilla, Mamadou Diallo, Cheick T Diabaté, etc. Le CSK a formé beaucoup de jeunes joueurs, donc je suis fier d’avoir permis au football malien d’avoir des joueurs de haut niveau.
Je me rappelle quand je suis arrivé vers la fin des années 1980, le Mali avait seulement l’ambition de gagner la coupe Cabral. J’ai été nommé directeur technique, et j’ai fait savoir tout de suite aux gens que cela ne pouvait pas être l’ambition du Mali. Avec ma commission, on a essayé de faire un programme pour que le Mali puisse organiser la coupe d’Afrique qui devait avoir lieu en 1992. Mais malheureusement, c’est le Sénégal qui a été retenu. Nous n’avons pas pu nous qualifier mais notre ambition était d’être à cette phase finale pour commémorer les 20 ans de Yaoundé 1972.
Depuis Yaoundé 1972, le Mali ne s’était pas qualifié pour la Can, mais grâce aux jeunes que nous avons formés, le Mali a pu se relancer notamment grâce aux compétitions des jeunes qui ont permis a des joueurs comme Seydou, Djilla, de participer à la coupe du monde des juniors. Et ce sont ces mêmes joueurs qui ont joué la Can 2002. Dès lors, le Mali s’est qualifié régulièrement. Ce qui nous a permis d’avoir une certaine culture de la phase finale, car il est très difficile de gagner une compétition quand on n’a pas les moyens de la comprendre et de s’y habituer. Le Ghana, le Cameroun, l’Egypte, le Nigeria, ont la culture de la coupe d’Afrique. Ce qui fait qu’ils l’ont gagné à plusieurs fois. Le Brésil, l’Argentine, l’Allemagne pour ne citer qu’eux, ont la culture de la coupe du monde. C’est dire qu’ils ne vont à la coupe du monde que pour la gagner. Je pense que le Mali maintenant a pris l’habitude de participer aux phases finales.
Quelles peuvent être les chances du Mali en 2013 ?
Comme je viens de le dire, le Mali est à la phase que j’ai toujours souhaitée pour lui. C’est-à-dire être habitué à aller à une phase finale et ne pas faire de la huitième ou des quarts de finales une ambition. Quand on arrive à une phase finale, on veut la gagner. Donc le Mali est à cette phase. Les footballeurs maliens ont pris l’habitude de se qualifier depuis 2002 jusqu’à maintenant. Normalement, ils doivent pouvoir prendre les matches avec beaucoup de sérénité. En gros, je pense qu’avec beaucoup de chances, le Mali peut aller loin cette année.
Vous venez de passer les commandes du CSK à Ibrahim M’Bodj, il y a quelques semaines, peut-on savoir les raisons de cette décision ?
Je commence à prendre de l’âge, et je n’ai plus de motivation pour gérer une équipe de football, mais je ne veux pas que le CSK disparaisse. Raison pour laquelle nous nous sommes mis d’accord pour que je confie la gestion de l’équipe à M’Bodj, un jeune frère, qui avait ma faveur. Je lui fais confiance car il a l’habitude de diriger, notamment le Real de Bamako.
Quel regard portez-vous sur le football malien d’aujourd’hui ?
Il y a une mutation en cours. Le football malien au niveau des clubs doit évoluer vers le professionnalisme. Cela ne se fera pas sans difficulté. Partout dans le monde, les clubs sont en difficulté, mais c’est un mal nécessaire puisqu’il faut passer par là d’après ce que la FIFA a dit. Sur le plan technique, je dirai que nous constatons un petit recul des équipes de l’intérieur puisque les équipes des régions de Kayes, Sikasso, Mopti n’ont plus de représentant en première division. Par contre c’est réconfortant de voir Kidal y revenir. Un effort doit être fait pour remédier à cela car tous les clubs sont à Bamako. Mais cela est inhérent à la vie même dans les pays du tiers monde. C’est-à dire que pour réussir, il faut venir dans la capitale. Sinon je pense que le niveau de notre championnat est appréciable par rapport aux autres pays de la sous-région.
Que pensez-vous de notre équipe nationale senior à quelques semaines de la Can 2013 ?
Je l’avais déjà dit, les footballeurs maliens sont maintenant habitués à la phase finale et ils ont pris goût à la culture des grands matches.
Quelle était votre politique quand vous étiez président de la FEMAFOOT ?
Quand j’ai fini ma carrière aux Etats-Unis, j’ai eu le temps d’apprendre des choses. Et franchement je m’étais préparé pour gérer le football malien. C’est ainsi que quand je suis arrivé, j’ai été à la base de beaucoup de politiques pour mieux développer notre football notamment la construction du centre sportif de Kabala lors de la CAN 2002, l’obtention des terrains d’entraînement pour les clubs de première division, le sponsoring à travers la signature d’un contrat avec la société de téléphonie Ikatel (elle est devenue Orange-Mali) la mise en place de l’amicale des anciens footballeurs. Il y avait d’autres projets, qui n’ont pas malheureusement abouti comme l’éclairage des terrains d’entraînement des clubs. J’avais également souhaité faire la culture de l’hymne national du Mali lors des matches de football.
J’avais aussi proposé une politique de formation des jeunes, mais les gens n’y croyaient pas à l’époque. Une proposition qui a été rejetée, raison pour laquelle, j’ai créé le Centre Salif Kéïta (CSK) avec le résultat que tout le monde sait.
J’avais envisagé aussi que chaque club construise sur son terrain un réfectoire afin de permettre aux joueurs de bien manger après les entraînements.
Et que répondez-vous à ceux qui disent que vous n’avez rien rapporté au Mali en tant que footballeur ?
Moi, je pense que j’ai fait tout ce que Dieu m’a donné la chance de faire pour mon pays. J’ai mis mon talent au service de mon pays et de l’Afrique. Chaque fois qu’il a été question du Mali, je me suis toujours trouvé en première ligne. Je ne place rien au dessus de mon pays.
J’ai toujours su faire prévaloir ma fibre patriotique que ce soit à Bamako où ailleurs dans le monde. Que Dieu nous garde !
Propos recueillis par Alou B HAIDARA
c est que le mali na rien gagner avec lui mais il a montre comment gagner en craiant le csk.
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