Moussa Kéïta dit “Moïse le sauveur” révèle que c’est Idrissou Touré qui l’a fait intégrer dans le giron des équipes nationales du Mali en 1989. A l’époque, il était le médecin de l’AS Réal de Bamako. Quand, à la faveur de l’entretien avec Idrissou pour la rubrique de la semaine dernière (que vous avez sans doute déjà lue), nous avons demandé à celui-ci ce qu’il pense de Moïse, il le caricature comme un homme sérieux dans le travail, discipliné, loyal et techniquement très fort. Les propos de son mentor sont-ils complaisants ? Loin s’en faut. Notre entretien avec le sauveur a plutôt contribué à assoir notre conviction sur son savoir vivre. Comment nous l’avons su ? En 1997, un ancien joueur du Réal, Fousseyni Sissoko (le frangin de votre fidèle serviteur, exilé en Côte d’Ivoire à l’époque) nous chargea de remettre une lettre à Moïse. Au terme de ses remerciements, pour notre disponibilité et la reconnaissance de notre frère, il nous dit qu’il travaille au centre médical de l’INPS, et de le contacter au besoin, pour n’importe quel problème. L’incarnation de la gentillesse ! Son surnom “le sauveur” est consécutif à un fait banal. Lors d’un match de championnat entre le Stade malien de Bamako et l’AS Réal en 1984, le fond de la culotte du défenseur réaliste Mamadou Diarra, à la suite d’un tacle, s’est déchiré. C’est sur cette action que l’arbitre siffla la mi-temps, et Moise profita pour apporter des soins au joueur. Et Antoine Sah de l’interpeller sur l’état de la culotte de Madou Diarra. Du coup, il sort une aiguille et coud la partie déchirée de la culotte à la satisfaction du joueur. Antoine Sah, en bon chrétien, le surnomma “Moïse le sauveur”. L’histoire de Moïse le sauveur est un concours de circonstances fait de coups de chance et d’opportunités. Quelle explication donne-t-il aux coups d’éclats de son histoire ? Pour mieux comprendre les rebondissements qui ont émaillé sa vie, nous sommes allés à sa rencontre dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” L’entretien s’est déroulé à la Maison des Jeunes de Bamako, sur les berges du fleuve Niger.
natif de Sandama dans l’arrondissement central de Siby, Moïse, après son échec au DEF en 1970, devrait reprendre l’examen à Bancoumana. Face au refus du directeur d’école d’accueillir et d’héberger les recalés de Siby, il retourne au village la mort dans l’âme. Avec ses potentialités en Maths et Physique, l’espoir de décrocher un diplôme venait de s’envoler en éclats. La suite nous édifiera sur son destin.
Moïse est un homme aimable, jovial et simple et nous étions estomaqués de savoir qu’il pratique des arts martiaux. Parce qu’il est impensable que Moïse puisse s’énerver ou même se battre. Lui-même a une explication et revient sur son parcours : “En tant que masseur, il est normal que je sois toujours en forme. Ce travail demande aussi le contact, et dans ce cadre, j’effectue beaucoup de déplacements avec les différentes équipes nationales. La situation peut dégénérer à tout moment, et je pourrai avoir besoin de mes atouts techniques pour me défendre. Au début, j’avais une moto, et les bandits n’hésitaient pas à attaquer les gens sur mon tronçon, à l’ACI 2000 et les abords du camp-Para de Djicoroni. J’ai pratiqué d’abord l’aïkido de 1981 à 1987, et le taekwondo de 1990 à nos jours où je suis au niveau de la ceinture noire, 4è dan”.
“Le chanceux vend de l’eau même au bord du fleuve”
Moussa Kéïta dit Moïse est un infirmier d’Etat, (il a fait l’ESS de 1999 à 2002) kiné et masseur des équipes nationales du Mali. Il a distingué trois sortes de massage : le fleurage (un massage très léger d’avant match), le massage de profondeur (pour la récupération du joueur après le match), et le massage de rééducation (à la suite d’un accident ou d’une opération).
Il définit le médecin comme la colonne vertébrale de l’équipe, le complice de l’entraineur. Pour lui, un homme sain vaut mieux que deux malades sur un terrain.
Pour expliquer son destin, Moïse dit que quand la volonté de Dieu veut s’appliquer, les obstacles deviennent des avantages. Cette assertion qui a l’allure philosophique suffit vraiment pour comprendre que tout homme suit son destin.
Donc, pour en revenir à l’épisode du DEF raté en 1970, après l’hivernage, le jeune Moussa rejoint, à Bamako, son grand frère Balla Kéïta.
Mécanicien de son état, il utilisait son cadet comme apprenti jusqu’à ce jour de 1973, où un de ses amis, Seydou Kamissoko, lui fait une proposition. Il demande que Moïse soit bénévole à ses côtés aux Grandes Endémies.
Disponible et entreprenant, un coopérant français, J. Coulm fait de lui son homme de confiance. Il l’initie à la petite chirurgie pendant trois ans, et l’inscrit à l’école Jamo.
De retour aux Grandes Endémies en 1981 après sa formation, il est découvert par le Docteur Cheick Oumar Kane, reconnu de tout le monde pour sa connaissance des maux articulaires. C’est là qu’il apprend les techniques de massage, de la rééducation pour être un agent pilote de son chef.
En 1982, Moise sollicite un stage à l’INPS, pour prétendre au projet de réalisation de la route Sévaré-Gao (ARSEG). Encore pas de chance d’être retenu dans l’équipe médicale du chantier, il prend au moins le soin de déposer une demande d’embauche avant de retourner chez le Dr Kane.
Moïse rencontre Salif Diarra, ancien trésorier de la Femafoot. A l’époque, celui-ci était le fondé de pouvoir de l’INPS (l’actuel poste d’Agent comptable), et était venu chez le Dr Kane pour des séances de rééducation. Confié à l’ancien masseur des Aigles, le patient ne manque pas de mots pour faire ses éloges à son mentor. Dr Kane sachant bien que Moise avait sa demande d’embauche à l’INPS profita pour en parler à Salif Diarra. Voilà que le sauveur est recruté comme aide-soignant en mars 1984.
Nous avons affirmé que la vie de Moïse est le fruit d’un concours de circonstances, compte tenu de l’évolution de son parcours. Son embauche à l’INPS coïncide avec la Coupe Corpo. Son patron, Cheick Oumar Camara dit Zico, médecin des équipes du service et de l’AS Réal de Bamako, l’intégra dans les staffs la même année. Voilà comment Moïse le sauveur a passé dix-neuf ans sur le banc de touche des Scorpions, comme médecin d’équipe, gratuitement. Parce qu’il soutient n’avoir reçu un centime comme compensation de ses services.
30 ans au service des sélections…
Il ne regrette point ce passé, pour avoir été sollicité par Idrissou Touré en 1989, à la faveur du tournoi national cadets inter ligues. Un coup d’essai aura été le début d’une riche carrière dans l’encadrement des différentes équipes nationales (toutes catégories confondues), qui dura 30 longues années (1989-2019).
A son actif, 8 phases finales de CAN Seniors (2002, 2004, 2008, 2010, 2012, 2015, 2017 et 2019), 4 coupes Amilcar Cabral (1991, 1993, 1997 et 2001), 2 CAN Cadets (1995 et 1999), 2 phases finales de coupes du monde Cadets et Juniors respectivement en 1999 et 2011, une coupe d’Afrique militaire jouée au Mali en 2004.
Dans le domaine du taekwondo, il a participé aux éliminatoires des J.O de 2008, à Manchester, aux Jeux Africains en Algérie (2007), au Championnat du monde Juniors au Vietnam (2006), au Championnat Ouest-africain (1997, 1999, 2000, 2001et 2002), à la coupe ONATEL au Burkina Faso (1997, 1998, 1999 et 2000).
Avec le Réal, il a remporté 2 coupes du Mali de football (1989 et 1991), Pourquoi, Moïse a-t-il raté deux CAN après avoir participé à toutes les éliminatoires ? Moïse explique : “Je n’ai pas participé à deux CAN, Tunis 94 et Afrique du Sud 2013. Pour la première, je n’ai pas participé parce que je n’ai pas voulu partager ma prime de qualification. La personne qui m’a fait ce coup, saura en lisant ces lignes que je ne mens pas. En 2013, à la veille du voyage, nous sommes revenus à la maison pour préparer nos bagages et retourner à Kabala, pour ensuite rallier l’aéroport. Ce jour, les militants de Yérè Wolo Ton manifestaient en ville et j’étais obligé de prendre le 3è pont. Au niveau de la pâtisserie Relax, j’ai cogné un arbre parce que j’ai dormi au volant. En réalité, j’étais fatigué, parce que la veille, j’ai passé presque la moitié de la nuit à travailler sur les joueurs. Admis à l’hôpital, je me suis entièrement pris en charge. Mieux, il n’était pas prévu que le Mali dépassera le premier tour. Les Aigles ont même atteint les ½ finales. Ce qui a provoqué un déficit dans le stock de médicaments.
Et jusqu’au retour de l’équipe, j’ai été sollicité pour envoyer des produits, pour un montant de six cent mille (600 000) FCFA. Des factures qui n’ont jamais été remboursées, là aussi je mets au défi quiconque d’apporter une réplique à mes déclarations. J’ai les pièces justificatives de mon traitement suite à l’accident, et des médicaments envoyés aux joueurs. Parce que les dirigeants ont travaillé sur une élimination de l’équipe dès le premier tour.”
Moïse a fait valoir ses droits à la retraite en 2012, mais, sur initiative des responsables de l’INPS, il continue de faire des prestations. Mieux, il a créé une infirmerie à son domicile pour les consultations de proximité, puisqu’à l’arrivée du nouveau bureau fédéral il a été remercié au motif qu’il est vieux. Les joueurs ont protesté, mais “le sauveur a été libéré”. Pour l’amour du pays et de son métier, il en prend acte.
La coupe Amilcar Cabral de 1997, la CAN de 2012, l’environnement sportif durant toute sa carrière sont ses bons souvenirs.
Par contre, il soutient qu’il ne gère pas les mauvais souvenirs parce qu’il est parvenu à les surmonter pour servir son pays.
Actuellement, Moussa Kéïta dit “Moïse le sauveur” est le médecin de l’AFE et de l’équipe de la BNDA.
Pour ses temps libres, il va à la Maison des jeunes, pour respecter les vœux de son ami, feu Souleymane Seyba dit Souley, ancien restaurateur des équipes nationales du Mali, qui l’avait conseillé de ne pas abandonner les jeunes.
Marié, Moussa Kéïta est père de 9 enfants dont 6 filles parmi lesquelles 5 sont mariées. O. Roger Sissoko
Tél : (00223) 63 88 24 23
Aujourd’hui-Mali N°219 du vendredi 12 Juin 2020.