Chaque année, des milliers de jeunes footballeurs quitteraient l’Afrique dans l’espoir d’intégrer un club professionnel en Europe. Trompés par des agents escrocs et encouragés par leurs familles, la quasi-totalité de ces adolescents ne voit jamais le terrain d’entraînement et se retrouve à la rue, sans-papiers et sans aucune perspective d’avenir…
Moussa* a 15 ans quand il est repéré à Dakar par un recruteur italien. Sa famille débourse alors près de 3 000 € dans l’espoir de le voir signer un contrat avec la Juventus de Turin. Mais, le faux agent disparaît dans la nature avec l’argent. Moussa décide alors de partir en pirogue pour l’Europe. Au cours de son périple, il est abusé sexuellement. Il finit par arriver en France où il est repéré par le Paris Saint-Germain (PSG), qui, finalement, ne lui donne pas sa chance, car il est sans-papiers. Moussa se retrouve à la rue et vit de l’entraide de quelques compatriotes. À 18 ans, désormais expulsable, il est dans l’impasse.
A 18 ans, Jacques évoluait, lui, dans un club de première division au Cameroun. Un agent lui fait à ce moment-là miroiter un contrat de 10 000 € par mois pour jouer en première division au Portugal. Arrivé en "terre promise", son salaire est divisé par trois, puis, après quelques mois, Jacques est transféré dans un autre club de deuxième division. Là, on le met à la porte et on bloque son argent. Il dort deux jours par-ci, deux jours par-là, se promenant de ville en ville avec son sac à dos. Aujourd’hui, il est lui aussi sans-papiers en France et il a dû faire la manche pour survivre.
"Ces jeunes sont détruits. Tant qu’ils sont obsédés par le foot, ils gardent espoir, mais après, certains se prostituent, d’autres deviennent dealers. Une fois, j’ai été appelé à 2 heures du matin par un jeune qui voulait me vendre une Mercedes volée…", raconte Jean-Claude Mbvoumin, ex-international camerounais. En 2000, cet ancien professionnel, "halluciné" par ces histoires véridiques auxquelles il avait déjà été confronté au cours de sa carrière en Europe, crée Culture foot solidaire. En France, destination favorite de ces jeunes, l’association a ces dernières années écouté, dépanné et orienté plus de 850 footballeurs mineurs, originaires pour la plupart de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Cameroun.
"Dès que vous commencez à payer, vous êtes morts"
C’est au début des années 90, quand les salaires des meilleurs du continent qui évoluaient en Occident ont été rendus publics, que les jeunes ont commencé à partir. Depuis, l’exode a pris de l’ampleur. En 2003, chaque fédération africaine délivrait en moyenne entre 500 et 1 000 lettres de sortie par an, mais beaucoup de jeunes partent désormais sans ce document. "Les stars africaines sont de plus en plus nombreuses en Europe. Du coup, les familles, qui ne disposent d’aucune autre information, cherchent à y envoyer leurs enfants. C’est une forme d’exploitation", observe Jean-Claude.
Les parents ne sont pas seuls en cause. Une foule d’intermédiaires profite de leur naïveté. Il y a d’abord les faux managers africains ou européens (ex-entraîneurs, avocats, dirigeants, anciens joueurs) qui expliquent aux parents que leur enfant "a des qualités" et qu’il faut lui faire établir un passeport et fournir le billet d’avion, généralement à un prix exorbitant (entre 2 000 et 4 000 €). "Dès que vous commencez à payer, vous êtes morts", avertit Roméo Tchouta, membre de Culture foot solidaire à Lyon. Grâce à des complices au sein de différentes fédérations africaines et d’ambassades européennes, obtenir rapidement un visa court séjour ne serait ensuite qu’une formalité.
Seul en Europe, il est très difficile pour l’adolescent de faire marche arrière, même si, des stars, comme le Camerounais Samuel Eto’o fils, ont eux eu la sagesse de revenir s’aguerrir au pays quand les clubs pros qui leur avaient fait passer des essais ont finalement choisi de ne pas les retenir dans leurs effectifs… "En France, ces jeunes, qui représentent un investissement pour toute la famille, ont tellement honte qu’ils ne racontent jamais leurs galères. Je me souviens d’un Ivoirien qui avait acheté un maillot à la boutique du PSG sur lequel il avait mis son nom, puis l’avait envoyé à sa famille…", raconte Roméo. "Sur 100 qui partent, 99 échouent. Et pour cause, sur 100 propositions, seule une est généralement vraie !", poursuit-il. Prisonniers de leurs propres mensonges, les jeunes perdent pied et leurs familles perdent tout contact avec eux…
Les candidatures spontanées n’ont aucune chance
Certains clubs professionnels européens sont parfois directement responsables de ces situations. "Une forme d’esclavagisme s’est installée", reconnaît Robert Beroud, le directeur pédagogique de la section amateur de l’Olympique lyonnais (OL). "Nous n’avons pas le droit de prendre des étrangers avant 18 ans (article 19 du Règlement du statut et du transfert des joueurs de la Fédération internationale de football association, Ndlr), rappelle-t-il, mais je me souviens d’un gosse de 16 ans pour lequel un agent essayait de trouver un club. Nous l’avons refusé, mais un autre club professionnel a eu moins de scrupules…"
Au centre de formation du RC Strasbourg (RCS), Jean-Marc Kuentz reçoit chaque mois une vingtaine de candidatures spontanées de jeunes ou de leurs agents. "C’est impossible d’estimer la valeur d’un joueur sur un courrier. Pour éviter les ambiguïtés, nous ne donnons pas suite non plus quand nous ne connaissons pas les agents qui nous sollicitent. Les jeunes feraient mieux de passer par des académies reconnues en Afrique qui organisent régulièrement des détections auxquelles nos recruteurs assistent", conseille le directeur technique.
Soucieux de recruter des jeunes familiarisés avec leurs méthodes de travail, le RCS, l’OL et d’autres envisagent de créer dans certains pays africains leurs propres académies ou, à défaut, de renforcer leurs relais sur place. Culture foot solidaire milite, elle, pour la création, en Afrique, de compétitions officielles dans toutes les catégories d’âge.
S’aguerrir en Afrique
Une partie de la solution pourrait venir d’anciens professionnels qui connaissent les besoins des clubs occidentaux et ceux de leurs pays d’origine. Équato-guinéen, Boris King Moussambani Ebodo, qui a joué en France, en Allemagne, en Autriche, en Chine et en Israël et a vu bon nombre de talents "ne jamais revenir au pays et terminer clochards à Paris", envisage par exemple de créer une académie sur sa terre ancestrale pour former au foot, mais aussi préparer à un métier les jeunes : "Le foot ne doit pas être une acrobatie sans filet. Avec plus d’expérience, un vrai contrat entre les mains et une structure d’accueil sûre, ils auront plus de chances de réussir. Et si ça ne marche pas, ils pourront rebondir en tant qu’hommes et transmettre au pays leurs connaissances."
Un message qui rappelle celui d’un autre grand frère, Roger Milla, qui ne rate jamais une occasion de conseiller aux jeunes de "d’abord prouver ce qu’ils valent en Afrique avant de risquer l’aventure en Europe".
Emmanuel de Solère Stintzy (Syfia France)