Sélectionneur de l’équipe nationale du Mali, le Bordelais est à la tête d’une équipe affaiblie pour cette CAN 2012.
Le coq devenu aigle rend visite aux Eperviers avant de se poser chez les Panthères. Traduction: le Français Alain Giresse, sélectionneur du Mali, est parti au Togo avec son équipe pour un ultime stage de préparation avant de rejoindre le Gabon et la Guinée équatoriale, où se jouera la Coupe d’Afrique des nations (CAN) du 21 janvier au 12 février 2012.
Les commentateurs africains se frottent déjà les mains en pensant aux métaphores animales qu’ils vont pouvoir filer tout au long de la compétition. On entend déjà:
«Et les Eléphants de Guinée trébuchent sur les trous que les Ecureuils du Bénin ont creusé un peu partout sur le terrain!»
A la veille de leur départ au Togo, les Aigles sortent au ralenti et en riant du restaurant de Kabala, le Clairefontaine malien aéré par la brise du fleuve Niger et embelli par des bougainvilliers. Sur les épaules, des tenues Airness, bien sûr, la marque du self-made man banlieusard franco-malien Malamine Koné.
Une sélection diminuée
Alain Giresse est pressé. Ses joueurs rencontrent ce soir les Aiglons en match amical. Il s’en serait visiblement bien passé. Il part à la CAN avec un regret, «les blessures» qui ont affaibli l’équipe, et une crainte:
«J’espère que tout ce qui a été prévu fonctionnera et que les joueurs partiront avec des problèmes de football à l’esprit uniquement.»
On pense à la récente grève des joueurs camerounais.
Alain Giresse a bien trois têtes de moins que certains joueurs. Il est «court», comme on dit ici. A l’heure où tout le monde n’a d’yeux que pour Lionel Messi, rappelons que l’ancien milieu n’a pas attendu le lutin chevelu pour montrer au football que la taille ne fait ni le crochet ni la passe ni le buteur. Giresse a été deux fois champion de France avec les Girondins de Bordeaux, sélectionné près de 50 fois en équipe de France et vainqueur de l’Euro en 1984. Un temps qui parlera peut-être aux 3% de Maliens de plus de 65 ans.
Après quatre ans au Gabon et un an et demie au Mali, son accent du sud-ouest de la France est intact. Son toubaboukan (langue des blancs) est chantant. Son bamanankan (langue des bambara) est manquant. Quant à son «entraineurkan» (langue des entraineurs), fait de «à partir de là» et de «sur le plan humain ce sont des moments assez forts», il est bien présent.
Alors, le Mali c’est comment? Les grands espaces sahéliens?
«Il y a une actualité qui fait que ça ne donne pas trop envie de circuler», dit-il.
Un peu facile comme argument. Tout ça pour ne pas avouer qu’il passe ses week-ends à Bamako devant Canal+ pour suivre les championnats européens? D’un autre côté c’est sûr qu’Alain Giresse otage d’al-Qaida au Maghreb islamique, ce serait moche. Sa vie dépendrait de Laurent Blanc, qui accepterait ou non de satisfaire la revendication des ravisseurs d’imposer le port de la burqa à Hugo Lloris.
Une CAN perdue d’avance?
Mais n’exagérons pas. Si Alain Giresse n’a pas forcement le temps de voir du pays ni l’envie de le visiter enturbanné en mode René Caillié (un explorateur français), il a tout de même l’âme d’un voyageur.
«Si on remonte dans mon histoire personnelle j’ai toujours été attiré par la découverte d’autres pays, d’autres continents. J’ai toujours été fasciné par ce que pouvaient permettre les déplacements. Alors j’essayais, chaque fois que le football m’en donnait la possibilité, d’en prendre plein les yeux. Rapidement parce qu’on n’était pas là pour ça…»
De toute façon, pas besoin de parcourir la brousse malienne à dos d’âne pour voir des choses exceptionnelles. A Kabala, par exemple, on peut voir des terrains de football avec de la pelouse, chose rare au Mali. Sans compter que même en sortant peu de Bamako le sélectionneur en arrive aux mêmes enseignements que n’importe quel altermondialiste barbu revenu du Festival au Désert de Tombouctou après avoir fondé une association d’aide aux enfants dogons:
«Ici c’est très difficile d’anticiper.»
Ce qu’il peut d’ores et déjà anticiper, c’est le défaitisme ambiant. La rue malienne ne donne pas cher de la peau des Aigles. De toute façon ici on ne respecte pas les rapaces. Il suffit d’aller faire un tour dans les marchés pour voir ce qu’on en fait. Plumés pour être mis en cage, ou bien carrément découpés en gris-gris au milieu de peaux de serpents et de têtes de singes.
Avec le Ghana, la Guinée et le Botswana comme adversaires, la poule du Mali n’est pas ingérable. Mais, trois stars de la sélection manquent à l’appel. Frédéric Kanouté (FC Séville) et Momo Sissoko (PSG) ont pris leur retraite internationale très anticipée. L’ancien milieu défensif de Lyon et du Real Madrid, Mahamadou Diarra, est quant à lui au chômage. Reste, heureusement, Seydou Keïta, l’irremplaçable remplaçant du FC Barcelone. La sélection compte même deux Girondins: Abdou Traoré et Cheikh Tidiane Diabaté.
France-Mali, une histoire d’amour et de football
Les rives de la Garonne et du Niger sont plus proches que la géographie ne le laisse penser. Bamako et Bordeaux sont jumelées depuis 1999. Le Centre d’étude d’Afrique noire (devenu Les Afriques dans le monde) existe depuis 1958. Incluons également Bertrand Cantat, invité par Amadou et Mariam sur leur prochain album. Ou encore Jean Tigana, né à Bamako de père malien, ancien coéquipier de Giresse en équipe de France et ancien entraîneur de Bordeaux. En venant au Mali, Alain Giresse a d’ailleurs retrouvé un ancien bordelais d’adoption.
«C’est une drôle d’histoire. J’étais à l’école de football des Girondins de Bordeaux. Le mercredi nous étions entraînés par les joueurs professionnels, moins sollicités qu’aujourd’hui. Il se trouve que le joueur qui enseignait aux Pupilles était Karounga Keïta. Plus tard j’ai joué un peu avec lui au début de ma carrière et à la fin de la sienne. Je l’ai retrouvé ici. Il est président du FC Djoliba AC.»
Au Gabon et en Guinée équatoriale, Giresse croisera d’autres inévitables sélectionneurs français d’Afrique. Notamment Michel Dessuyer pour la Guinée Conakry, le premier adversaire que rencontrera le Mali.
«Si les entraîneurs français ou européens sont sollicités, c’est pour leur expertise et leur indépendance, pense-t-il. Peut-être aussi que les entraîneurs locaux ont du mal à prendre du recul par rapport à un environnement qui peut être très présent et très pressant.»
Il en sait quelque chose. Son adjoint malien a été récemment remercié et remplacé sans son consentement par la Fédération.
En réalisant un bon parcours à cette CAN 2012, Alain Giresse se verrait peut être ouvrir les portes d’un championnat européen.
«Je sais bien qu’aujourd’hui la référence c’est d’entraîner Barcelone. Mais on peut se sentir bien et trouver professionnellement ses marques ailleurs que dans un club européen», s’agace-t-il un peu.
L’Afrique est réputée pour accueillir des entraîneurs en disgrâce, en découverte ou en fin de carrière. Un peu comme pour les voitures et les fripes.
Il l’assure, il prend du plaisir depuis qu’il est en Afrique.
«Les quatre années que j’ai passées au Gabon ont été parfois compliquées. Mais, elles se sont terminées de façon fantastique. Ce sont des choses comme ça après lesquelles on court.»
Continuer comme sélectionneur?:
«Pourquoi pas? Sauf qu’on est dans un milieu où il est difficile d’avoir une programmation précise.»
Le Mali est dans ce cas tout indiqué.
Fabien Offner – slateafrique.com – 18/01/2012,