A 73 ans et trainant un mal de genou, Molobaly Sissoko est pourtant toujours actif pour diriger son centre de formation de jeunes à Kati Sananfara. La détérioration d’une partie du terrain d’entrainement par les pluies diluviennes, n’a nullement affecté sa détermination à exercer un métier devenu, plus qu’une passion, sa raison d’être dans la vie, à savoir le coaching doublé de la formation des jeunes. Heureusement que le directeur de l’école lui a cédé une partie de la cour pour les besoins de gestion de son centre. C’est dire que nous avons cherché et retrouvé les traces de l’ancien entraineur des Aigles. Molo, comme on l’appelle communément, nous a reçus le week-end dernier sous la véranda de l’école susmentionnée, pendant que ses jeunots s’exerçaient aux techniques de jonglages et de dribbles. Il nous dit tout sur sa carrière liée au sport dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
Molobaly Sissoko est cet entraineur qui a posé les jalons de la qualification des Aigles, pour la CAN de Tunisie 1994, avec une victoire et un match nul.
Tunis 94 : Molo au début du conte de fée
Puis, suivront deux défaites contre l’Egypte et le Maroc. Nommé ministre en charge des Sports, Boubacar Karamoko Coulibaly fait remplacer Molobaly par feu Mamadou Keïta dit Capi pour gérer les deux derniers matches. Coup de chance: les Aigles se qualifient héroïquement le 25 juillet 1993, 22 ans après Yaoundé 1972. Au-delà de l’euphorie, l’histoire retient que Capi est à la conclusion de cet exploit, mais que le mérite en revient à Molo qui avait été nommé Directeur Technique National après son limogeage. Mais, injustice, Molobaly n’a jamais réellement et officiellement occupé ce poste. La preuve : il a été écarté de la délégation malienne pour la CAN 1994. Il a suivi l’événement devant le petit écran, mais est resté très attaché à l’équipe nationale. Même quand feu Mory Goïta a su que Capi n’amènera pas Djibril Diawara à la CAN, il a demandé à Molobaly d’intervenir auprès de son successeur. Effectivement, il a approché l’entraineur des Aigles pour lui dire de comprendre les jeunes. Et que si Djibril est sorti la nuit, c’est parce que le quartier libre a été accordé à toute l’équipe. C’est par le pur hasard que lui, Capi, et son joueur vedette, se sont retrouvés quelque part en ville. Il lui conseille de ne pas mettre en exécution son plan, qui consistait à écarter le jeune Diawara. Selon Molo, Capi l’a religieusement écouté, mais il ne lui a rien promis. Après la publication de la liste, il a fait le constat amer, comme tout le peuple malien, que Djibril Diawara n’a pas été retenu pour la CAN.
Au retour de l’équipe nationale de la Tunisie, l’Etat lui offre un terrain et une somme de 250 000 Fcfa, discrètement, par l’intermédiaire de Idrissa Traoré dit Poker, alors assistant de Capi dans l’encadrement technique des Aigles. N’eut été l’intervention de ses parents, il allait refuser de prendre l’argent. Parce qu’à l’en croire, la bonne manière a manqué et il sait pourquoi et comment il a accepté d’être l’entraineur des Aigles en 1992, en remplacement de Kidian Diallo.
Le département des Sports lui a fait savoir que le pays traverse une situation financière catastrophique après les événements du 26 mars 1991. Donc, pas de salaire, mais 45 000 Fcfa de dotation en carburant. Plus tard, cette prime sera revue à la hausse et portée à 125 000 Fcfa. Molo témoigne qu’en plus de cette dotation dérisoire, il a travaillé et voyagé dans des conditions extrêmement difficiles. “Tout cela est normal”, dit-il, parce qu’aucun sacrifice n’est de trop pour défendre les couleurs de la patrie.
Victime d’un complot
Mais le problème est qu’il pense qu’il a été victime d’un complot pour être débarqué de l’encadrement technique des Aigles. Comment ? A-t-il des preuves ? Molobaly cadre les faits : “Aujourd’hui, Mamadou Keïta dit Capi ne vit pas, donc il est indécent que je mente sur lui. Il a rappelé un jour un joueur à l’ordre, en disant qu’il ne saurait lui faire confiance. Parce qu’il a trahi Molobaly afin que lui Capi soit aux commandes de l’équipe nationale. Autrement dit, le même joueur serait capable de poignarder Capi aussi au profit d’un autre entraineur. C’est une façon pour moi de convaincre l’opinion nationale de ce qui s’est passé. Rien ne m’empêchait de gagner les deux matches à Bamako. Très sincèrement, j’étais de cœur avec l’équipe, sinon je n’allais pas accepter le poste de DTN ou intervenir auprès de Capi par rapport à l’affaire Djibril Diawara”.
Dernier né d’une grande famille, Molo a failli ne pas réussir à cause du dorlotement et de la passivité de sa maman. Son grand frère, Adama Sissoko (père de l’ex Première dame, Mariam Traoré) le récupère pour l’amener en France. En 1967, muni du Brevet d’Etudes de Premier Cycle (Bepc), il s’envola pour la Faculté des Sports de l’Albasic en Allemagne.
A son retour, il est professeur d’EPS à l’école JPK de Kati de 1970 à 1971, avant de bénéficier en 1972 d’une bourse pour un stage à Dakar. De là-bas, il est admis au concours d’entrée à l’Institut National des Sports de Paris, section Afrique et Malgache, pour devenir entraineur de haut niveau. Ses relations avec l’ancien sélectionneur de France, Aimé Jacquet, sont nées dans cet établissement. Cette aventure sonnera également son départ de la Fonction Publique, parce qu’il n’est plus revenu au Mali à la fin de ses études.
Un entraîneur
de haut niveau
Molobaly dirige le centre de formation du FC Epinay Saint Sénart, et est régisseur à la mairie de cette ville jusqu’en 1979. Date à laquelle Molo rejoint la Corse pour trois ans.
Après dix ans d’aventure, l’enfant de Kati Sananfara décide de retourner au Mali en 1982 et crée une école de football dans sa ville natale. Les parents des mômes ont apprécié cette initiative, parce que pratiquement tous les enfants se retrouvaient chez Molo, pour apprendre à jouer au ballon. Un fait qui tranquillisait aussi les géniteurs, convaincus au moins que leurs enfants n’allaient pas tomber dans la délinquance ou autres travers de la vie. C’est pourquoi, il n’a pas été facile pour Molo de les convaincre quand les dirigeants sont venus le voir pour entrainer le Stade malien de Bamako en 1985. Pour toute solution, il choisit les samedis et dimanches pour s’occuper de ses gamins et jeunots et s’engouffra dans le bateau des Blancs de Bamako pour trois saisons, sanctionnées par deux coupes du Mali (1985 et 1986 toutes remportées face au Djoliba AC).
Il quitte la barre stadiste pour rejoindre le nid des Scorpions où il remporte sa troisième coupe du Mali en 1989 (encore au détriment du Djoliba).
Qu’est-ce qui a conduit au divorce avec le Stade Malien de Bamako, et pourquoi Molobaly a-t-il abandonné l’AS Réalpendant que les dirigeants avaient mûri un beau projet à travers la restructuration du club ?
Notre héros du jour donne sa version des faits : “J’ai quitté l’encadrement technique du Stade parce que l’unité autour de l’entraineur faisait défaut. Les dirigeants n’étaient pas d’accord avec mes principes sur les joueurs, même les supporters. Un jour, Yacouba Traoré dit Yaba est venu en retard de trente minutes. Je lui ai qu’il va courir la durée équivalente à son retard. Des supporters ont manifesté ouvertement leur désapprobation par rapport à ma décision. J’ai maintenu ma décision de punir Yaba, qui d’ailleurs n’a pas bronché. Les joueurs du Stade étaient en quelque sorte des enfants gâtés de la cité. Or, le coaching a ses exigences. En un moment donné, j’ai pris la décision de rendre le tablier.
C’est après que Salif Keïta dit Domingo m’a proposé de prendre son ancien club. Nous nous fréquentions en France et une certaine affinité s’est installée entre nous de telle sorte que je ne pouvais pas lui refuser ce service. Mais là aussi, les retards de salaires m’ont obligé à démissionner. Salif sur lequel je pouvais compter n’a pas mis en exergue toutes les exigences que lui imposaient nos relations. Finalement, j’ai mis fin à notre collaboration. Je vous avoue que jusqu’à présent le club me doit des arriérés de salaires s’élevant à 520 000 Fcfa “.
Après toutes ces aventures et son épisode d’avec les Aigles, il fera un tour au Sigui de Kayes, puis au Mamahira de Kati, avant de déménager à Koutiala pour créer un centre et entrainer l’Etoile Filante de Koutiala. Ses parents ne lui ont pas donné le temps de rester longtemps dans la capitale de l’or blanc. Ils sont allés le chercher, et depuis, Molobaly Sissoko s’occupe de ses jeunes sur le terrain de Kati Sananfara.
Avec l’hivernage, une partie du terrain d’entrainement a été fortement endommagée. Comment faire avec cette nouvelle situation ? Le temps pour Molo de trouver une réponse ou un plan B pour ne pas désorienter les jeunots, le directeur Cheick Oumar Diallo lui propose de coacher désormais ses jeunes dans la cour de l’école, pendant le week-end. C’est dans l’enceinte de l’établissement que Molobaly Sissoko nous a reçus. Venus chez lui sans le prévenir, l’ancien entraineur des Aigles n’a posé aucun problème et a exigé à parler au directeur du journal, pour lui dire qu’il l’a ressuscité. Parce que, rarement, le monde sportif pense à lui dans son petit coin à Kati Sananfara.
Pourquoi à son âge, il continue de consacrer sa vie au coaching, surtout avec les enfants ? Quel message un entraineur peut-il donner à ses joueurs à la veille d’un match ?
A ces questions, Molobaly Sissoko ne tourne pas autour du pot et répond que sa vie est liée au football, pour l’avoir choisi. Raison pour laquelle il trouve du plaisir au milieu des enfants tous les week-ends. Ceux-ci sont même ses petits-enfants, il ne saurait prendre aucune mesure radicale contre qui que ce soit. Sinon, beaucoup d’entre eux ne paient pas régulièrement les cotisations mensuelles fixées à 1000 Fcfa. Pour ce qui est du message d’un coach pour doper le cœur de ses joueurs, Molo dit qu’il dépend de l’enjeu des rencontres. Selon lui, un entraineur ne doit pas trop mettre ses joueurs en confiance et ne doit pas aussi leur faire peur. En parlant aux joueurs, il doit éviter de minimiser l’adversaire ou de le surestimer.
En sa qualité d’entraineur de haut niveau, quelle recette peut-il conseiller
à son cadet Mohamed Magassouba, entraineur par intérim des Aigles ?
Molobaly Sissoko soutient que l’actuel coach des Aigles a jeté les bases d’un (autre) renouveau de notre football par la mobilisation d’éléments promoteurs qui, entourés de bonnes volontés de la part de tous les acteurs au développement de ce sport, pourront mener loin la discipline. Cependant, il prédit que cette équipe peut engranger des résultats performants à condition qu’on donne à Magassouba le temps de gravir les marches menant à la gloire, à son rythme.
Molobaly termine en disant qu’il ne faut pas se faire d’illusions car pour s’imposer au haut niveau, les joueurs, dans leur majorité doivent, à leurs postes respectifs, être parmi les meilleurs. Parce que cet élément d’appréciation est mal maîtrisé par la plupart des acteurs du football.
Ancien conseiller municipal à la mairie de Kati, professeur d’EPS, médaillé de bronze Jeunesse et Sports de Paris, instructeur national de la Femafoot, ancien entraineur des Aigles et de plusieurs clubs d’élite, ancien DTN, Molobaly Sissoko a vraiment un palmarès bien fourni. Actuellement, il dirige son centre de formation de jeunes sur le terrain de Kati Sananfara. Apparemment, il ne se plaint pas trop et vit d’ailleurs bien.
Il est marié et père de 3 enfants dont 2 filles, qui l’entretiennent très bien. Ce qui lui permet d’investir dans son centre les appuis qu’il reçoit des bonnes volontés. Longue vie coach !
O. Roger Sissoko