Baladji Cissé est le pionnier de la boxe malienne. Né en 1922, il a consacré toute sa vie à la discipline, pour avoir été boxeur bien avant les indépendances en 1960, entraîneur et dirigeant. Le président Alpha Oumar Konaré, en son temps, a tenu à lui rendre un vibrant hommage. A sa suite, on retrouva la génération de l’intrépide Soungalo Bagayoko. Oui, ce jeune qui avait des pétards dans les gants, pour paraphraser le doyen feu Demba Coulibaly. Nous avons encore en mémoire les commentaires de l’animateur, feu Balla Moussa Kéïta, lors du combat qui a opposé Soungalo à Attivor, envoyé au tapis par le Malien. Malheureusement, un an après, Eddie Gregory plongea tout Bamako dans un silence de cimetière, en battant l’enfant chouchou de la boxe malienne. Hélas ! Autre temps, autre réalité et beaucoup d’eau a coulé sous le pont de l’Histoire.Ce rappel des temps passés était nécessaire pour introduire notre héros du jour dans le cadre de la rubrique ” Que sont-ils devenus ? “. Justement, nous sommes allés à la rencontre d’un ancien champion du Mali et de la zone II qui a embrassé la carrière de boxeur par idolâtrie pour son aîné Soungalo Bagayoko. Il s’appelle Mahamane Ganaba. Après la génération de son idole, c’est son nom qui a le plus résonné auprès des Moussa Sangaré, Sékou Onivogui, Mamadou Diallo. Il était l’espoir le plus sûr pour compter sur une médaille pour le Mali. Très technique, rapide et agile dans les déplacements, Mahamane Ganaba savait ressentir les coups, mais surtout les sentir pour les éviter. A vue d’œil, l’on a de la peine à croire qu’il a un passé de boxeur. Cette histoire passionnante de ce grand boxeur a malheureusement accouché d’un paradoxe. L’homme n’a pas eu les retombées de sa gloire, une réalité qui aura finalement raison de sa volonté d’abandonner la discipline pour s’occuper de son boulot et de sa famille. Qui est Mahamane Ganaba ? Pourquoi a-t-il choisi la boxe parmi tant d’autres disciplines sportives ? Quel a été son parcours ? Autant d’interrogations qui nous ont permis de savoir que l’ancien boxeur avait réellement une valeur intrinsèque.
Notre aîné et doyen de la presse sportive Sékou Tamboura (un fidèle parmi les plus fidèles lecteurs de notre rubrique) qui nous a suggérés de rencontrer Mahamane Ganaba a tellement insisté qu’il a compris que notre réticence traduisait un doute par rapport à la valeur intrinsèque du boxeur. Mais après notre entretien avec le taureau de Médina Coura, nous nous inclinons devant son intuition. Cependant, notre réserve se comprend parce qu’après les temps des Soungalo Bagayoko, Mady Konaté, les retransmissions en direct sur Radio Mali des combats de boxe ne se faisaient plus. A l’époque, il n’y avait pas de télévision au Mali ; mais les commentaires de feu Balla Moussa Keïta, de feu Pierre Diakité et les posters de Podium donnaient un engouement particulier aux combats du noble art. Ce temps révolu a coïncidé avec l’avènement de la télé, mieux la plupart des jeunes de Bamako étaient plutôt intéressés par le football et la mythique salle du Pavillon des sports.
L’essentiel pour nous est d’avoir le maximum d’informations sur le boxeur Mahamane Ganaba. Il ne nous restait plus qu’à le rencontrer pour satisfaire notre curiosité et sortir des entrailles de la mémoire sportive un homme dont l’histoire est véritablement passionnante.
Notre héros nous a reçus dans la cour du Commissariat au Développement Institutionnel (CDI), où il est chauffeur depuis 1988, grâce à la boxe. Sinon, il affirme avoir été tellement déçu de la discipline, qu’à un moment donné il voulait arrêter avant l’heure H. Mais l’un de ses mentors, Soungalo Bagayoko, lui conseille de ne pas lâcher, pour la simple raison qu’il se bat pour l’amour du pays et de la discipline. Dans ce cas, rien ne doit l’arrêter et le tribunal de l’histoire se chargera de son destin afin qu’il ait une reconnaissance méritée du pays.
Avec ses 56 ans, dans sa morphologie, Mahamane Ganaba met en évidence la vivacité d’un athlète qui aura fait son temps. Très ému par notre démarche dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, il avait de la peine à retenir sa joie. Il nous a reçus vendredi dernier à son service, tout en espérant que notre entretien ne soit interrompu pour une course en ville.
Né pour gagner !
Alors première question : pourquoi a-t-il opté pour la boxe, dans un quartier populaire comme Médina Coura où la plupart des enfants jouent au football ou au basketball ? Mahamane Ganaba dit avoir été inspiré par Soungalo Bagayoko et Mohamed Aly. Ce qui le pousse à intégrer le Stade malien de Bamako au début de l’année 1977, au détriment du Djoliba, dont un dirigeant lui propose un emploi. Le désir et l’ambition vont de pair, mais faudrait-il se donner les moyens. C’est-à-dire qu’il faut inculquer au jeune Ganaba les B.A.B.A de la boxe. Une fois au Stade malien, son entraineur, Moussa Cissé, se charge de cet exercice, et n’hésite pas à le balancer dans la gueule du loup en l’envoyant sur le ring en 1979, à la faveur du championnat du District et du tournoi régional en 1980, tous deux sanctionnés par le titre de champion. Ces deux compétitions mises à profit par son entraineur pour s’assurer de la maturité de son produit, sonnent l’apogée de Mahamane Ganaba. Et c’est à juste titre qu’il aligne les trophées et s’impose comme champion partout où il passe.
D’abord en 1982, au championnat de la zone II regroupant 12 boxeurs à Dakar. Ensuite, il confirme sa suprématie en dominant successivement les tournois internationaux de Ouagadougou et de Dakar, en 1984.
Quelques mois après, il crée la sensation dans les éliminatoires du tournoi de la zone II à Praia. A son retour du Cap Vert, il remporte le titre de champion national, à l’issue d’un tournoi entre les boxeurs de toutes les régions du Mali.
Mahamane Ganaba a réalisé tous ces exploits avec son club, le Stade malien de Bamako. Pourtant, depuis 1981, il est sélectionné en équipe nationale par le Cubain Emmanuel Lopez, pour dominer en Guinée le tournoi qui a opposé les boxeurs des pays de la Cédéao. Il détrône le champion sénégalais en 1985, qui en voudra pour de bon à sa fédération d’avoir invité son homologue du Mali. Au tournoi olympique français en 1986, Mahamane Ganaba découvre la haute compétition avec la présence de boxeurs de gros calibre. Séduisant dans ses jeux de jambes, il est battu en quart de finale aux points. Son adversaire, un Cubain, est plus rapide et sûrement avec plus de préparation et de motivation.
La même année, il s’envole pour le Burkina Faso pour remporter le tournoi du 4 août, avant de rééditer une fois de plus son exploit à Dakar en 1987 à l’occasion du tournoi de la zone II.
Quelle explication à ses exploits ? Quel secret avait Mahamane Ganaba pour neutraliser tous ses adversaires ? Sa carrière tellement riche a-t-elle été émaillée de mauvais souvenirs ?
L’enfant de Medina Coura témoigne : “Il n’y a pas d’explication particulière à mes exploits. A cœur vaillant, rien d’impossible. Mon secret se résume à trois choses : mon bras, le cœur, les entrainements 24H/24. Le tout est soutenu par l’amour de la patrie. Je ne parle pas pour me flatter, les responsables de la Fédération malienne de boxe sont encore vivants. J’étais l’un des rares combattants qui promettait au départ à l’aéroport de Sénou une médaille pour le pays. Et j’ai toujours honoré mon engagement. Le fait que vous me demandez qu’au moins le pays pouvait compter sur moi pour une médaille lors des déplacements de l’équipe nationale n’est pas gratuit. Cela veut dire qu’à d’autres niveaux, vous avez pris des informations sur ma carrière. Evidemment que j’ai enregistré des mauvais souvenirs durant mon parcours. Je ne saurai les énumérer pour plusieurs raisons. Sinon, comment comprendre qu’on me demande de payer les frais médicaux de mon œil gauche à l’IOTA, pour un mal que j’ai eu en défendant le drapeau national ? Mais le seul mauvais souvenir qui m’a choqué et qui continue de me hanter est mon déclassement en équipe nationale à la veille d’un périple qui devrait la conduire en France et ensuite aux Etats Unis pour la compétition proprement dite. Les responsables m’ont remplacé par le jeune Massa Sidibé du Réal, au motif qu’il est plus rapide que moi. Au risque de ne pas être traité d’egocentrique, je me suis résigné tout en souhaitant une bonne chance au petit. Certes, je n’ai pas été retenu, mais cela ne doit pas me faire oublier le sens patriotique. Cela s’est passé en 1984. Dans la vie, il faut s’attendre à tout et savoir surmonter les obstacles.”
Pourquoi Mahamane Ganaba a-t-il décidé de mettre un terme à sa carrière en 2016 ?
Pourtant, de façon unanime, il a été établi qu’il pouvait continuer sa marche sur le ring. Le boxeur lui-même soutient qu’il a été déçu par certains responsables. A un moment donné, il affirme avoir compris beaucoup de choses, en jetant un regard sur le rétroviseur. Cette analyse personnelle a pesé lourd dans sa décision finale.
Logiquement et en toute sincérité, il est reconnaissant vis-à-vis de la boxe, qui continue d’ailleurs de le servir partout où il va. Les retombées pécuniaires, matérielles ne sont ni visibles, ni réelles pour lui, mais il se réjouit d’avoir défendu le drapeau national à sa façon.
Pour quelle raison se réserve-t-il de mettre ses adversaires au K.O dès les minutes initiales d’un combat ?
L’ancien champion a la conviction que, dans un combat de boxe, il faut amuser le public, pour préserver l’argent des organisateurs. En un mot, un K.O matinal contribue à gaspiller ou anéantir tous les efforts fournis pour la réussite d’un combat.
Marié et père de 7 enfants, dont 6 filles, Mahamane Ganaba, comme évoqué plus haut, est chauffeur au CDI. Il continue de suivre la boxe malienne et dit qu’il ne ménagera aucun effort pour son épanouissement. C’est la seule façon pour lui d’être reconnaissant à l’égard du pionnier de la boxe malienne, feu Baladji Cissé. Lequel a été pour lui un mentor, un entraineur, un dirigeant. O. Roger Sissoko