On ne saurait parler de l’arbitrage malien sans faire allusion à Modibo N’Diaye. L’homme a marqué son temps par son savoir-faire. Notre rubrique “que sont -ils devenus ?” s’intéresse aujourd’hui à ce pionnier de l’arbitrage malien.
Jusqu’au début de ce siècle, les règles de l’arbitrage n’étaient pas contraignantes. C’est dire que dans les années 1960 à 1990, elles étaient invariables et faciles à retenir. En son temps, on ne pouvait prendre un arbitre qu’en cas de corruption. Pratiquement tous les arbitres étaient bons. Parce qu’ils n’avaient besoin que d’une petite dose de personnalité et d’endurance, mais surtout n’avoir pas peur. Modibo N’Diaye avait toutes ces qualités. A l’époque, certes nous étions un peu jeunes pour apprécier la valeur intrinsèque d’un arbitre, mais nous nous rappelons de ses gesticulations quand il exhibait un carton.
Cependant, nos ainés nous ont dit que Modibo N’Diaye avait le don de diriger les grands derbys et de gérer les situations les plus difficiles. Pour argumenter cette assertion, nous nous rappelons de la finale de la coupe du Mali de 1985 qui a opposé le Stade malien de Bamako au Djoliba AC. Un but stadiste a été contesté par les Djolibistes au motif qu’il y avait une confusion entre les positions de Seydou Diarra dit Platini et Mahamadou Cissé dit Tostao. Le match fut interrompu pendant un long bout de temps. Pour en finir avec cette récréation, Modibo N’Diaye écarte tout le monde et se dirige vers son premier assistant, Sidi Bekaye Magassa. A deux pas de celui-ci, il retourne et d’un geste autoritaire, il indique les six yards, validant ainsi la position du hors-jeu. Personne ne sait ce qui s’est passé comme communication entre les deux arbitres.
Trente-deux ans après, Modibo N’Diaye nous révèle qu’en réalité, il n y a pas eu d’échange entre son assistant et lui. Seulement, il a senti une hésitation chez Magassa, et, en vieux briscard, il a pris ses responsabilités pour invalider le but stadiste.
Aujourd’hui, l’ancien arbitre international est chef du quartier populaire de N’Tomikorobougou, en commune III de Bamako. Agé de 76 ans, Modibo N’Diaye se rappelle, comme si c’était hier, de ses débuts dans l’arbitrage.
“Jondo, mon modèle”
Nous sommes en 1960, quand il accompagnait Charles Jondo aux séances d’entrainement et aux matches de la Jeanne d’Arc de Bamako. Très attaché à Jondo, il sera aussi impressionné par un arbitre du nom d’Amadou Daffé. D’après Modibo N’Diaye, Daffé était tellement beau dans les tenues d’arbitre que personne ne pouvait le dépasser sans l’admirer. Il finira par être son acolyte et tout est parti de là par rapport à sa longue carrière arbitrale. C’est ainsi qu’il demanda à Oumar Daffé (celui-ci l’amenait déjà aux cours et réunions des arbitres) comment devenir arbitre de football.
Au bout de deux ans, il entreprend les procédures pour intégrer le corps des arbitres. En 1963, le voici élève-arbitre. Un an après, il passe au grade de district et arbitre de ligue en 1966. Toujours préoccupé par son ambition d’être l’un des meilleurs arbitres d’Afrique, Modibo N’Diaye ne ménageait rien pour s’améliorer. Autrement dit : vouloir, c’est pouvoir. C’est ainsi qu’il bénéficia en 1971 d’un stage en Allemagne. Cette période de préparation sera sanctionnée par le grade d’arbitre fédéral. Ce qui lui donne l’opportunité d’officier un match amical entre le Bayern Munich et les Aigles entrainés à l’époque par l’Allemand Karl Heinz Weigang.
En 1972, lors de la CAN de Yaoundé, Modibo N’Diaye accompagne la délégation malienne. Une occasion pour lui de mieux apprendre l’arbitrage de haut niveau.
Le 16 février 1973, il reçoit le macaron de la Fifa qui consacre son grade d’arbitre international. Ce fut le déclic pour un long périple sur le continent pour officier lors de grands matches de coupes d’Afrique de clubs.
Sa première CAN ? C’est celle de 1976, jouée en Ethiopie. Après cette CAN, qui a été une réussite pour lui, Modibo N’Diaye était beaucoup sollicité sur le plan international. Les dirigeants de la Fédération ont pris l’initiative de le seconder, non seulement pour maintenir le cap; mais aussi pour préparer sa relève.
Un jeune de Sikasso, débutant dans l’arbitrage, du nom de Drissa Traoré dit Driboss, était très bon et la personne idéale pour relever le défi après sa retraite. Tiécoro Bagayoko l’a fait muter à Bamako à la Direction nationale du contrôle financier. Modibo N’Diaye l’a encadré et ils sortaient ensemble. C’est après qu’il a guidé les premiers pas dans l’arbitrage de la génération de Sidi Bekaye Magassa, Moussa Kanouté, Ichiacka Diallo dit Makwasa de Kayes, Boniface Diallo, Sidi Sissoko, Cheick Keïta. Aujourd’hui Modibo N’Diaye ne se rappelle pas du nombre de matches qu’il a arbitrés sur le plan international. Mais ce qui est sûr, il a beaucoup voyagé et a participé à des dizaines de stages de perfectionnement.
Atteint par la limite d’âge en 1991, il a pris sa retraite. Son dernier match sur le plan international a opposé le Nigeria au Benin pour les éliminatoires de la CAN de Sénégal 1992. A Bamako, il a sifflé pour la dernière fois en finale de la coupe du Mali remportée par l’As Réal de Bamako face à l’As Mandé de la Commune IV.
Tiécoro Bagayoko, dehors !
La longue carrière de Modibo N’Diaye a été tellement riche, qu’on a de la peine à faire le distinguo entre les faits marquants et les anecdotes. Selon l’intéressé lui-même, il retient comme fait marquant de sa carrière la finale de coupe du Mali de 1975 entre le Djoliba et le Stade malien de Bamako. Que s’est-il passé ? Modibo N’Diaye relate: “A la veille du match, le président de la Fédération malienne de football, feu Cheick Oumar Diarra, m’a dit de tout faire pour que Tiécoro Bagayoko ne soit pas dans la main courante. Je lui ai demandé si réellement il assume la lourde responsabilité qu’il veut me faire prendre. Parce que Tiécoro était puissant et prendre une telle mesure à son encontre était suicidaire. Il a dit oui. Quand la rencontre débutait, Tiécoro n’était pas dans la main courante, mais quelques instants après, quand le ballon est sorti en touche, j’ai vu Tiécoro repousser du pied le ballon sur le terrain. Je me suis dit qu’aujourd’hui, c’est mon jour de gloire ou la signature de mon arrêt de mort. Immédiatement, j’ai arrêté le match avec comme consigne l’évacuation de Tiécoro de la main courante. Contre toute attente, le Monsieur n’a rien dit et il a rejoint la loge. Ce jour m’a beaucoup marqué durant ma carrière. A l’époque, Tiécoro n’était pas n’importe qui. Je profite d’ailleurs pour rétablir une vérité historique, à savoir que, contrairement à ce qui se dit, Tiécoro ne menaçait pas ou n’influençait pas les arbitres”. L’autre fait marquant s’est passé en 1980 à Conakry. Un vendredi, tranquillement assis à la maison, le président de la Fédération malienne de football lui envoie un émissaire pour lui dire de se préparer pour un match en Guinée. Les arbitres togolais désignés pour la rencontre Guinée-Zaïre à haut risque ont été soupçonnés de corruption. Il est parti avec ses assistants. Au bout du fil, la Guinée s’est qualifiée de façon propre. La nuit, le président Ahmed Sékou Touré l’invite à dîner au palais. Après de chaleureuses félicitations, le guide la révolution lui a offert une montre floquée de sa photo et des livres sur la révolution.
Les anecdotes
L’anecdote de sa carrière date de 1980 à l’occasion de la fameuse finale de la coupe du Mali Djoliba-Réal. A quelques minutes du coup d’envoi, le président de la Fédération malienne de football, Sory Kounandji, est venu lui dire dans les vestiaires que tous les billets et souches ont été vendus et la recette fait 26 000 000 Francs maliens. Un record depuis la construction du stade omnisport. Donc, l’idée de Sory Konandji était de faire en sorte que la finale soit rejouée afin de bénéficier de la même recette. Modibo N’Diaye, en sa qualité d’arbitre central de la finale, a donné son accord pourvu que la Fédération donne au corps arbitral (l’ensemble des arbitres du Mali) les 4% des 52 millions. La Fédération de son côté accepte les conditions posées par le trio arbitral.
En deuxième mi-temps, l’As Réal a ouvert le score par Béïdy Sidibé dit Baraka. Quelques minutes après, les Rouges encaisseront un deuxième but par l’entremise de Mamadou Couliblay dit Beny. Ce but sera refusé par l’arbitre central Modibo N’Diaye pour position de hors-jeu. En réalité, l’arbitre nous confie aujourd’hui que le but était bien valable, meilleur même que celui de Baraka. Mais, il l’a refusé en raison de l’accord secret entre la Fédération et le trio arbitral. Dans son analyse, il s’est dit que le Djoliba égalisera et il profitera pour faire rejouer le match. Dommage ! Le score ne changera pas.
Accusé de partialité, et malgré la victoire de l’As Réal, des supporters ont pris d’assaut son domicile. Il a fallu l’intervention de la gendarmerie pour qu’il puisse rentrer à la maison. Au-delà du compromis, Modibo N’Diaye reconnait, plus de deux décennies après, le gros risque qu’il a pris pour exposer sa vie.
De 18h à minuit !
Autre anecdote : ce match qui a opposé la Guinée au Sénégal soldé par le capital du coup d’envoi. Au match aller, les Sénégalais s’étaient imposés par le minimum d’un but à zéro. A Conakry, un but Guinéen a été refusé pour position hors-jeu. Ce qui a provoqué un soulèvement de la population et les arbitres sont restés bloqués dans les vestiaires jusqu’à zéro heure. La réaction du public s’explique par la persistance des rumeurs, selon lesquelles, les arbitres maliens ont été approchés par les deux équipes. Face à de telles rumeurs, la Fédération a fait accompagner les arbitres par leur président, feu Mady Fofana. Tout s’est bien passé, sauf que l’atmosphère a été polluée par une fausse information relative à la corruption.
De 1960, ses débuts dans l’arbitrage, à 2017, temps des grandes révolutions, tous les domaines ont évolué et le football a connu une véritable révolution. Ce qui rend difficile la comparaison entre deux générations qui n’ont pas vécu dans la même atmosphère.
Modibo N’Diaye pense que le choix de sa génération pour l’arbitrage reposait sur l’amour du métier. Sinon, comment comprendre que des arbitres aient accepté les insultes, les agressions pour 5 000 Francs maliens par match et par arbitre. On donnait le double de ce montant lors de la finale de la coupe du Mali, grâce à l’implication de feu Tiécoro Bagayoko. Aujourd’hui, les jeunes viennent dans l’arbitrage pour se faire beaucoup d’argent. Parce que lors des sorties avec leur statut d’arbitre international, ils gagnent beaucoup d’argent. Il est évident que les arbitres maliens n’ont pas une bonne réputation par rapport aux cas de corruption. A tort ou à raison, certains sont accusés d’avoir influé sur les résultats des matches pour avoir pris de l’argent. Mais Modibo N’Diaye rejette du revers de la main ces allégations, en tout cas pour ce qui est de son temps. On a toujours parlé de corruption les concernant, malheureusement personne ne peut apporter la preuve concrète.Il se rappelle avoir renoncé à payer un véhicule à deux jours d’une finale de coupe du Mali, au risque d’être accusé de corruption. Surtout que Karounga Keïta dit Kéké était chef d’agence à la B.I.M, et il a toujours ordonné à ce que lui Modibo N’Diaye soit traité avec respect et considération. Or, il devait faire le retrait dans son compte de la B.I .M. Le Blanc avec qui il avait conclu le marché n’était pas du tout content de son attitude. Mais l’ancien arbitre international avait d’autres explications: se mettre au-dessus de tout soupçon.
” Mes regrets “
Il est incompréhensible qu’un grand arbitre, qui a marqué son temps, soit mis à l’écart par les dirigeants de son pays. Modibo N’Diaye dit qu’il a cherché à se rendre utile, mais on l’a toujours remercié de façon polie. Sinon, au moment de sa retraite, il était instructeur de la Fifa et de la CAF, à l’issue d’un stage en Egypte. Avec ce diplôme en poche, Modibo N’Diaye pensait être le relais pour former ses cadets afin que l’arbitrage malien soit au sommet en Afrique. Mais hélas ! Les dirigeants n’étaient pas sur la même ligne que lui.Dans sa retraite, l’ancien arbitre se dit très déçu de ce manque de considération à son égard. Heureusement que Salif Keïta dit Domingo l’a pris comme chargé de mission. L’actuel président de la Femafoot aussi, Boubacar Baba Diarra, le consulte pour tout ce qui touche à l’arbitrage.
Autre réconfort qui le marque, c’est le geste inoubliable de l’ancien président Amadou Toumani Touré qui l’a cherché pour l’envoyer à la Mecque en 2006.
Avant sa chute, il avait instruit au ministre des Sports de l’époque, Hamane Niang, de le décorer, mais cette décoration n’est jamais venue. L’administration étant une continuité, il dit avoir fait des va-et-vient au Département des Sports pour rappeler la belle initiative. Les évènements de mars 2012 ont tout chamboulé. En attendant cette décoration des plus hautes autorités du pays, Modibo N’Diaye se contente avec la médaille de reconnaissance à lui décernée par le président du Comité olympique, Habib Sissoko.
Tellement impressionné par ses gesticulations au sommet de sa carrière, nous ne pouvions prendre congé de Modibo N’Diaye sans lui poser une question qui nous tenait à cœur. Qu’est ce qui expliquait ses qualités d’arbitre autoritaire, brave et prompt dans ses prises de décisions ? Le vieux briscard dit qu’un homme, quelque soit son domaine d’intervention, ne peut s’imposer que par sa manière de poser les actes. Autrement dit, un arbitre ne doit pas douter, même une seconde. Parce que son hésitation conduit à la catastrophe. Selon Modibo N’Diaye, les joueurs ne se méfient de l’arbitre que lorsqu’ils sont conscients de son tempérament, de son impulsivité. L’ancien arbitre international regrette de tels agissements chez certains arbitres maliens. Ce qui les met parfois dans des situations difficiles.
O. Roger Sissoko
Mabel Ba , un autre arbitre qui habitait
Médina Coura était plus âgé que Modibo
N’Diaye a l’époque, il incarnait beaucoup
D’admiration. Merci , d’être franc dans
Tes propos, je suis Djolibiste, a l’enfance
On te taxait de Djolibiste, aussi bien que
Driboss, et Mabel Ba de Stadiste.
C’est Jondo et non zondo.
@Kaladiantos. Merci. Feu Jondo a été mon directeur d’école au Prosper KAMARA (Hamdallaye).
Salut Sambou, Moussa kanoute aussi fut l’un de mes professeurs au second cycle d’amdallaye lazarela dans les annees 84-85.
Un grand merci a Roger cissoko surtout n’oublier pas ceux qui nous ont quitte aussi comme les Lassine Soumaoro ,Isaa Bagayoko,Vital Ky etc………………
@DOUDOUBA. Salut mon frère!I ni tounou!Tu as le bonjour de Koro KING.(alias malijiki).
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