L’enfant prodige du quartier populaire de Lafiabougou, ex-sociétaire de l’AS Réal, du Stade malien et du Stade tunisien, l’ex-international Aboubacar Tambadou atterrit dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?” Qui est ce jeune au talent exceptionnel ? Ses pérégrinations entre le Mali, la France et la Tunisie ? Ses déceptions ? Des interrogations qui débouchent sur un constat : Tambadou est un enfant résigné qui sait d’où il vient.
Aboubacar Tambadou est l’un des rares joueurs de sa génération pour lequel nous avions une admiration particulière parce qu’il avait du talent, du savoir-faire sur un terrain de football et très sérieux. Il incarnait à lui seul le talent pur, façonné dans un centre de formation d’excellence. Un atout qui reflète son intelligence de jeu et sa capacité à poser des diagnostics tactiques dignes d’un expert, conduisant son équipe vers des performances remarquables.
Technicien hors pair, il maîtrisait son art avec la précision d’un orfèvre. Sur le terrain, ses gestes semblaient chorégraphiés comme ceux d’un horloger. Chaque passe, chaque mouvement portait la marque de la vision de jeu exceptionnelle. Milieu récupérateur, il se distinguait par sa polyvalence et sa capacité à lire et à relancer le jeu avec une justesse impressionnante. Qu’il s’agisse de relancer une attaque, d’orienter le jeu ou de calmer le tempo, il savait toujours quoi faire et quand le faire.
Ses mouvements de diversion sur le terrain traduisaient en réalité une sérénité et une confiance inébranlables en ses capacités.
Doté d’une forte personnalité et d’un charisme naturel, Tambadou fédérait ses coéquipiers autour d’un objectif commun : la victoire. Bien au-delà de ses qualités techniques, il était un véritable stratège. Tel un chef d’orchestre, il savait doser son jeu entre vitesse et patience, offrant ainsi une fluidité et une harmonie précieuses au collectif.
Actif, productif et intelligent, il incarnait ce type de joueur qui fait briller les autres. Ses coéquipiers savaient qu’ils pouvaient compter sur lui dans les moments décisifs, qu’il s’agisse d’une passe lumineuse ou d’une récupération clé.
Des qualités qui justifiaient du reste ses différentes sélections en équipes nationales cadette avec Fagnery Diarra. Deux ans plus tard, il remportait la Coupe Amilcar Cabral en Guinée-Bissau. Le Nigérian Stephen Keshi à son arrivée à la tête des Aigles fit de lui son joueur expérimental pour combler le vide dans les compartiments défaillants.
Bref, Aboubacar Tambadou s’est illustré partout où il est passé. Il s’est mis en valeur pour s’attirer des recruteurs.
Issu d’une famille orthodoxe, Aboubacar Tambadou a bénéficié du soutien indéfectible de ses parents chaque fois qu’il s’est agi de donner une orientation à sa carrière. Un état de fait qui a joué un rôle crucial dans son épanouissement. Ce cadre stable lui a permis de se concentrer pleinement sur son art, devenant ainsi une source d’inspiration pour son entourage et un modèle à suivre.
Un tournant
La preuve ? En 2002 titulaire dans l’équipe nationale minime, il décline l’offre pour un voyage sur la France où nos jeunots devraient prendre part à un tournoi d’amitié parce que le jour du départ coïncidait avec le début du DEF. A l’époque, premier de sa classe, il conclut que les études pouvaient l’amener loin comparées au football où une éventuelle fracture serait un coup d’arrêt pour son avenir. Admis au DEF, son cursus l’a conduit à une licence en droit privé. Aussi le football changera sa vie.
Aboubacar Tambadou nous a reçus au siège de son académie de football, sis à Sébénicoro. D’entrée de jeu nous constatons que le jeunot s’est beaucoup résigné à ses débuts dans les grands clubs de Bamako. De Mio (près de Toulouse) à Châteauroux (France) en passant par Charleroi en Belgique, il s’est résigné à retourner au pays sans piper mot. Parce que le Réal et le Stade malien ont estimé que les propositions financières étaient disproportionnées au regard de son talent. Une situation incompréhensible, mais fréquente dans le football malien. C’est-à-dire les clubs rejettent les offres pour des motifs déjà évoqués.
Dans le contexte malien, cela est difficile à avaler. La plupart des joueurs viennent de familles pas trop aisées. Mieux le joueur même en question n’a que le football comme métier pour se forger un bel avenir dans un milieu incertain. Pourquoi a-t-il accepté de se plier aux “injonctions” des deux clubs et avec un salaire de 70 000 F CFA ?
Tambadou répond : “J’étais jeune et je ne suis pas la première victime de ce cas de figure. En la matière, on ne peut rien. Le joueur est lié au club par un contrat et sans le certificat de sortie, il ne peut pas quitter. Donc il faut se résigner, prier le bon Dieu pour une opportunité qui aboutira à d’autres chances. Cela fût mon cas. Je profite pour saluer la bonne foi du président Boukary Sidibé dit Kolon. Après l’échec de mon contrat sur la Belgique j’ai décidé de bouder les entraînements. Il s’est investi jusqu’à faire intervenir l’entraineur national Stephen Keshi, afin que je revienne à de meilleurs sentiments. En plus d’une voiture il m’a promis qu’un tel scenario ne se reproduira plus. C’est là où nous avons convenu sur la qualification du Stade malien en phase de poule de la Coupe Caf. Sur ce compromis il a honoré son engagement. Je lui dis merci”.
Tiraillements Réal-Stade
A Lafiabougou on le surnomme Zinedine Zidane. Fruit de l’équipe de quartier Flèche Noire sous la houlette du coach Djibril Sow, Aboubacar Tambadou a rejoint le centre de formation de l’AS Réal de Bamako en 1997. C’était à la faveur de la Coupe “Idéal Pressing”. Les Scorpions fraîchement déménagés à Djicoroni-Para mettent en place une stratégie de détection de jeunes talents à travers ce tournoi. Un enfant sélectionné dans ces circonstances n’aura pas de difficultés pour confirmer tout le bien que l’on pense de lui.
De la catégorie des cadets, il fait la navette entre les juniors et l’ équipe A. En 2002, avec l’arrivée du coach Fagnery Diarra aux commandes de l’AS Réal, la carrière de Tambadou se dessine. Il s’impose véritablement jusqu’à recevoir une offre sur la France. Mais ce fût un fiasco.
Il est resté dans l’Hexagone pendant un an, sans raison valable. En 2006, les dirigeants stadistes profitent de son retour pour le débaucher. Problème : les Réalistes s’opposent de façon catégorique au transfert de l’enfant de Lafiabougou.
Le bout du tunnel résidera dans le fait qu’au même moment les Scorpions sollicitaient le retour de leur maestro Harouna Diarra. Alors un compromis sous la forme d’un échange mit fin aux tiraillements.
Ainsi après la campagne de l’équipe nationale cadette, Aboubacar Tambadou entamera une nouvelle carrière avec le Stade malien de Bamako. Laquelle très rentable pour le club, est aussi émaillée de contrats ratés. Heureusement que le sens de la responsabilité du président Boukary Sidibé dit Kolon a prévalu à un moment donné.
Tel un essuie-glace Tambadou a mis de l’ordre au médian stadiste. Son charisme et son sérieux firent de lui un maillon très important du dispositif tactique des Blancs. Il est resté trois saisons (2006-2009). Acteur principal de la brillante qualification du Stade malien, en phase finale de la Coupe Caf, il va cependant quitter les siens en pleine compétition pour le Stade tunisien. Pour la circonstance le président du club lui a offert un cachet de solennité.
Il a rendu visite à ses parents pour les rassurer du bien-fondé de ses intentions pour une nouvelle orientation de la carrière du jeune Tambadou. Contre toute attente le jeunot ne restera qu’une saison au Stade tunisien. Un autre club du pays, la Marsa a mis les gros moyens pour le débaucher. Là il passera trois années. Ensuite ce fut le début d’un périple entre Dubaï et l’Arabie saoudite. Ainsi il a évolué successivement à : Dubaï Culturel Club (2011-2012), Al Karach d’Irak (2012-2013), Marsa de Tunisie (2014-2015), Narjan FC d’Arabie saoudite (2015-2016), Budaiya FC de Bahreïn.
A la fin de ce contrat Aboubacar Tambadou mettra un terme à sa carrière malgré l’opposition de son entourage. En réalité avec les contraintes familiales, moralement il ne pouvait pas jouer au ballon. “Mon père était très malade. Je l’entretenais 24/24. Dans ces conditions, il m’était difficile de bouger. Malgré tout en 2019 un club d’Oman me fait signer un contrat d’un an.
Au bout de quelques mois j’ai été obligé de revenir auprès du vieux jusqu’à son décès en 2020″, explique-t-il.
Tambadou retient trois bons souvenirs : la Coupe Caf du Stade malien, sa sélection en équipe nationale avec Stephen Keshi, sa carrière professionnelle avec la Marsa de Tunisie. Les mauvais souvenirs sont consécutifs aux échecs répétés de ses contrats en Europe, son séjour en 2013 à Dubaï et enfin ses crédits dans les pays Arabes. C’est-à-dire que des clubs lui doivent à ce jour beaucoup d’argent.
Aboubacar Tambadou est marié et père de quatre enfants. Après sa retraite footballistique il a créé une agence immobilière, une académie de football dénommée “Tam Football Club”. Il est engagé aussi dans l’agriculture et l’élevage.
Dans la vie, il aime le football et déteste la déception.
O. Roger Sissoko