Présent à Bamako avec sa famille pour les vacances, l’ex-international malien, Seydou Kéïta, communément appelé Seydoublen (ancien capitaine des Aigles du Mali, meilleur buteur avec la sélection nationale avec 25 buts) a bien voulu nous accorder une interview exclusive. Dans cet entretien, il évoque, entre autres, sa riche carrière footballistique, son quotidien, son avenir, ses exploits, ses regrets, ses relations avec Lionel Messi, Samuel Eto’o, Pep Guardiola. Sans oublier ses ambitions pour le Mali, ses actions humanitaires, ses investissements… L’ancien sociétaire de Marseille, de Lens, de Valence, de l’AS Roma, du FC Séville, du FC Barcelone… révèle tout, sans détour.
Aujourd’hui-Mali : Vous avez disparu de la scène du football, peut-on présumer que vous êtes déjà à la retraite ?
Seydou Kéïta : Evidemment, j’ai décidé de mettre un terme à ma carrière footballistique. Ce, pour diverses raisons, notamment pour une blessure, en plus la motivation n’y était plus et tout cela a coïncidé avec le décès de ma mère. C’est partant de toutes ces raisons que j’ai finalement décidé d’arrêter ma carrière après plusieurs années d’activités sportives au haut niveau.
Que devient donc Seydou ? En clair quel est votre quotidien de jeune retraité ?
Mon quotidien, c’est de m’occuper de ma famille, de prendre du temps avec ma femme et mes enfants pour leur donner la meilleure éducation possible. Quand j’étais footballeur, ma vie était partagée surtout entre les hôtels, les avions, les terrains de foot. C’est pour vous dire que je n’ai pas eu assez de temps pour être toujours à côté d’eux.
Maintenant je savoure ce rôle de père, de chef de famille et avec ça on se rend compte que la famille est plus importante que tout le reste.
Après cette retraite, est-ce qu’à l’image de certains anciens joueurs, vous songez déjà à la reconversion, notamment être entraîneur ?
Pour l’instant, l’intention d’entraîner est loin d’être dans mon agenda. L’important pour moi, aujourd’hui, c’est ma famille.
Et même pas la politique ou investir dans le milieu des affaires ?
Pour le moment, la politique ne m’intéresse pas beaucoup. Par contre, je suis déjà dans les affaires avec un ami du nom de Mohamed Kéïta.
Vous êtes cité par le magazine France Football parmi les 30 meilleurs footballeurs africains. Une fierté quand même pour vous ?
Bien sûr, c’est une fierté quand je regarde mon parcours et que je sois cité parmi les 30 meilleurs joueurs de l’histoire du football africain dans le même lot que Salif Kéïta, Didier Drogba, Samuel Eto’o Fils… Mais je considère tout cela comme du passé. A présent, je regarde vers le futur.
Avez-vous des souvenirs inoubliables en termes de satisfaction durant votre carrière ?
Oui, bien sûr ! Plusieurs souvenirs. Quand tu marques des buts pour ton pays et que tu vois des images de liesse dans les rues, cela donne satisfaction à tout footballeur. Pour un footballeur, il peut t’arriver de changer de club à plusieurs reprises, mais on ne peut jamais changer de pays. C’est pour vous dire que le poids de la responsabilité de la nation est plus important que tout. Par exemple, le premier match de la Can en 2002 au Stade du 26 Mars, quand on voit un président de la République (vous m’excusez pour l’expression) sauter de sa chaise comme un enfant après le but, on se rend compte que le football est extraordinaire.
Je me rappelle aussi de la 3ème place lors de la CAN 2012 au Gabon et en Guinée Equatoriale et lors de la CAN 2013 en Afrique du Sud.
Je me rappelle également du trophée de meilleur joueur de la Can Juniors en 1999. Sans compter les nombreuses distinctions remportées lors des différentes CAN et au niveau des clubs. Tout cela grâce au Bon Dieu.
Vous avez parlé des moments de satisfaction, il y a forcément des regrets aussi ?
Evidemment ! La vie est ainsi faite. Le plus important pour moi c’est espérer que le Mali gagne la Coupe d’Afrique des nations, que ce soit cette équipe ou une autre. Pour moi, l’important n’est pas tel joueur ou tel autre n’a pas gagné cette coupe, mais que le Mali gagne ce trophée.
Le fait que vous n’ayez pas gagné la Can malgré cette riche carrière à l’international doit vous marquer ?
Je n’ai pas gagné la Can, mais j’ai toujours donné le meilleur de moi-même dans chacune de mes apparitions sous les couleurs nationales en marquant des buts même si je n’étais pas attaquant. Arriver à marquer autant de buts, à savoir 25 buts, sans être un avant-centre, est une prouesse, surtout dans un pays où il y a eu les Salif Kéïta, les Kanouté, Cheick Fantamady Kéïta… Je considère que ce n’est pas mal et surtout d’avoir joué quatre demi-finales, même si j’ai toujours en regret le trophée.
Comme nous parlons de Can, quelle lecture faites-vous de la participation des Aigles du Mali à la dernière édition en Egypte ?
Quand on regarde les trois premiers matches, il y a forcément des regrets car les Aigles du Mali faisaient partie des meilleures équipes de cette Can. Bien avant cette compétition, le Mali n’était pas dans le cercle des favoris, mais après les trois sorties, les Aigles étaient cités comme étant des prétendants sérieux pour remporter le trophée. Avec l’élimination face à la Côte d’Ivoire, on était tous déçus parce que les Aigles du Mali avaient en main ce match et pourtant, ils l’ont perdu.
Mais il faut reconnaitre que cette sélection n’est pas mal. Ce n’est pas seulement mon analyse et tous les autres analystes en dehors du Mali disent les mêmes propos. Maintenant, je pense qu’il faut espérer que cette progression continue d’ici à 2021 et les autres années.
En tout cas, pour moi, nous avons aujourd’hui une équipe complète : du gardien de but aux défenseurs, aux latéraux et aux attaquants. Cependant, pour les autres années, on avait des équipes avec des attaquants en jambes, mais la défense ou le milieu n’était pas au top ou vice-versa. Ce qui n’est pas le cas de cette équipe qui a tout ce qu’il faut pour nous apporter un jour la coupe.
Donc, pour vous, il n’y a aucun secteur à parfaire ?
Bon, je pense que les joueurs peuvent toujours progresser car ils sont jeunes, mais ils ont ce qu’il faut pour pouvoir progresser et arriver au sommet.
Le football malien traverse depuis des années une crise profonde. Certains joueurs dont Frédéric Oumar Kanouté ont même donné leur avis sur cette crise. En tant qu’ancien capitaine des Aigles du Mali, quelle est votre analyse de la situation ?
C’est très difficile pour moi de me prononcer sur ce sujet car quand on ne maîtrise pas tous les paramètres, on n’a pas toutes les informations. Il faut se réserver de se prononcer pour ne pas faire un mauvais jugement.
A mon humble avis, ce qui devrait transcender les divergences des points de vue et d’intérêts, c’étaient d’abord le Mali et le football malien, surtout au vu des performances imprimées par nos équipes cadettes et juniors. Mais, le plus important, je me réjouis du dénouement heureux de la situation et félicite tous les acteurs du football et les autorités qui y sont investies.
Nous avons appris que vous investissez beaucoup dans l’humanitaire. Paradoxalement, il n’y a pas de communication autour de ces actions. Pourquoi ?
Vous savez, il y a deux façons de faire des actions humanitaires soit avec beaucoup de communication soit dans l’anonymat. Ceux qui le font avec une communication soutenue, c’est bien, parce que cela peut inciter d’autres personnes à faire pareil. Par contre, il y a un second groupe, qui estime que l’aide doit se faire dans la discrétion et j’adhère le plus à cette idée.
Sinon, socialement, je fais beaucoup, notamment à travers la construction de forages, de mosquées. Sans compter les dons dans le cadre du mois de Ramadan et de la Fête de Tabaski. Inch Allah, je continuerai à mener des actions humanitaires tant que le Bon Dieu me donnera la santé et la force nécessaire. Comme vous savez, le meilleur être humain est l’être solidaire.
Vous avez fait beaucoup de pays, notamment la France, l’Italie, l’Espagne, la Chine… Pourquoi vous avez porté votre choix sur Barcelone comme ville de résidence ?
J’ai mon premier garçon qui est né à Séville, les deux autres filles sont nées à Barcelone. Je considère que c’est l’endroit idéal pour la scolarité des enfants. Car mon souci premier, c’est leur éducation.
Etes-vous en contact avec votre ancien club, FC Barcelone, notamment avec l’ex-coach Pep Guardiola et des joueurs comme Lionel Messi et autres ?
Pep, on se parle souvent, mais quant à Messi, on se voit tous les jours car nos enfants sont dans les mêmes écoles. Si on ne se voit pas le matin, on se croise à la descente. Idem pour Luis Suarez et Coutinho…
J’ai eu la chance d’être bien dans les différents clubs avec tout le monde car il y a une autre vie après le football. C’est pourquoi il n’est pas bon d’être arrogant. Et si vous vous comportez de la sorte, les gens vont vous retournez cela en termes de respect.
Il paraît que vous n’êtes pas un fêtard et ne roulez pas dans les grosses cylindrées. Qu’est ce qui explique cette simplicité ?
Chacun à sa façon de voir les choses. Certains peuvent se sentir heureux au volant d’une Ferrari tout comme un autre à bord d’une Mercedes. En tout cas, de mon côté je me réserve beaucoup.
Est-ce qu’il y a un joueur, un entraîneur et un club dont vous gardez toujours un souvenir ?
Le joueur qui m’a le plus marqué, évidemment, c’est Lionel Messi que je considère comme le meilleur joueur du monde. D’autres te diront Cristiano Ronaldo, chacun à sa façon de voir les choses. Il y a aussi un autre joueur qui m’a beaucoup impressionné. Il s’agit de Dani Alvès, cela pour son endurance. Lorsqu’on était à Séville ensemble, après les matches, au moment où les autres joueurs étaient en récupération, lui il s’entraînait avec ceux qui n’avaient pas joué la veille. Il n’était jamais fatigué.
S’agissant de l’entraîneur, c’est Pep Guardiola que je considère comme l’un des meilleurs au monde. Bon, je peux dire que dans tous les clubs où j’ai joué, les entraîneurs m’ont beaucoup apporté car si vous regardez ma carrière, elle est toujours partie de manière évolutive. Cela veut dire que chaque fois que j’ai été dans un club, j’ai eu une progression significative.
Par exemple, il suffit de voir le cheminement de ma carrière : Lorient, Lens, Séville, FC Barcelone… Sans oublier mes débuts à Marseille et mon passage à la Roma, Valence et en fin de carrière en Chine et au Qatar.
Quant au club qui m’a le plus marqué, c’est bien évidemment le FC Barcelone car j’y ai gagné deux Ligues des champions. C’est un club qui a aussi de la notoriété. En plus, vient le FC Séville, même si j’y ai passé seulement une année, qui a été intense sur le plan sportif. A cause de mes performances, le FC Barcelone m’a recruté.
Au FC Lens, j’étais le capitaine et ma dernière année dans ce club était très riche car j’étais aussi le meilleur buteur de l’équipe et le meilleur passeur aussi. Les supporters m’avaient adoré, j’étais très proche aussi du président du club. Idem pour Valence et lorsque j’ai même voulu quitter, les dirigeants m’avaient proposé un très gros contrat avec le brassard de capitaine en plus. Mais malgré tout, j’ai décidé d’aller à la Roma en Italie ou j’ai été aussi désigné capitaine.
Donc, il m’est souvent difficile de faire un choix parmi ces clubs qui m’ont tous apporté quelque chose dans ma carrière de footballeur. Je n’ai aucun regret de mon passage dans les clubs respectifs.
Et vos rapports avec Samuel Eto’o fils, votre ancien coéquipier du FC Barcelone ?
Samuel est un très bon ami. Vous savez, mon admiration envers mes coéquipiers n’a jamais reposé sur leurs qualités footballistiques sur le terrain, mais plutôt sur le plan humain.
Je vais vous faire une révélation : Lorsque j’ai signé au FC Barcelone, quand j’étais à l’hôtel, Samuel est venu me voir et après son cuisinier m’a amené un repas.
Humainement, Samuel est quelqu’un de très bien. Vous voyez, quand quelqu’un vous fait des gestes comme ça, vous ne pouvez pas l’oublier. Il a un grand respect pour ma personne. Peut-être, c’est dû aussi à ma façon de vivre. Il m’a toujours considéré comme quelqu’un de très droit qui n’est pas dans les combines de gauche à droite. Ce respect-là a toujours existé entre nous.
Votre fils est-il sur vos traces ?
(Rires). Il a 11 ans aujourd’hui. Il a commencé avec le foot, il n’est pas mal du tout. Je considère qu’il a aussi sa chance, même si tout le monde ne peut pas être footballeur. Mais je considère qu’à son âge, il fait mieux que moi lorsque j’avais 11 ans.
Cependant, le plus important pour moi, c’est de le mettre dans les bonnes écoles, même si moi-même je n’ai pas eu cette chance. Mais grâce à mon travail, j’ai pu inscrire mes frères, sœurs et cousins dans les meilleures écoles et ils sont aujourd’hui des banquiers ou travaillent dans d’autres secteurs. Cela est une fierté pour ma modeste personne. Mon objectif pour le garçon, c’est qu’il arrive à un stade où je n’ai pas été. Après, s’il n’est pas footballeur, qu’il ait une belle réussite dans sa vie à travers ses études.
Même si vous êtes à la retraite, au moins vous devriez avoir des projets en termes d’investissements ?
Dans l’immédiat, j’ai un projet de centre de formation en football. J’ai déjà pris attache avec Jean-Marc Guillou et j’ai déjà acquis un terrain pour cela. Je veux mettre sur place un très grand centre. Pas un soi-disant centre de formation, mais un centre digne de ce nom.
Parait-il, vous avez signé de gros contrats durant votre carrière professionnelle ?
Bien sûr ! Mais je pense que le salaire des gens, telle personne à des milliards ou des millions, est plutôt d’ordre privé. Et personne n’aime dire son salaire sur la place publique. Par exemple, je vais vous faire une confidence, maintenant que j’ai arrêté de jouer au football. Je continue de gagner beaucoup plus d’argent aujourd’hui que lorsque je jouais au FC Séville en tant que professionnel. Tout cela grâce aux investissements que j’ai pu mettre sur place.
Votre mot de la fin et votre souhait ?
C’est voir la paix retourner au Mali. C’est mon souhait le plus ardent, nuit et jour. Je profite de votre tribune pour remercier le journal Aujourd’hui-Mali et tout le public sportif qui m’a soutenu durant toute ma carrière.
Réalisée par El Hadj A.B. HAIDARA et Kassoum THERA
Il est toujours sage ce Seydou !
C’est bien de construire les mosquées. Mais aujourd’hui le pays a plus besoin d’école.
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