LE CAP (AFP) – samedi 12 juin 2010 – 12h42 – Echoués dans un camp fait de baraques de tôles alignées, les sans-abris du Cap accusent la municipalité de les cantonner à l’écart des visiteurs attendus pour le Mondial-2010 de football en Afrique du Sud.
"Ils évacuent les gens qui vivent dans la rue ou dans les cabanes des arrière-cours", affirme Mohammed Ali, l’un des résidents de l’immense camp, qui s’étend avec une rigueur militaire sur un terrain de sable balayé par les vents.
"Ils amènent tous ces gens ici pour le Mondial. C’est du grand nettoyage", lance Mohammed, 38 ans, qui vit avec sa femme et deux enfants à "Blikkiesdorp", le "village de tôle" en afrikaans, la langue dominante autour du Cap.
A quelques kilomètres de là s’élève le stade flambant neuf de Green Point, qui accueillera 70.000 spectateurs pour une demi-finale de la Coupe du monde entre mer et montagne, dans l’un des plus beaux sites de la ville. Il a coûté 4,5 milliards de rands (450 millions d’euros environ).
Au total, l’Afrique du Sud a investi 40 milliards de rands pour le Mondial, construisant des stades, refaisant les routes, modernisant les aéroports et déployant 44.000 policiers pour la sécurité de la compétition.
Tandis que la fièvre du football monte dans les grandes villes du pays, rien ne laisse présager à Blikkiesdorp la proximité du coup d’envoi, le 11 juin.
"Pourquoi n’ont-ils pas utilisé une partie de cet argent pour construire des maisons?", demande un responsable de la communauté, Beverley Jacobs, qui à 42 ans entame son troisième hiver dans l’une des baraques de 18 m2.
Seize ans après la chute de l’apartheid, la première économie du continent se débat toujours avec une pauvreté endémique.
Pour tenter de réparer les injustices du passé, le gouvernement construit des maisons dans les anciens ghettos noirs. Quelque 2,3 millions de ces cubes de briques, pourvus de toilettes et reliés à l’électricité, ont été remis aux plus pauvres depuis 1994.
Mais la liste d’attente semble s’allonger indéfiniment. 2,1 millions de maisons ont encore été promises dans ce programme pour abriter les 12 millions de personnes qui ne vivent toujours pas dans des conditions décentes.
Faute d’endroit où habiter, les squatters sont de plus en plus nombreux. L’Afrique du Sud compte plus de 2.700 camps informels, dont 220 au Cap.
Blikkiesdorp a été conçu par la municipalité comme camp d’urgence en 2008. Ses 1.500 baraques ont l’électricité et le "village" est doté de robinets et de toilettes.
Les conditions de vie laissent cependant à désirer. "Toutes les structures fuient", dit Priscilla Ludidi, qui partage sa cabane avec ses quatre enfants et sa mère de 82 ans. "Nous sommes quatre familles pour un robinet, quatre familles pour un WC."
D’autres résidents de Blikkiesdorp s’estiment contents de leur sort. "Nous ne sommes plus à la rue", relève James Adams, 48 ans, qui se débrouillait avant pour survivre aux alentours du nouveau stade.
La mairie se défend de toute campagne visant à écarter les indésirables des circuits touristiques. "Il n’y a pas d’augmentation notable du nombre de personnes emmenées (vers le camp) depuis la fin de l’année dernière", indique le porte-parole de la ville, Kylie Hatton.
Mais, à Blikkiesdorp, la frustration monte. "Nous ne voulons pas être ici", dit Washeila Smith, 57 ans. "Ce n’est pas chez nous."
AFP