Jacques Anouma, membre du comité exécutif de la Fifa :«Ma vision du football africain»

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En visite privée à Bamako, nous avons croisé Jacques Anouma, l’ancien président de la Fédération ivoirienne de football. Dans l’entretien, il donne les raisons de sa visite à Bamako, revient de long en large sur les dix ans de sa présidence à la FIF, parle de sa vision pour le développement du football africain, de l’organisation de la CAN 2012, explique le nouveau professionnalisme du football africain et évoque sa nouvelle vie de dirigeant sportif. Lisez !

 

Bonjour président Anouma ! Quelle est la raison principale de votre présence à Bamako ?

Je suis ici en visite purement privée. J’ai deux jeunes frères qui sont affectés ici, l’un pour le compte de la SDV, l’autre pour la BOA. J’ai toujours promis de leur rendre visite, mais le temps me faisait défaut. Maintenant, je suis disponible, j’ai décidé de venir les saluer. Evidemment, je ne peux pas être à Bamako sans ne pas rendre une visite de courtoisie aux autorités du football.

Quelles sont vos relations avec la Fédération malienne de football ?

Elles sont d’ordre amical et fraternel. Avec le président Cissé, on est en contact permanent pour chaque décision à prendre au niveau de la sous-région. Il m’a informé des derniers changements intervenus à la Fédération et les raisons fondamentales de ces décisions.

Vous n’êtes plus aux commandes de la Fédération ivoirienne de football (FIF). Comment vivez-vous l’après FIF ?

Sachez que  j’ai encore un  mandat de trois ans pour le compte de la FIFA et du Comité Exécutif de la CAF. Donc ça nous occupe suffisamment. Et puis, en dehors de ça, je prends vraiment le temps de m’occuper un peu de ma famille que j’ai un peu délaissée pendant toutes ces années de braise. Maintenant,  je suis disponible non seulement pour le Football mondial et africain, mais aussi pour ma famille.

 Vous avez quitté les affaires de la FIF avec les honneurs. Est-ce à dire que vous êtes encore impliqué dans la gestion du football ivoirien ?

Le football, c’est ma passion. Primo, je ne peux pas être indifférent de ce qui se passe dans mon pays. Secundo, je suis contre le principe qu’une fois quitté les affaires, on tourne dos au football. Cette discipline m’a tout donné. Je suis un acteur important du football ivoirien. Mon successeur a besoin aussi de mes conseils. Etant le président d’un club, je suis un acteur. Je dois trop au football pour lui tourner le dos. Je le ferai pas, soyez rassuré !

Restons toujours en Côte d’Ivoire pour parler de votre retrait de la présidence de la FIF à la fin de votre deuxième mandat. Est-ce une stratégie pour viser loin ou bien Monsieur le président est  fatigué ?

Je pense qu’en Côte d’Ivoire, ce n’est pas une surprise. Depuis la CAN 2008, j’avais émis le souhait de rendre le tablier. Mais en 2010 en Angola, j’avais pris la décision de ne plus me représenter. Je considère que deux mandat à la tête de la Fédération  ça use déjà le personnage. Je pense aussi que deux mandats, c’est largement suffisant pour mettre en pratique ses idées. Et puis la conjoncture de mon pays m’a conforté dans ma décision de partir. Donc je suis parti après avoir terminé normalement mes deux mandats et organisé les élections comme il se doit. C’est la première en Afrique que la Fédération sortante ne pas dirige les débats. J’ai jugé nécessaire de mettre en place une Commission électorale indépendante qui a été validée tout de suite par l’ensemble des clubs. Cette Commission n’a pas connu de divergence dans son travail. Je pense que je suis parti dans de très bonnes conditions. Et je ne regrette pas du tout d’être parti.

Vous savourez encore votre élection à la FIFA. Vos multiples déplacements attestent déjà la campagne pour 2015. Etes-vous intéressé par la présidence de la CAF ?

Soyons clairs ! La présidence à la CAF n’est pas d’actualité. J’ai été réélu à la FIFA avec la participation et l’implication totale de certains collègues. C’est tout à fait normal de remercier ces personnes et de rester en contact permanent avec elles. Mon déplacement au Niger, c’était à la demande de mon jeune frère, le président de la Fédération nigérienne de football. Le pays étant qualifié pour la première fois à une CAN, il a sollicité mon expertise. Malgré cette qualification, l’équipe n’a pas d’équipementier. Nous avons échangé et je lui ai donné des conseils à suivre. Au Mali, ma visite est privée. J’en ai profité pour faire d’une pierre deux coups. Il est de mon devoir de remercier le président Cissé pour son appui fraternel et amical lors des élections à Khartoum. L’occasion était bonne pour lui témoigner ma gratitude. J’aurai encore besoin de lui.

Président Anouma, le football, c’est dans votre sang.  C’est dire que vous avez des ambitions pour la présidence de la CAF ?

 Vous savez,  le football m’a tout donné et je ne voudrais pas tout perdre par le football. Parce qu’en regardant les 25 dernières années de ma vie, je me rends compte que c’est le football qui m’a tout donné.  Alors, il ne faut pas forcer le destin. En 8 ans de présidence ponctués par 2 mandats bien remplis, vous arrivez à organiser les élections propres pour désigner son successeur, il n’y a pas mieux pour sortir la tête haute. En plus, mes collègues africains m’ont renouvelé leur confiance en me reconduisant au sein des instances internationales. C’est pourquoi j’ai dit que le football m’a tout donné. Maintenant quand vous parlez d’avenir, je pense que ce n’est pas d’actualité. Ce qui est d’actualité, c’est comment ce Comité Exécutif va accompagner le président pour organiser une très belle CAN au Gabon et en Guinée Equatoriale. Et puis les choses vont s’enchaîner d’elles- mêmes. C’est dire qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. N’oubliez jamais une chose : «Dieu décide de l’avenir de chacun

L’essentiel, c’est d’avoir la santé et une longue vie. Je viens à peine d’être élu à la FIFA et je profite de mes visites  dans certains pays pour remercier mes collègues de l’époque pour cette confiance. Je préfère rester en contact permanent avec la base. Et en 2015, je n’aurai pratiquement pas grand-chose à faire dans la mesure où le terrain est déjà balisé.

La Fédération ivoirienne de football est très riche. Alors parlez- nous d’abord de la gestion financière   par rapport aux subventions des clubs des différentes catégorisations comme les Ligues 1, 2 et Super D3 ensuite du spectacle offert en l’absence du public dans les stades ?

J’ai eu la chance de gérer la trésorerie d’un grand club, à savoir l’ASEC et ensuite l’AFAD. Quand j’étais à la  présidence de la Fédération, dans nos budgets,  nous mettons toujours zéro sur la ligne recettes du match. Je prends le cas de l’AFAD. L’année dernière, après 6 journées de championnat, la recette de match de mon club était 150 000 FCFA. Ça veut dire que le public ne vient plus au stade. J’ai fait un sondage personnel pour connaître les raisons de la défection du public. 90% des supporters sondés ont répondu ne pas connaître le nom des joueurs de leurs clubs. L’équipe de Côte d’Ivoire, elle,  fait recette parce que les gens viennent voir des joueurs comme Drogba, Yaya Touré, Arouna, Kolo, Kader. Autre raison : il y a 20, 30 ans, la concurrence n’existait pas au niveau des chaînes de télévision. Le week-end, si l’ASEC jouait et qu’à la même heure, Chelsea et Arsenal s’affrontaient en Premier League anglaise, les gens préfèrent suivre ce match à la télé tout en ayant un poste radio pour le résultat. Ensuite, le problème de distance s’est posé. Tous ces facteurs entrent en ligne pour décourager les supporters.

Parlons à présent de la phase finale qualificative des U 23 pour les J.O Londres 2012. Quelle a été la motivation réelle du changement de la formule ?

Cette formule nous a été proposée par la direction des compétitions de la CAF. Je pense que ce n’est pas mauvais. Il ne faut pas rester figé. Quand vous êtes dans une organisation, il faut qu’on sente certains changements. Vous avez vu pour la qualification du Mondial 2014, la formule a changé. Elle sera encore  beaucoup plus corsée que par le passé.

La phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations 2012 pointe à l’horizon C’est une compétition particulière car elle est conjointement organisée par deux pays : le Gabon et la Guinée Equatoriale.  Une CAN  d’autant particulière, en ce sens qu’il y a de grands absents. Vous, en tant que membre de la CAF, comment vous préparez cette compétition tant attendue par l’Afrique. On sait qu’à partir de 2013, il y aura encore une Coupe d’Afrique ?

On a décidé au niveau du Comité Exécutif de la CAF de ramener les dates de la Coupe d’Afrique des Nations aux années impaires. Cette sage décision a pour but de ne pas faire un chevauchement   avec la Coupe du monde. C’est pourquoi les deux Coupes se suivent : 2012 et 2013. En ce qui concerne la Co-organisation, ce n’est pas la première fois. Souvenez-vous en 2000, le Ghana et le Nigéria l’avaient organisé ensemble. Pour l’édition de 2012, malgré quelques difficultés au niveau des infrastructures  sportives ou hôtelières, le Gabon et la Guinée Equatoriale  ont promis d’être prêts pour la compétition. Au regard de ce que j’ai vu au tirage au sort à Bata, je me dis que cette Coupe d’Afrique 2012 sera belle. Par rapport à l’absence des pays évoqués, je crois qu’aujourd’hui, on ne peut plus dire qu’il y a de petites équipes. Parce que si le Nigeria, le Cameroun, l’Afrique du Sud  et l’Egypte ne sont pas là, ils ont bien été éliminés par d’autres. Je pense que certains pays commencent à revenir à leur niveau comme le Sénégal, la Guinée et le Maroc. Il faudra tenir compte de ces pays là aussi qui, à mon avis, font partie des favoris pour cette CAN. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent que cette CAN ne sera pas relevée. Au contraire, certains  pays n’auront rien à perdre,  ils auront tout à gagner en faisant une très belle prestation. Je pense que la  CAN 2012 sera un tournoi de surprise.

En  parlant de surprise, les observateurs pensent que la Côte d’Ivoire est bien placée pour succéder à l’Egypte sur le toit de l’Afrique ? Partagez-vous ce jugement ?

J’ai l’habitude de dire que ce ne sont pas forcément les grandes équipes qui remportent les Coupes du monde ou les CAN. Ce n’est pas toujours l’équipe, la plus attendue qui remporte le trophée. Mais il y a une exception. Au Mondial 2010 en Afrique du Sud, tout le monde a dit que le trophée ne pouvait échapper à l’Espagne. Ceci dit, lors des trois dernières CAN (2006, 2008, 2010), les observateurs ont cité la Côte d’Ivoire comme la favorite de cette compétition, mais malheureusement, on est jamais arrivé au bout. Si pour une fois, on peut arrêter de dire que la Côte d’Ivoire est favorite cela va nous apporter plus de chance pour gagner cette compétition. Mais les gens doivent faire attention au Sénégal, au Maroc, et à la Guinée. Ils peuvent aussi créer la surprise.

Vous le savez déjà en 2013, l’Afrique organise une Coupe des Nations. Ce sera sur le sol sud-africain. Monsieur Anouma, compte tenu de la crise économique et la situation politique même du Continent, la CAF et les pays sont-ils capables d’organiser deux CAN à une année d’intervalle ?

La difficulté n’est pas de l’organisation de cette Can car nous avons toujours un pays organisateur. Vous avez vu la bataille entre l’Afrique du Sud et le Maroc pour organiser cette CAN. Donc, nous avons déjà un preneur en 2013 et 2015. De ce côté là, je pense que la crise ne touche pas encore les Etats. En ce qui concerne les sélections nationales, ce sont les préparatifs des Etats. Je ne vois pas un pays abandonner son équipe nationale à la veille d’une compétition comme celle là. Moi, je dis toujours que le football est, en général, le meilleur ambassadeur aujourd’hui de nos pays. Je viens d’arriver  du Niger où je n’ai pas manqué l’occasion de  dire aux journalistes la portée de la CAN pour ce pays. C’est la première fois que le Niger se qualifie pour cette compétition. Autre fait important : il sera le premier pays à affronter le deuxième pays organisateur pour le match d’ouverture du groupe C, à savoir le Gabon. Il n’y a pas de belle vitrine médiatique que cette opportunité. Le Niger devrait tout faire pour que ce match reste dans l’histoire. Heureusement, ces derniers mois, le chef de l’Etat, en personne, a dit que le football a fait beaucoup plus que la diplomatie. Donc, il faut que les pouvoirs publics s’approprient leurs équipes nationales.  Parce que nos Fédérations sont encore trop faibles financièrement pour être indépendantes comme en Europe. En tout cas, en Côte d’Ivoire, au cours de ces dernières années, le football a été vraiment le plus grand ambassadeur de ce pays. C’est l’expérience que j’ai vécue dans mon pays.

Président, depuis un certain temps, les Fédérations en Europe payent de l’argent aux clubs quand les joueurs sont sélectionnés. Ne craignez-vous pas  qu’un jour avec ces CAN enchaînées, les clubs employeurs des joueurs expatriés africains ne demandent de l’argent aux Fédérations pourtant financièrement très faibles ?

Tout est  une question de moyen. Vous avez vu, on a eu le même problème au Mondial. Mais la FIFA a trouvé les moyens qu’en débloquant 300 millions de dollar pour indemniser les clubs qui prêtent leurs joueurs aux équipes nationales. Je crois 1500 dollars par jour et de présence pendant la phase finale. C’est vrai que si on continue dans cette situation, les pays africains demanderont peut-être la même chose à la CAF. Mais pour le moment cette pratique se limite seulement à la Coupe du monde. Si les moyens de la CAF le permettent pourquoi pas ? Un jour, on sera obligé d’indemniser, en tout cas au niveau des phases finales, les clubs qui auront donné des joueurs en équipe nationale.

Plus le temps avance, plus l’argent devient incontournable dans le football. On a le sentiment que le football africain est même menacé dans ce sens. Quand on regarde l’argent qu’il y a dans les championnats européens et autres compétitions du même Continent, ne pensez-vous pas que le football africain est mal parti dans ce domaine ?

Je suis bien placé pour confirmer votre point de vue. On commence déjà à assister à la disparition des mécènes. Quand vous parlez du football européen, la plupart des grands clubs ont à leur tête des mécènes. Ceux-ci ne calculent pas le nombre d’euro et de dollar au service de ces clubs. L’économie mondiale étant frappée par la crise, alors nous aussi africains, nous ne sommes pas épargnés. Pour que le football africain puisse continuer son essor, il faut que les opérateurs économiques et  la télévision l’accompagnent.  En  Europe, les compétitions des clubs ont pour premier sponsor, la télévision. Celle-ci représente à peu près 60% des recettes des Fédérations. La Coupe du monde bénéficie, elle aussi de l’apport de la télévision. C’est tout le contraire en Afrique. Hormis les pays magrébins, les recettes sont zéro. Il  y a des fois où la Fédération est obligée de payer pour que les télévisions viennent filmer un match, alors que c’est un spectacle. Qui dit spectacle, parle forcément de production. Nos télévisions doivent se mettent au niveau mondial pour que  le football local puisse se développer. Les recettes du championnat sont très faibles, les sponsors étant rares, il ne reste plus que la télévision pour relever le niveau des  recettes de nos clubs et de nos Fédérations respectives.

C’est dire que la tâche s’annonce très difficile pour les nouveaux clubs africains qualifiés pour les compétitions interclubs. L’exemple frappant est le cas du club ivoirien AFAD (Association de formation Adama Diallo) dont vous êtes le  président. Qu’en dites-vous ?

J’en suis pratiquement le principal mécène de l’AFAD. Nous allons participer à la Ligue des champions  après deux années de présence en première division. Si je n’ai pas de sponsor et si la télévision ne  suit pas notre parcours, on aura du mal à faire une carrière dans cette compétition. En prenant l’exemple de mon club qui existe seulement depuis 5 à 6 ans, nous avons commencé en division régionale, 3e division, 2e et aujourd’hui nous sommes en  première division.  Nous n’avons pas encore bénéficié, malgré mon statut, d’appui de sponsor ni de partenaire fiable. Voilà l’une des plaies du football africain.

Les opérateurs économiques ne profitent suffisamment pas du vecteur football pour développer et soigner l’image de leurs entreprises.

Intéressons-nous à un aspect plus global.  Vous êtes un dirigeant de carrière depuis plus d’une vingtaine d’années. Par rapport à votre expérience et aujourd’hui étant au sommet du Football mondial, quelle est votre vision pour le développement du football africain?

Il faut que les deux choses aillent ensemble. En tant que dirigeant africain, je constate qu’il y a des infrastructures  qui laissent à  désirer. Il nous arrive de regarder à la télévision certains matches de la Ligue des Champions africaine, une compétition phare de nos clubs. Il y a de ces endroits où le spectacle n’est pas beau à regarder à la télévision. Il faut être beaucoup plus exigeant avec nos infrastructures. Et deuxièmement, comme la FIFA l’a très vite compris, il faut qu’au  niveau de la CAF, on mette aussi l’accent sur l’organisation structurelle même de nos Fédérations. Parce qu’on assiste un peu trop souvent à des remue-ménages au sein de ces associations sportives. Donc de manière structurelle, il va falloir que la CAF aussi s’intéresse à l’organisation professionnelle de ces Fédérations. Parce que vous pouvez gagner une CAN et derrière si le développement ne suit pas, cette CAN ne vous aura rien servi. Moi, je préfère construire d’abord les infrastructures ensuite la formation des jeunes, des cadres techniques et administratifs. Tôt où tard le trophée viendra. Mais il ne faut pas privilégier la course au trophée au développement.

Quelle est votre opinion  sur l’indépendance des Fédérations nationales par rapport aux politiques. En Afrique, vous l’avez dit, les Fédérations ne sont pas riches, mais la CAF et la FIFA disent que les politiques ne doivent pas être dans ces Fédérations… Monsieur Anouma, on sait que l’Etat est le principal pourvoyeur de fonds. Dans ce cas de figure, vous voulez des Fédérations fortes ou des Fédérations carrément sous tutelle ?

Je crois qu’au niveau du Comité Exécutif de la FIFA, on a réglé ce problème. On a sorti un document qui régit les relations entre la tutelle et les Fédérations. Dans ce document, chacun connaît ses droits et ses devoirs. Nos Fédérations sont tellement faibles qu’elles ne peuvent pas diriger en même temps les championnats, faire face au développement et gérer l’équipe nationale. L’équipe nationale, c’est une affaire de l’Etat. Il ne devrait pas y avoir d’embrouille entre ces deux institutions. C’est une question d’homme, moi, j’ai géré ce problème pendant dix ans. Vous savez, les Ministères ne gèrent pas les équipes nationales. Je prends l’exemple de la Fédération ivoirienne de football que j’aie dirigée: 80% des financements viennent en général de la Présidence. Le budget du Ministère des Sports est trop faible pour rassurer toutes ces compétitions. La majorité des Ministres des Sports font appel au Président de la République pour boucler le budget des compétitions comme la CAN, le Mondial et les Jeux Olympiques. La Fédération, elle-même, est dépendante du Ministère et celui-ci est dépendant de la Présidence. C’est une chaîne, mais celui à qui revient le dernier mot est le Président de la République. Parce que c’est lui qui détient la souveraineté pour faire face aux budgets qui ne sont pas prévus. Dans la plupart des cas, la participation à une Coupe du monde n’est pas pas forcément prévue dans le budget de l’Etat. Tout le monde doit être d’accord que l’administration et le développement technique reviennent à la Fédération. La nomination, par exemple, d’un entraîneur n’est pas forcément la prérogative du Ministre des Sports. Si l’entraîneur échoue, on fustige la Fédération, mais si les résultats suivent, on accorde le crédit au Ministre.

Dans un an, le professionnalisme verra le jour en Afrique. Concrètement comment cela va se passer ? Est-ce  que l’Afrique est prête?

Vous connaissez notre Continent, si on attend d’être prêt, on ne sera jamais prêt. Donc, je suis pour le principe suivant : si 5 voire 10 clubs sont prêts pour affronter le professionnalisme, il faut qu’on organise un championnat professionnel à 5 ou 10. Il faut faire avec le cahier de charge. Vous ne pouvez pas être à la tête d’un club professionnel si vous êtes un personnage au chômage, ce n’est même pas possible. Beaucoup de nos clubs de 1ère, 2e et 3e divisions sont dirigés par des amoureux du football sans grands moyens.

C’est la subvention de la Fédération qui constitue le budget de ces clubs. Au-delà du cahier de charge à remplir, il faut que l’Etat accompagne les clubs comme dans les pays magrébins en mettant à la disposition de ces clubs  un minimum d’organisation, des espaces pour pouvoir développer un terrain d’entraînement. C’est fort de cela que j’ai exigé dans le Procès-verbal de l’Assemblée Générale aux clubs d’organiser un Forum sur le football ivoirien. Je ne parle pas d’états généraux, mais un Forum. Celui-ci devrait en principe faire participer des pays amis ayant une longueur d’avance sur la Côte d’Ivoire en matière de sponsoring, de professionnalisme ou encore de journalisme.

Le sponsoring en Afrique, c’est d’abord un sponsoring relationnel dans 90% des cas. Les entreprises participant aujourd’hui au sponsoring tirent le bénéfice de leur partenariat avec les sociétés de téléphonie. Sinon le reste est relationnel. En tant président, il m’est arrivé d’aller voir un sponsor. Ce dernier étant un ami a accepté de signer un contrat sachant que le partenariat ne rapporte rien à la société. Il a cru au projet mais en contre partie cela n’augmentera pas son chiffre d’affaire. Quand j’ai décidé de prendre la Coupe du monde comme premier objectif de la Fédération ivoirienne de football, nous sommes passés pratiquement d’un budget de 600 millions à 10 milliards.

Ouvrons à présent la page des subventions CAF, FIFA. C’est un sujet pratiquement tabou. L’argent, c’est le nerf de la guerre. Le camp fédéral et celui du Département des sports ne se font pas de cadeau. Vous avez un vécu à la présidence de la Fédération ivoirienne de football et aujourd’hui vous êtes au sommet du football mondial. Comment se passent ces subventions ? Leur mode de gestion ?

Je crois que la faute revient aux journalistes. Je suis désolé, vous ne faites pas l’effort de vous documenter. J’en ai souffert pendant dix ans. Un de vos confrères se lève un matin et écrit : «Que fait-on des 25 000 mille dollars que la FIFA attribue à la Fédération ?» Ce titre ne me surprend guère. Un Monsieur qui n’a jamais eu 30 mille FCFA, 25 000 mille dollars c’est beaucoup. Les journalistes doivent se rapprocher des Fédérations pour avoir l’information. S’ils n’ont pas confiance de saisir la FIFA pour savoir comment ces fonds sont utilisés. On vous accorde 25 000 mille dollars sur la base d’un projet proposé à la FIFA. On vous envoie un tableau dans lequel vous cochez des cases. C’est-a-dire, on vous dit d’avance 10% de cette somme affectés au football féminin. Ensuite, des cases pour l’administration, l’équipe nationale, le championnat. La FIFA donne l’opportunité de financer ces subventions. C’est ce qui fait la somme de 25 000 mille dollars à la fin de l’année. Après, la FIFA procède à un audit.

Pourquoi il y a souvent des problèmes entre la Fédération et l’Etat ?

…Peut-être que le président de la Fédération communique mal. Dès réception des fonds, la Fédération doit envoyer une copie de ce document au Ministre des Sports pour information. Cela ne veut pas dire subordination mais information. S’il n’y a pas de communication, le doute persiste.

Vous avez été un dirigeant exemplaire au terme de vos dix ans de commandes à la FIF. Quel a été votre regret durant votre carrière ?

Honnêtement, je n’ai pas de regret. Cette question revient toujours : « président vous partez, vous n’avez pas remporté de CAN » Je suis d’accord avec vous, mais, je n’ai pas de regret. Ce que j’ai apporté comme plus dans mon pays me console. Quand vous partez en Côte d’Ivoire, est-ce que vous voyez la trace de la CAN 1992. Les gens ont oublié que j’étais de l’équipe vainqueur. Donc j’ai gagné une CAN. Quand je suis reviens du Soudan, je n’ai pas été décoré tout seul. Toute l’équipe fédérale a été décorée. Quand on parle de la CAN 92, je dis toujours aux gens de ne pas être ingrats. Lorsque je venais aux affaires à la Fédération, il n’y avait pas d’équipementier. Le projet Goal n’existait que de nom. Aujourd’hui, j’ai fait deux Coupes du monde permettant à la Côte  d’Ivoire d’avoir deux terrains synthétiques et un centre magnifique avec le projet Goal. La subvention des clubs s’élève à 38 millions FCFA pour la  D1 ; 8 millions pour la D2 et 7 millions pour la D3.

Le nouveau président de la Fédération a promis de passer cette subvention à 50 millions. Quand je quittais la Fédération, elle avait 2 milliards de fonds propre. Je ne laisse pas une Fédération endettée, je ne  pars pas avec des primes impayées en équipe nationale. La presse devrait aider les Fédérations à ne pas faire du trophée le seul objectif de la Fédération. En prenant l’exemple de mon ami du Niger, je suis content pour lui. Il a déjà gagné sa CAN. La première qualification du Niger restera dans l’histoire. Mais tout le reste est un bonus.

Vous avez présidé l’UFOA par le passé, aujourd’hui, elle est scindée en deux zones. Quel commentaire faites-vous de cette nouvelle configuration ?

Je vais vous faire une confidence. Pour moi, ce sont deux zones sur le papier, mais les relations qui existent entre ces pays surtout entre les présidents des Fédérations n’ont pas éclaté. Ils travaillent tous ensemble. On ne peut faire disparaître facilement une institution qui a plus de 30 ans. Je ne suis pas de la zone A où se trouve le Mali, mais quand je suis au Mali, je suis chez moi. J’ai de bonnes relations avec le président malien. C’est la même chose ailleurs. Il y a 16 pays pour l’UFOA, mais la CEDEAO compte aussi 16 pays. On peut se réunir sous le couvert de la CEDEAO.

                                                                                    Par Baba Cissouma

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