Entretien avec Frédéric Kanouté

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Boycotté à Lyon et intermittent en Angleterre, Kanouté est devenu ‘O’Rei’ à Séville. Pichichi actuel de la Liga et marchand de rêves attitré du Sanchez Pizjuan, le Franco-Malien est considéré comme une idole sur les bords du Guadalquivir. Il pourrait donc la ramener comme Eto’o mais non…Rencontre à Séville avec l’homme qui aurait pu inspirer "l’Alchimiste" de Paulo Coelho et sa fameuse histoire du berger andalou…

Je vois que ta voiture est encore immatriculée dans le 69…
J”ai mon assurance là-bas, c”est plus simple pour moi, surtout quand je bouge du pays. Je me déplace beaucoup en voiture… J”ai d”ailleurs toujours mon domicile à Lyon, mon assurance est également à Lyon, donc je garde mes plaques, c”est beaucoup moins compliqué.

Tu retournes souvent là-bas ?
Dès que je peux, quand j”ai des vacances. Mes parents y habitent encore.

Comment il était le gamin Kanouté ?
Je garde un très bon souvenir de mon enfance. J”habitais dans la banlieue lyonnaise, et c”est là que j”ai appris le football. Avec mes potes on organisait des matchs interminables. C”était vraiment agréable…

Boissart, ton formateur à Lyon, a dit que tu étais ambitieux, est–ce que tu regrettes ton départ de Lyon ?
J”ai la tête dure, moi je voulais jouer et ce n”était pas le cas. Donc ça a été très dur, je ne comprenais pas pourquoi je devais être remplaçant. Je voulais ma chance, et on ne me l”a pas donnée. Je ne voyais pas non plus quel intérêt ils avaient à me garder en fait… Je ne comprenais pas vraiment pourquoi ils me voulaient et ce qu”ils voulaient faire de moi. Finalement, on ne m”a pas donné ma chance au bon moment, j”ai perdu patience et je suis parti. Mais c”est très bien que tu me parles de Boissart, parce que c”est de lui que je garde le plus de souvenirs de mon étape à l”Olympique Lyonnais. Il a tout fait pour que je progresse. Il n”a jamais hésité à me pousser et à m”appuyer.

Il t”a canalisé un peu ?
Non il ne m”a pas canalisé, mais disons qu”on s”est embrouillés pas mal de fois parce que j”aimais pas trop qu”on me crie dessus à l”époque et que Boissart est aussi un peu nerveux sur les bords, donc des fois ça partait très vite. Mais il m”a tellement poussé que c”est incontestablement avec lui que j”ai le plus progressé.

Qu”est-ce que tu as appris à Lyon ?
Toutes les bases. Mais je n”ai pas appris mon métier à Lyon. C”est quand je suis parti à l”étranger que j”ai véritablement fait mes preuves. C”est un peu comme à l”école : tu y apprends la théorie, mais la pratique tu l”acquiers sur le tas. Pour moi, tout a réellement commencé quand je suis parti en Angleterre, même si je me rappelle très bien des fondamentaux que j”ai appris à l”OL.

Le pire souvenir à Lyon ?
C”est la manière dont était géré le club parfois qui m”enervait un peu, pas au plus haut niveau, mais plutôt dans la formation des jeunes. Il y avait trop de favoritisme, on mettait trop certains joueurs sur un piedestal par rapport à d”autres. Tous les joueurs ne bénéficiaient donc pas du même traitement. Tu sais, Lyon c”est quand même un grand club, du moins le grand club de toute la région lyonnaise et beaucoup de petites stars locales venaient au centre pour y jouer. On déroulait le tapis rouge à certains joueurs, alors que nous, on était les petits banlieusards de Lyon. Ce n”est plus un mauvais souvenir désormais mais certains avaient une mentalité que je n”arrivais pas à comprendre. Aujourd”hui, on s”aperçoit que ce ne sont pas ceux qu”on aide qui ont réussi. Les courbettes qu”on te fait étant jeune ne te servent pas à progresser. Moi, on ne m”en a jamais fait et c”est peut-être pour ça que j”en suis là maintenant. A Lyon, on m”a mis des bâtons dans les roues dès le plus jeune âge, je n”aimais pas trop la façon dont l”encadrement se comportait avec moi, mais j”ai bien tenu. Je n”ai pas lâché et aujourd”hui, je suis heureux d”avoir persévéré.

Es-tu es fier aujourd”hui d”être considéré comme une star en Espagne alors qu”à Lyon tu étais un simple remplaçant ?
J”ai le sens du challenge. A partir du moment où ils ne m”ont pas gardé et où ils ne m”ont pas considéré, le fait d”être parti à l”étranger et d”avoir donné une bonne image de moi dans les clubs par lesquels je suis passé, c”est pas une fierté, non, je le vis plutot comme une reconnaissance de mes sacrifices et de mon travail. Car mon chemin n”a pas été tout tracé.

Quel souvenir gardes-tu d”Aulas ?
Je pense qu”au niveau de la gestion d”un club, c”est lui qui le fait le mieux en France. Il a compris comment allier business et sport. Aujourd”hui, il faut un savant mélange des deux et il l”applique bien. Dans le foot, il faut de l”argent et il a compris tout ça.

Tu es d”accord avec ça ?
Les gens veulent des résultats et lui, il satisfait les gens. En France, il faut pas trop en demander non plus car j”ai souvent vu des gens qui lui tiraient dans les pattes par rapport à ce qu”il faisait. A vrai dire, je ne sais pas comment il gère son truc, mais il faut soutenir Aulas, car Lyon est le plus grand club français du moment. En France, on a la mauvaise habitude de descendre les grands clubs, alors pour une fois qu”il y en a un, il faut être derrière lui.

Tu suis le championnat de France ?
Oui, je suis câblé, j”aime bien regarder les matches surtout pour voir les performances de mes potes. J”aime bien aussi regarder les championnats dans lesquels j”ai évolué.

Le championnat hexagonal est mauvais pourtant…
Je sais pas. Pour dire cela, il faudrait que j”y évolue, mais au niveau européen, les clubs français n”arrivent pas à aller bien loin, mis à part Lyon. Par rapport aux championnats anglais ou espagnol, c”est sûrement un ton en dessous, mais ça reste quand même une compétition intéressante. Au niveau des jeunes surtout. La seule chose qui est dommageable, c”est que les clubs n”arrivent pas à les conserver, et c”est ça qui, à la longue, fait la différence… En Espagne, le championnat français a néanmoins très bonne réputation.

J”ai interrogé beaucoup de supporters à ton sujet et ils m”ont tous dit du bien de toi. La seule critique qu”ils émettent à ton égard, c”est que tu es français. C”est pour ça que t”es devenu malien ?
(Rires). C”est bizarre parce qu”ici, on me voit comme un Malien normalement, peut-être parce qu”ils n”aiment pas mon côt&
eacute; français. Escudé par exemple, on le voit bien comme un Français. Les gens ne savent pas trop, il y en a qui pensent que je suis né au Mali et que je passe tout mon temps libre là-bas. Si le seul problème, c”est d”être français, là je ne peux rien y faire. (Rires)

Ton père est arrivé à 20 ans en France en provenance du Mali, tu penses quoi de Sarkozy et de l”immigration choisie ?
La discrimination positive et toutes les idées dans le genre, ce sont des sottises, c”est une honte d”agir de la sorte. C”est un mentalité un peu arriérée de penser comme ça : Sarko ramène les meilleurs pour qu”ils génèrent des bénéfices pour la France, et les autres on les renvoie chez eux comme s”ils n”étaient rien. Quand les Français sont allés en Afrique, ils n”ont pas demandé les cerveaux mais les plus besogneux, et aujourd”hui ça ne les intéresse plus, ils veulent les têtes. La France ne peut pas agir comme ça, elle a une responsabilité envers l”Afrique et tout ce qui s”est passé dans l”Histoire. Elle doit assumer son rôle de « grande soeur » et de partenaire plutôt que de se croire au dessus et de nier les problèmes qui existent là-bas.

Qu”est-ce qui t”a poussé à jouer pour le Mali ?
Il y a plusieurs choses… Pour commencer, j”ai pas été appelé chez les Bleus. Si on m”avait convoqué chez les A, le problème aurait été réglé.

Mais tu pensais mériter une convocation à ce moment-là ?
Oui. Quand je suis arrivé à Tottenham, j”avais enchaîné pas mal de buts et il y avait pas mal d”attaquants qui étaient blessés ou qui ne jouaient pas bien, et malgré cela, le sélectionneur ne pensait jamais à moi. Une fois, j”ai été dans la liste des 30 mais c”est tout. A ce moment-là, j”ai senti que ça n”allait jamais se faire. Le Mali c”était pareil, pour moi ce n”était pas possible vu que j”avais déjà joué avec les espoirs français. Depuis que je suis tout petit, je me suis intéressé à leur sort, j”ai regardé les résultats. En fait j”ai toujours été supporter du Mali, c”était quelque chose de très naturel. Quand ton père est originaire d”un pays, t”as ça dans le sang, tu t”intéresses un peu à tes racines. Le jour où la FIFA m”a donné la possibilité de jouer avec le Mali, j”ai réfléchi pour ne pas partir dans l”inconnu bêtement. Je me suis renseigné sur la qualité de l”équipe, sur son potentiel, et très vite j”ai senti qu”il y avait de très bons joueurs. C”est là que j”ai vraiment eu envie de faire partie de l”aventure.

Avant ça, tu connaissais le Mali ?
Oui, j”y étais allé deux ou trois fois pour les vacances. La première fois que je m”y suis rendu, j”avais 9 ans, puis j”y suis retourné quelques fois.

Tu te sens Français ou Malien ?
Je suis Français car je suis né en France. Toute ma culture est française, d”ailleurs je la connais plus que la culture malienne. Lorsque je rentre dans l”Hexagone, je me sens vraiment chez moi, je ne me considère pas comme un étranger. Pour autant, je ne peux pas renier la culture malienne, qui est celle de mon père. Je suis fier de ma double culture.

C”est lui qui t”a poussé à choisir le Mali ?
Non il m”a pas poussé, il m”a laissé choisir. La seule chose qui l”intéresse, c”est que je m”épanouisse dans mon métier et quand j”ai des bons résultats, il est content, mais il ne m”a pas vraiment influencé dans mon choix. Néanmoins, quand je lui ai annoncé que j”avais décidé de jouer pour eux, il était heureux, tout comme ma mère d”ailleurs. Mes parents m”ont toujours appuyé, et heureusement…

Tu as eu certains problèmes suite au match perdu contre le Togo, synonyme d”élimination pour la phase finale de la coupe du monde… Qu”est-ce qui s”est vraiment passé ?
Ca a débordé tout simplement. Les gens sont devenus fous à dix minutes de la fin du match lorsque le Togo a marqué le deuxième but. A ce moment là, il y a une personne qui est descendue sur le terrain, et tout le monde l”a suivie. C”était vraiment impressionnant, mais je n”ai pas eu vraiment peur car ils ne s”en sont pas pris à nous directement. Bien sûr, ils se sont plaints de nous, mais ça n”est pas allé plus loin.

Des hooligans africains…
(Rires) Oui, si on veut. Je ne pense pas que ça existe ce système en Afrique. Le football pour eux, c”est avant tout un immense moment de bonheur, le reste ils s”en foutent.

Comment es-tu perçu au Mali ?
Je sais que tout le monde fait attention à ce que je fais. Ils connaissent tout de ma vie, quand je rentre au pays, les gens savent déjà où je vais, ce que je fais, ce que je pense. En plus, je reçois des tonnes de mails de sympathie, ça me fait plaisir, mais pour revenir à ta question, je ne sais pas vraiment comment je suis perçu au Mali, en tout cas ce n”est pas à moi de répondre à ça. Il faut le demander aux autres. Ce n”est pas le genre de chose qui me préoccupe. Tout ce que je sais, c”est que tous les joueurs maliens qui jouent à l”étranger sont suivis par le public local. Ce sont de vrais fanatiques du football !

Diarra, tu l”as connu en sélection malienne ?
Non, je l”ai connu avant, à Lyon, lorsque je revenais pour les vacances. On s”était croisés plusieurs fois là-bas mais je n”étais plus au club, je jouais déjà en Angleterre. C”est un mec vraiment cool, très attachant, avec qui je m”entends très bien.

Est-ce que tu pensais alors que vous alliez vous retrouver en Espagne dans des équipes qui luttent aujourd”hui pour le titre ?
Pour sa part je ne sais pas, mais il n”a y rien d”extraordinaire aujourd”hui à voir des joueurs maliens ou africains dans les grandes équipes du Vieux Continent. Aujourd”hui, il y a des Africains dans pratiquement toutes les équipes d”Europe, y compris dans les plus grandes. Que ce soit à Chelsea, à Liverpool ou à Arsenal, partout il y a des Africains. Ce n”est plus comme avant où il était rare d”en voir au plus haut niveau. Désormais, il n”y a plus rien d”étonnant, c”est même presque naturel car les Africains ont énormément progressé. Je suis content par exemple que Mahamadou Diarra soit le premier Malien à porter le maillot du Real Madrid, l”un des plus grands clubs du monde. Ca veut dire que le football évolue, et c”est très bien.

Stephen Keshi, l”ancien sélectionneur du Togo, a déclaré que le Mali était l”équipe africaine la plus talentueuse. Quel objectif vous êtes-vous fixé pour les années à venir ?
Nous on veut aller haut, mais bon là on sort d”une crise. En Afrique plus qu”ailleurs, aucun match n”est gagné d”avance. Tu peux avoir les meilleurs joueurs et te planter contre une équipe moins bonne. Au début, on avait tendance à aligner exclusivement des joueurs qui évoluaient dans les grands championnats européens, et ça ne marchait pas. D”ailleurs on a perdu pratiquement tous nos matchs de qualification en jouant comme ça. Tu sais là-bas les noms, le palmarès, ça ne suffit pas, ça ne veut vraiment rien dire du tout. Si tu veux gagner, il faut se battre à chaque match, parce que c”est très très difficile, voire même éprouvant…

Ta pire expérience avec la sélection malienne…
Au Libéria. C”était un truc de fous, c”était de la folie ! (Rires)

Pourquoi ?
L”organisation au départ n”était pas terrible. On est arrivés dans un hôtel miteux où il n”y avait pas de clim, pas d”eau dans les chambres, l”eau ne coulait pas des douches, tout était moite donc tu passais tes journées à transpirer sans pouvoir te laver. Bref, c”était catastrophique ! Le terrain aussi était dans un état pitoyable, quand on sortait dans la rue, les gens étaient super excités contre nous. Ca criait dans tous les sens, ca tapait dans les vitres du bus, je n”avais jamais vu ça, c”était vraiment incroyable. En plus c”était mon premier déplacement à l”étranger avec les Aigles… Je peux te dire que je n”ai pas oublié !

A cet instant, ne t”es-tu pas demandé ce que tu faisais là ?
J”ai pas flippé, mais je ne comprenais pas comment on pouvait se concentrer sur un match de football dans ces conditions là. Les autres joueurs étaient habitués, mais pour moi c”était tout nouveau comme expérience, il a donc fallu que je m”y habitue mais maintenant ca va mieux. Il y a quelques mois, on est allés jouer en Sierra Leone, et c”était un peu la même ambiance qu”au Libéria. Mais ça ne m”a rien fait, j”étais blasé… En fait ça ne me touchait même plus.

Est-ce que tu trouves cela normal que le football africain ne dispose pas d”une meilleure organisation, de meilleurs financements, alors qu”il est un vivier de footballeurs pour les clubs européens ?
C”est à l”image de tout. L”Afrique est laissée derrière, c”est d”ailleurs le seul continent au monde qui n”a pas de relations sérieuses et soutenues avec l”Europe ou l”Amérique. En Afrique, l”économie est à la traîne, les politiciens également, alors le football ce n”est que la suite logique des choses… Il y a un truc que je regrette, c”est l”organissation du calendrier. La Coupe d”Afrique des Nations, par exemple, tombe en plein milieu de la saison. C”est difficile pour les joueurs qui doivent laisser leur club, et qui ne sont pas certains de pouvoir récupérer une place de titulaire à leur retour. L”Afrique vit de son côté, et dans le foot c”est pareil, la solution serait donc peut-être d”aménager un calendrier spécifique pour les Africains même si ça paraît difficile. Mais bon l”uniformisation des calendriers, c”est un problème sur lequel il faudra se pencher tôt ou tard…

A Séville, il n”y a pas beaucoup de noirs, alors que Londres est une ville vraiment cosmopolite. Qu”est-ce qui t”a poussé à venir ici ?
Sportivement, c”était le plus intéressé. Je devais partir de Tottenham et Séville me voulait vraiment. Je me suis dit : "Ok je vais tenter l”aventure, ça va être sympa, et en plus il fait chaud." J”étais venu en vacances en Andalousie une fois et j”avais trouvé ça très bien. Arrivé ici, je me suis rendu compte que Séville était une planète à part, un peu comme Marseille en France. C”est le même style, ce sont des passionnés, une mentalité un peu à part, mais c”est aussi ce qui les rend attachants.

Et tu comprends les Sévillans quand ils parlent ?
Oui, maintenant ca va, au début pas trop, mais aujourd”hui je parle comme eux : mal ! (Rires). Ce n”est pas du bon espagnol ce que je parle, mais après tout, ce sont les Sévillans qui m”ont appris à parler
de la sorte.

Qu”est-ce que tu penses de la société espagnole. L”Espagne va-t-elle mieux que la France ?
Moi je regarde autour de moi et je m”aperçois que les Africains n”ont pas de bonnes situations. Ils galèrent, et puis sans papiers c”est difficile de toute façon… Ils sont quand même contents parce qu”ils arrivent à trouver du travail.

Ca t”arrive d”en aider parfois ?
Depuis que je suis à Séville, je soutiens deux jeunes Maliens qui sont venus me voir à l”entraînement. Ils sont venus chez moi, je les invite au stade à chaque fois, je les vois régulièrement, et s”ils ont besoin de quelque chose en particulier, j”essaie de les aider. Mais c”est plus du soutien moral que financier, j”essaie de faire du mieux que je peux et pour l”instant ça se passe bien.

Tu n”as pas l”impression d”être une idole à Séville ?
Depuis que je suis ici, je ne sais pas ce qui se passe, mais à chaque fois que des choses spéciales arrive au club, je suis dedans… C”est vrai : la première coupe d”Europe, c”est la première fois, la supercoupe, c”est la première fois, le 3000ème but c”est pareil, ils en ont fait toute une histoire alors que pour moi ça ne veut pas dire grand chose… Mais bon, c”est symbolique et c”est moi qui l”ai marqué. Il y a plein de trucs comme ça, et les gens se sont peut-être attachés à moi à cause de tous ces petits détails. De toute manière, ici les gens s”enflamment facilement. A Séville, les gens ont un engouement naturel incroyable pour le foot, résultats ou pas, alors quand l”équipe fonctionne c”est la folie ! Depuis un an, il y a certains supporters qui sont sur un petit nuage. Pour eux, c”est comme un rêve de voir leur équipe remporter des coupes et être deuxième du championnat. C”est formidable ce qui leur arrive, et je suis très content de ça…

Tu penses rester encore longtemps à Séville ?
Pour l”instant je ne sais pas. Ce que je vis ici, je ne pourrais pas le vivre ailleurs. C”est la première fois que je vis une telle aventure alors pour l”instant je n”ai pas envie de quitter Séville, qui plus est après avoir soulevé l”année dernière ma première coupe… Après je ne sais pas combien de temps ça peut durer comme ça…

Tu t”es converti à l”islam il y a une dizaine d”années, et tu habites dans une ville où il y a le meilleur jambon du monde. Tu n”as pas un peu la haine de t”être converti trop vite ?
(Rires) Bonne question ! L”envie du jambon, ça fait longtemps que je m”en suis débarrassé, ça fait même très longtemps, mais maintenant que tu me poses la question…(rires) C”est vrai que c”est difficile de l”éviter, t”en trouves partout, les gens t”accueillent avec du jambon, tout le temps du jambon, du jambon, à la limite, ils se demandent comment je fais pour survivre sans jambon et sans bière ! C”est marrant.

Qu”est-ce qui t”a poussé à te convertir ?
J”ai de la famille chrétienne et de la famille musulmane, et j”ai pu voir ce qui me convenait le mieux. Grâce à l”éducation que m”ont donnée mes parents, j”ai pu choisir librement ma religion, et bon, c”est la religion musulmane qui m”a le plus attiré. Mon père est musulman non pratiquant et ma mère est professeur de philosophie, mais non croyante. Elle, c”est une philosophe anti-religion, et quand je lui ai dit que j”allais devenir musulman, ça lui a fait un peu bizarre. Mais bon, elle n”était pas choquée non plus par mon choix.

Comment es-tu devenu musulman concrètement ?
C”est facile de devenir musulman : il suffit de reconnaître qu”il n”y a que Dieu, que le prophète Mahommet est son envoyé, et si tu l”attestes devant des témoins, c”est bon.

Tu ne t”es jamais demandé si c”était bon ou mauvais pour ta carrière ?
Non, les clubs se foutent éperdument que tu sois bouddhiste, hindou ou chrétien. Même si j”ai connu des joueurs à qui c”est arrivé. C”est à dire qu”à niveau égal avec un autre joueur, ils ont choisi un non musulman. Ils pensent peut-être que nous ne sommes pas capables de nous adapter, mais c”est une sottise énorme… je suis français, comme la majorité des musulmans de France, je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas capables de nous adapter. Il ne faut pas confondre la culture d”une personne avec sa religion.

Ici les gens soulignent ton côté altruiste…
Mes parents m”ont donné une bonne éducation. Mon père était ouvrier et ma mère était professeur de philosophie. Maintenant quand j”y pense, c”est un bon mélange, ça m”a permis d”assimiler différentes valeurs… Ma mère a beaucoup fait pour que je sois bon à l”école, et mon père, lui, m”a inculqué des valeurs qu”il pensait bonnes pour moi. Mon éducation, l”Islam me la complète tous les jours. Je suis assez modeste naturellement, je ne me force pas, je ne suis pas star-system. Ce n”est pas pour moi tous ces trucs là.

Tu as fait le ramadan cette année ?
Je l”ai fait mais à Séville, il n”y a eu aucun problème avec ça. Les dirigeants ont respecté mon choix.

Ribéry c”était moins facile pour lui… Je ne le connais pas vraiment, mais je pense que s”il a eu des problèmes avec ça, si vraiment le fait qu”il fasse le ramadan a posé problème à un moment donné… il arrivera facilement à trouver un club dans un autre pays où ils seront beaucoup plus respectueux de ses traditions. Nous les musulmans, on essaie de s”adapter au club, et c”est normal parce que ce n”est pas le club qui doit s”adapter à nous. Si le matin on se lève pour manger plus tôt que les autres, je ne vois pas où est le problème. Du moment qu”on respecte tout le monde, tout se passe bien.

Comment t”es venue l”idée de créer une Fondation pour les enfants du Mali ?
Je pense que c”est une vocation pour moi. Je pense à ça depuis cinq-six ans, et aujourd”hui ça commence vraiment à se concrétiser. Je voulais servir à quelque chose…

Tu penses qu”en jouant au football, tu ne sers à rien ?
Si bien sûr, tu te donnes du plaisir, ainsi qu”à ceux qui te regardent, mais ce n”est pas la même chose, la vie ne se limite pas au football. Je suis néanmoins reconnaissant envers ce sport pour ce qu”il m”a donné…Aujourd”hui je me sers par conséquent du football pour aider des personnes qui n”ont pas eu la même chance que moi. C”est le moins que je puisse faire… A Séville j”ai cherché à ouvrir les esprits sur des sujets comme l”Afrique ou la religion musulmane, c”est ça mon but.

Tu connais le livre "L”alchimiste" et la fameuse histoire du berger andalou ?
Ahhhh, oui… Je connais mais je ne l”ai pas lu. Ma femme lit beaucoup de livres de Paulo Coelho, il paraît que c”est bien, on m”en a parlé un peu.

C”est un livre qui te va bien je trouve…
Peut-être… (Rires)

La polémique 888. Qu”
est-ce qui t”a poussé à mettre un bout de scotch sur ton maillot ?

(Rires) C”était hilarant. Quand je vais y repenser dans quelques années, je vais rigoler. Quand j”ai expliqué ce que j”ai fait à un ami malien, il était plié de rire. Tous les deux, on a eu un bon fou rire. Aujourd”hui je rigole, mais quand je l”ai fait ce n”était pas drôle. C”était par conviction, les jeux, les casinos, ce n”est pas trop ma tasse de thé. J”espère que la mafia ne va pas venir chez moi pour me faire la peau parce que c”est un geste symbolique qui a été mal interprété. De toute manière, j”ai arrêté de protester car je ne peux pas me mettre en marge des autres joueurs de mon équipe. Le truc, c”est que je l”ai fait au moment même où Platini ou je ne sais qui était en train de débattre à ce sujet. Ca a fait un gros bruit en France, quand j”allumais la télévision, je n”entendais parler que de ça, c”était hallucinant !

Quel est ton modèle dans le foot ?
Je regardais beaucoup Pelé, j”ai visionné beaucoup de K7 sur la coupe du monde étant petit. Quand j”ai grandi, mon modèle c”était George Weah, j”aimais bien les joueurs africains. J”ai kiffé ses matchs en Champion”s League, quand il a fait la virgule à Koeman ou quand il a marqué contre le Bayern, c”était génial. Après à Milan, j”ai cette image d”un but où il dribble tout le monde pour aller marquer. Comment il jouait, c”était incroyable ! Weah, il a marqué les esprits, ça a été une source d”inspiration pour tous les jeunes Africains. C”était le premier Africain qui réussissait vraiment au plus haut niveau. Il y avait aussi Abedi Pelé qui m”impressionnait par sa technique. A Lyon, je l”ai croisé quelques fois mais je n”ai jamais eu l”occasion de discuter avec lui…

Est-ce que tu aimes vraiment le football ?
C”est vrai, je ne regarde pas tous les matchs à la télévision. Par exemple, je ne suis pas abonné au câble… mes coéquipiers sont souvent étonnés : "Comment tu fais ?" La seule chose que j”ai, c”est Canal Satellite, ce qui me permet de regarder quelques fois des matchs du championnat de France. Mais bon, j”ai vraiment du mal à me concentrer devant mon écran… Ca m”endort. J”ai des potes, ils connaissent tout, mais pour moi le vrai plaisir, tu l”éprouves quand tu joues.

Qu”est-ce que tu comptes faire à la fin de ta carrière ?
Tu veux dire que je suis vieux quoi (rires) !

Non pas du tout, mais tu as déjà une petite idée quand même ?
La fondation, je ne vais pas arrêter. Ca va me prendre du temps, mais c”est quelque chose qui me tient vraiment à coeur. Ceci dit, il y a d”autres trucs qui m”intéressent, à Lyon un ami à moi a lancé une marque de vêtements et je suis un de ses associés, il s”appelle Mohamed Ali, c”est original comme nom, mais c”est son vrai nom ! C”est un univers dans lequel j”aimerais vraiment évoluer. La marque s”appelle Fortune. J”ai le droit de le dire ?

Comment qualifies-tu le jeu de Séville ? C”est quoi le secret de cette équipe ?
Ca me fait penser à Lille en France, un club où il n”y pas de stars. Chaque joueur est un plus, et c”est ce qui fait la force du club. A Seville il n”y a personne qui se croit au dessus des autres, tout le monde tire dans le même sens. Tout le monde travaille ses points forts, on n”est pas des stars, mais on n”a pas de complexes. J”aime ça. En plus, on a la chance de pouvoir compter sur des jeunes très forts, comme Alves, Puerta ou Jesus Navas.

Quel joueur t”a le plus impressionné depuis ton arrivée ?
Alves, il est impressionnant dans sa manière d”aborder les matchs, de s”entraîner, de jouer, il a toujours envie… Il en devient presque épuisant. Rien que de le regarder courir dans tous les sens, il me fatigue (rires) ! Il est toujours excité, il ne se repose jamais, il ne lâche jamais l”affaire, c”est une vraie pile. En outre, il joue toujours au même niveau. Franchement je n”ai jamais vu un arrière droit qui prenait autant part au jeu. Des fois, il joue comme un numéro 10, il dribble des joueurs, il fait des passes décisives… Il est vraiment très fort ! Jesus Navas c”est la même chose, c”est une vraie mobylette ce type !

Et toi tu t”impressiones ?
Non, je ne m”impressionne pas… je suis tombé au bon moment dans un club qui marche bien. Je ne vais pas me rabaisser, mais je ne vais pas me vanter non plus, ce n”est pas mon style.

Entre toi et Carew, Cannavaro il a eu l”air con…
Ce match, je l”ai vu, et Carew il a été incroyable (rires)…J”ai rarement vu un attaquant faire la misère comme ça à son défenseur. Il s”est fait ridiculiser !

Le Ballon d”Or, tu ne l”aurais pas donné à un Africain, genre Eto”o ou Drogba ?
Franchement, le Ballon d”Or, ils auraient dû me le donner. (Je rigole). Tu vois, pourquoi ça te fait rire ? Je voulais voir ta réaction. C”est une blague, tu mettras bien que je plaisante. (Rires) Je trouve ça bien que ce soit un défenseur qui l”ait eu, après que ce soit Cannavaro ou un autre, je m”en fiche un peu. Cannavaro, je ne le connais pas bien… Si la prochaine fois ils donnent le Ballon d”Or à un gardien, ce sera encore mieux !

A ton avis, les Africains vont-ils remplacer les Brésiliens ?
Je pense que ça a déjà commencé. Les Français et les autres pays commencent à s”intéresser de près aux centres de formation africains, certains vont même jusqu”à financer ce genre d”établissements. Pour les clubs, c”est une mine d”or. Bon maintenant, j”aimerais bien que ce soit aussi par rapport à d”autres choses que le sport, que les talents africains soient reconnus et appréciés… parce que c”est aussi une mine d”or dans bien d”autres domaines. Mais bon, pour l”instant on va se contenter de ça, c”est déjà bien.

L”Andalousie a été sous influence maure pendant des siècles. Est-ce que ça t”a influencé dans ta décision de venir évoluer sous le maillot Rojiblanco ?
Je connaissais un peu l”histoire de la ville, et j”étais content de venir pour ça aussi. Mais quand je me suis aperçu qu”il n”y avait que des Espagnols qui ne connaissaient rien à l”islam, j”ai été étonné. Ils marchent dans des rues construites par des musulmans, les noms sont à consonance musulmane, tout respire l”Islam, mais toute cette culture, ils l”ont pas mal balayée. C”est bizarre. A Grenade ou à Cordoue, il y a beaucoup plus de traces de cette époque, notamment dans la culture… Mais pas à Séville.

C”est difficile de pratiquer la religion musulmane à Séville, comparé à Londres ?
Je connais des petites mosquées ici, donc il n”y pas de problème. En tant que musulmans, on nous apprend à vivre avec tout le monde, à nous adapter, et c”est ça qui est formidable. Il n”y a vraiment aucun problème, même si au début j”avais la nostalgie de l”Angleterre où tu sors tranquillement dans la rue, où tu fais ta vie, où personne ne te dérange, où t”as des mosquées à tous les coins de rue, c”est facile, j
e passais inaperçu. Tu vois de tout là-bas, des sikhs, des muslims, des femmes voilées, des punks, tout… Ici les gens ont tous le même style, mais ça n”empêche pas qu”il soient adorables. J”ai beaucoup d”amis espagnols.

Passer de la pop anglaise à la pop espagnole, ça ne t”a pas fait un peu mal franchement ?
Ca ne m”intéresse pas. En ce moment j”écoute la radio, ça facilite mon apprentissage. Quand il y a des trucs bien, j”écoute. Mais je suis assez ouvert au niveau de la musique, même si la pop c”est pas mon truc…

Les victoires du club sont célébrées dans des églises (notamment à la Giralda), ça ne te dérange pas ?
Est-ce que j”y suis allé moi ? Personnellement, je ne l”ai pas fait parce que je suis parti avec la sélection malienne tout de suite après, mais je sais que l”équipe est allée voir le Roi, et qu”ils ont fait la fête dans la ville sur un bus décapotable… Ceci dit ça ne m”aurait pas dérangé de rentrer dans des églises, même si je ne vais pas commencer à participer pour autant à la messe. C”est pas mon truc.

Qu”est-ce que tu penses de Domenech ? Tu crois que s”il en avait la possibilité, il ferait appel à toi ?
Je n”ai pas de nouvelles de lui et il ne m”appelle plus. Je me rappelle juste d”une interview dans laquelle il disait que la réforme de la FIFA qui permettait aux joueurs d”évoluer sous d”autres couleurs après avoir été espoirs pour un pays, c”était du n”importe quoi, moi ça m”a fait rire sur le coup, surtout qu”il me connaît… Domenech c”est quelqu”un de très original, mais j”en garde un très bon souvenir. Je pense qu”il est ouvert en fait, il comprend les autres cultures, ce n”est pas quelqu”un qui est fermé, il n”a pas de style de joueurs, ni de tactiques bien définies, lui il innove, il n”est pas borné comme certains. C”est quelqu”un qui essayait de te faire réfléchir par toi-même. Chez les espoirs, il organisait souvent des causeries, on ne parlait pas uniquement de football, et des fois, ce qui pouvait en ressortir était vraiment enrichissant pour nous les joueurs.

On a l”impression que tu aimes bien mettre ton grain de sel…
Non, je ne suis pas timide, c”est juste que je suis calme et que je ne parle pas beaucoup. J”aime bien la relation de respect qu”il peut y avoir entre les joueurs. Il faut respecter son entraîneur mais il faut que ce soit réciproque. J”ai eu pas mal de problèmes avec mes entraîneurs et mes profs mais bon… C”était à l”époque où je faisais des bêtises !

C”étaient quoi tes bêtises ?
Je ne peux pas trop le dire en interview, mais ce n”était pas méchant. Petit j”étais vraiment turbulent, pas comme aujourd”hui. A la maison et à l”école j”étais intenable, insupportable ! Je revenais souvent à la maison avec des lettres des professeurs. Je donnais le mot à ma mère en premier pour ne pas que mon père les voie parce que j”avais un peu peur de lui. Une fois il m”a vu traîner dans le quartier alors que je devais faire mes devoirs, et quand je suis rentré à la maison il m”a pointé du doigt comme ça (il fait le geste) et là j”ai vraiment eu peur. Je peux te dire qu”après je surveillais ce que je faisais (rires). Même si mon père est très gentil, il n”accepte pas qu”on puisse faire n”importe quoi… Sinon j”ai une autre anecdote. Tu sais quand t”es jeune, tu jures sur la tête de ta mère un peu bêtement, moi-même je l”ai fait. Ma mère m”a dit un jour qu”elle espérait que ce ne soit pas mon cas. Je n”ai jamais plus juré sur sa tête. C”est là que j”ai commencé à être différent des autres jeunes de mon âge parce que tout le monde le faisait. J”essayais de jurer autrement ! (Rires).

Si tu n”avais pas été joueur, tu aurais fait quoi ?
J”aime bien le métier de médecin parce que c”est utile. Il en faut d”ailleurs. Mais je ne pense pas que j”aurais eu les capacités pour y arriver. Quand je vois mon frère qui est médecin, je me dis qu”il en a bavé. Il passait son temps à réviser, ça avait l”air vraiment dur. Comme on dormait dans la même chambre, je ne le laissais pas se concentrer comme il voulait, alors il crisait (sic) sur moi. Mais moi je ne comprenais pas pourquoi il me criait dessus ! Ce n”était vraiment pas facile pour lui. Vu que médecin, ça aurait pas été possible, je pense que j”aurais fait un truc par rapport aux lettres parce que j”ai un bac L. Finalement, c”est bien que je sois devenu footballeur. C”est vraiment ce que j”aime…

Propos recueillis par Javier Prieto Santos

Cet entretien est la retranscription intégrale de l”interview parue dans So Foot 41, paru en kiosque le 30 janvier 2007.

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