Dans le cadre des éliminatoires de la Can Sénégal-92, les Aigles du Mali reçoivent les Lions Indomptables le 28 avril 1991. Hélas ! A la veille de ce match un événement malheureux et inédit s’est produit, et dont les conséquences collatérales influent négativement sur la rencontre. Comment ? Trente-deux après nous revenons sur cette journée du 28 avril 1991, sous le temple de la chronique “Regard sur le passé”.
Pour ces éliminatoires, la poule du Mali était constituée de la Guinée-Conakry, du Cameroun et de la Sierra Léone. Logiquement les Camerounais étaient les supers favoris. Pourtant les Aigles les ont défiés à Yaoundé immédiatement après leur exploit à la Coupe du monde. C’était le 19 août 1990. Ce fut le début d’une série de matches nuls pour les nôtres : un but partout face à la Guinée à Bamako le 2 septembre 1991, et 0 à 0 contre la Sierra Léone le 14 avril au stade Omnisports. Ce match a sa particularité, par le suspense occasionné par la venue d’un renfort de taille : Fernand Coulibaly. Seulement que le rêve des Maliens se transforme en cauchemar, par ce qu’on a appelé “Affaire Fernand”. Mais que s’est-il passé?
D’abord pour avoir joué avec l’équipe nationale espoir de la France, sa situation administrative n’était pas claire. Aussi Fernand a posé des conditions : le quart de sa prime en France, soit 625 000 F CFA. Or à l’époque la prime de victoire en équipe nationale était de 30 000 F CFA. Donc il n’a pas joué contre la Sierra Léone. Le lendemain sur les antennes de la RTM, il confirme sa revendication. Bon nombre de Maliens n’apprécient pas son attitude, et certains le menacent de l’article 320, à la mode au lendemain des événements du 26 mars. Les Aigles doivent rencontrer deux semaines après les Lions Indomptables du Cameroun. Entre-temps Fernand Coulibaly est revenu à de meilleurs sentiments.
Etincelant, vivace et percutant, il se dit motivé et promet d’écrire l’une des plus belles pages de l’histoire du football malien à travers ce match contre le Cameroun. La fièvre monte à Bamako, et tous les jours le stade Omnisports est pris d’assaut pour suivre les séances d’entraînement des Aigles du Mali.
Tout d’un coup, le 27 avril 1991, les militaires décident de marcher pacifiquement sur le ministère de la Défense pour réclamer de meilleures conditions de vie et de travail. Arrivés au niveau du lycée Askia Mohamed, ils sont pris à partie par les élèves dudit établissement. Ceux-ci désapprouvent le comportement des militaires parce qu’ils sont accusés d’avoir massacré quelques semaines plutôt des dizaines d’étudiants.
La situation dégénère et les militaires font irruption dans le lycée. Bonjour les dégâts : le lycée est saccagé, les élèves et certains professeurs sont tabassés, des dizaines de motos sont brûlées. Le même jour, en représailles, les commissariats de Bamako sont incendiés. C’est dans cette atmosphère de confusion totale que Mali doit rencontrer le lendemain le Cameroun.
Il est évident que le maintien d’ordre ne sera pas assuré par les hommes de tenue. Le ministère des Sports et la Fédération malienne de football n’ont pas eu le réflexe de reporter le match. Ils ont eu confiance aux jeunes des associations démocratique et une cinquantaine de militaires qui s’étaient proposés pour le maintien d’ordre. Avant même le coup d’envoi ils sont débordés, les supporters forcent le passage et le stade est archicomble.
Avec plus de 35 000 spectateurs, l’ambiance est électrique dans les gradins, malgré un coup dur sur l’âme des Maliens. Oui à 24 h de ce match à haut risque, notre confrère et doyen Djibril Traoré appelle depuis la France pour alerter que la situation administrative de Fernand Coulibaly ne lui permet pas de jouer contre le Cameroun. L’espoir suscité par sa volonté de servir son pays d’origine vole en éclats.
Malgré tout l’optimisme demeure dans l’emblématique stade Omnisports de Bamako. Pour aborder ce match, l’entraîneur national Kidian Diallo opte pour un système de jeu défensif avec deux stoppeurs Moussa Kéïta dit Dougoutigui et Aly Diarra, le doyen Fagnery Diarra assurant la garde de la maison avec son statut de libéro.
Feu Gaoussou Samaké, Amadou Pathé Vieux Diallo, Boubacar Sanogo animent le bastion offensif pour contenir les assauts sporadiques des Camerounais. Faut-il rappeler que ce jour les visiteurs ont joué sans complexe. Les Aigles tiennent pendant toute la première mi-temps. En seconde période difficile d’expliquer comment ils finissent par craquer sous la pression des Lions Indomptables. Jacob Ewandé marque le premier but, et crée une douche froide dans les gradins.
L’une des raisons principales de la dégringolade des nôtres est cette sortie inattendue du deuxième stoppeur, Aly Diarra. Il a gagné pratiquement tous les duels face à François Omam Biyik. Il lui arrivait d’assener des coups de tête pour calmer ses ardeurs. Le remplacement de son garde du corps le libéra. L’attaquant mondialiste profite d’une longue relance du portier Joseph Antoine Bell. Il se balade avec la défense malienne, et du pied gauche exécute le gardien, feu Ousmane Farota. Les supporters jusque-là, malgré l’absence des forces de l’ordre, soutenaient leur équipe dans un fair-play des grands jours. Mais le deuxième but camerounais chauffe les esprits et provoque l’arrêt du match.
Les quelques militaires impuissants face à la situation prennent quand même le soin de sécuriser les visiteurs carrément abasourdis. Surtout que le Mali par l’application de l’article 320 (brûler vif), est toujours à la une de l’actualité dans le monde.
Finalement le trio arbitral rejoint les vestiaires. Il faut maintenant s’attendre aux sanctions de la Confédération africaine de football (Caf). Le stade Omnisports est suspendu pour un an. D’ailleurs, les Aigles n’ont plus de matches à jouer à domicile. Pour la suite de la compétition ils s’inclinent à Conakry le 14 juillet 1991 (2 buts à 1) et à Freetown le 28 juillet (2 buts à 0). Ce jour-là Fagnery Diarra prend sa retraite avec l’équipe nationale. Voilà comment pour la nième fois les Aigles peinent à se qualifier pour une phase finale de Can. Dans la même foulée, l’entraîneur national Kidian Diallo rend le tablier. Pour les éliminatoires de Tunis 1994, Molobaly Sissoko dirige l’encadrement technique des Aigles. Il fait de son mieux, avant d’être remplacé par feu Mamadou Kéïta dit Capi. A l’issue des deux dernières journées, le Mali décroche sa qualification après vingt-deux ans d’absence.
O. Roger (00223 63 88 24 23)