La 19è édition de la finale de la coupe du Mali de football a opposé le Djoliba AC au Stade malien de Bamako. Certes les Rouges se sont imposés par 3-1, mais ce duel entre les deux frères rivaux du football malien est étiqueté d’un cachet : 3 minutes, 3 buts. A l’occasion de cette finale, un homme, Sékou Salah Sacko, a laissé son empreinte (indélébile), pour avoir été l’acteur principal des 3 buts djolibistes. Dans son silence, nous l’avons fait réagir, dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”. L’ancien instituteur de Balafinan, dans le cercle de Yanfolila, âgé aujourd’hui de 70 ans, nous a reçus au milieu de ses petits-fils, au quartier de Torokorobougou, en commune V du District de Bamako, à quelques mètres du terrain d’entrainement de son ancien club, le Djoliba AC. Récit !
Kader Guèye et Modibo Doumbia dit Modibo 10 sont des amis inséparables. Nous avons fait ce constat quand ils sont passés dans cette rubrique.
3 minutes, 3 buts ! ( ?)
Mais les deux compères n’ont pas la même version et ne s’entendent pas sur un fait qui a marqué la finale de la coupe du Mali de 1979. Modibo 10 soutient mordicus que les 3 buts du Djoliba n’ont pas été marqués dans le temps que l’opinion avance, à savoir en trois minutes, ni encore tous, par Cheick Salah.
Kader Guèye, lui, est formel que son ami ne dit pas la vérité sur cette affaire et que les 3 buts ont été inscrits en 3 “petites” minutes. Pourtant, Modibo 10 gardait les buts du Stade lors de cette finale pendant que Kader Guèye était spectateur, mais pas un simple spectateur. Parce qu’il a émerveillé le public par des séances de jonglage avant le coup d’envoi. Entre les deux amis, qui a raison ? Difficile pour nous de répondre. Certes, en ce jour du 10 juillet 1979, nous avons assisté à cette finale, mais nous étions trop jeunes pour en retenir les faits marquants.
C’est pourquoi, quand nous avons eu sous la main le principal acteur de cette finale, et pour en avoir le cœur net, ce fut notre introduction. Sur la question, l’ancien instituteur de Falo dans le cercle de Koutiala recadre l’histoire : “Je suis rentré comme remplaçant en cours de jeu, à la 112 éme minute et j’ai coïncidé avec un corner du Djoliba. Ilias Oumar Dicko l’avait exécuté et du pied gauche j’avais inscrit le premier but. Les Stadistes, dans la précipitation, après avoir engagé, avaient perdu le ballon. Sur le coup, l’ailier du Djoliba, Bouba Diarra, était décalé sur le flanc. Il centra aussitôt. A la réception, j’étais là, pour doubler la mise. Le Stade, pris au dépourvu, arriva néanmoins à réduire le score pour relancer le match. Les Blancs forcèrent pour égaliser et se découvrirent. Sur ces faits, j’ai hérité d’un ballon aux abords de la surface de réparation. J’ai forcé le passage et l’irréparable s’était produit. J’étais fauché dans les six mètres et l’arbitre avait sifflé le penalty. Poker s’était chargé de briser les espoirs stadistes. Vous voyez, tous les 4 buts ont été marqués dans les derniers instants des prolongations et après que je fus rentré dans le terrain. J’ai marqué 2 buts coup sur coup et j’ai été à l’origine du 3è but. Les buts ont été tellement rapides que dans l’imaginaire populaire, ils ont été marqués en 3 minutes. Et puis, ça sonne bien à l’oreille : 3 mn, 3 buts. Voila l’histoire de cette polémique, que personne ne pourra dissiper d’ailleurs”.
L’Instituteur aux grands atouts sportifs
Cheick Salah Sacko est un instituteur de formation et de profession. Il a choisi ce métier parce que son père est parti à la retraite. Donc l’obligation de venir à la rescousse de la famille s’imposait. Il sortit du Centre pédagogique régional en 1965, avec le grade de maître du premier cycle. De Koutiala à Ségou et Banankoro après ses admissions aux CP1, CP2 et au DEF, Cheick Salah Sacko est encore gardien de but pour amuser la galerie. C’est après son affectation à Bafoulabé qu’il s’est fait distinguer dans les rencontres entre les villages de ce cercle. Ce qui occasionna d’ailleurs sa sélection dans l’équipe régionale de Kayes, pour les semaines nationales. Ses belles prestations et les commentaires du chef de la délégation à son retour convainquirent le directeur d’école à revoir le statut de Cheick Salah.
Pour permettre à son agent d’avoir plus de temps pour s’entraîner, il le transféra à son secrétariat. Au même moment, un autre gardien, Lassana Samaké, se faisait un renom à Kéniéba. Les rencontres entre l’équipe de Bafoulabé et celle de Kénièba drainaient plus de foule que n’importe quel événement dans le cercle. La qualité et la rivalité entre les deux gardiens en étaient pour beaucoup. Les deux portiers finissent par lier amitié, ce qui aboutit à la mutation de celui de Kéniéba à Bafoulabé. Cheick Salah Sacko a plaidé sa cause auprès de l’inspecteur. Lassana Samaké s’est réjoui de son affectation auprès de son ami, mais il avait un souci. Comment gérer la concurrence avec Cheick Salah, d’autant plus qu’ils évoluaient dans le même club et au même poste. L’ancien joueur du Djoliba avait finalement opté pour l’attaque, en disant à son ami d’empêcher les buts, pendant que lui se chargera d’en marquer. Faudrait-il rappeler qu’il avait déjà des potentialités pour jouer au milieu ou en attaque et surtout doué pour les reprises de volées. Quelques séances d’entrainement individuelles dans sa grande cour lui ont permis de parfaire ses atouts. Au cours d’une visite à Bafoulabé du gouverneur Amara Danfaga, sanctionnée par un match de gala, il réussit son baptême de feu concernant ses reprises de volées. Malheureusement, un choc au doigt dans ce match l’éloigna des terrains, avec une opération chirurgicale à Bamako. Cette opération a échoué et a même déformé son doigt. Pour des raisons de famille, il avait sollicité une mutation sur Sikasso. Sa carrière prendra forme dans cette nouvelle aventure.
La voie tracée de Karl
L’entraineur des Aigles du Mali, Karl Heinz Weigang, après la CAN de Yaoundé 1972, l’a découvert et le convoqua pour un match amical des Aigles à Bamako. Le seul handicap de Cheick Salah après cette première sélection en équipe nationale, était son lieu de résidence. Une fois à Sikasso, l’administration scolaire de Bougouni l’avait affecté à Falo. Lors des différents matches, il ralliait Koutiala par moto, pour ensuite prendre le car afin de se rendre à Sikasso. Mais avec les convocations de l’équipe nationale, le problème s’avérait difficile. Le coach Karl a eu le bon réflexe d’intervenir pour son maintien à Sikasso. Son séjour dans la capitale du Kénédougou n’a pas duré. Il a eu seulement le temps de s’installer et de commencer les entrainements avec l’équipe régionale. Coup de théâtre ! Au moment même où un communiqué tombait, lui demandant de rejoindre les Aigles à Bamako pour un match contre la Côte d’Ivoire, Cheick Salah Sacko était conduit directement en prison. Que s’était-il passé ? Notre héros revient sur sa mésaventure : “Mon arrivée à Sikasso a coïncidé avec un fléau, la grossesse prématurée des jeunes filles. Le gouverneur de la région à l’époque a instruit à tout le monde, enseignants, animateurs de jeunesse et autres, de s’investir pour une meilleure sensibilisation de la population. En ma qualité d’enseignant, j’ai monté une pièce de théâtre dont l’actrice principale, par le pur hasard, s’appelait Sali. Je ne sais pas jusqu’à ce jour comment mon texte écrit s’est retrouvé dans les mains du gouverneur. Le nom de sa femme étant aussi Sali, la gendarmerie m’a arrêté. Donc un matin, des gendarmes m’ont escorté jusqu’au Gouvernorat où le maître des lieux avait convoqué toutes les autorités locales. Il informa l’assistance de mon acte, qui constituait pour lui un affront. Sur le champ, je suis muté à Balafinan, avec effet immédiat. Le commandant de Yanfolila venu pour la circonstance m’amena avec lui, pour me déposer à Bougouni. A ce niveau, le directeur Mamadou Lamine Cissé m’informe d’un message de Bamako, qui me convoque en équipe nationale. Il prend le soin d’avertir le gouverneur de la nouvelle donne. Cela a été une erreur parce que j’ai raté ce match de l’équipe nationale. Le gouverneur instruit au directeur de trouver à tout prix un véhicule et me faire accompagner à Balafinan par un garde, un conseiller pédagogique. L’ordre a été exécuté à la lettre et je me suis retrouvé dans ma nouvelle localité avant la fin de la journée. C’est grâce à mon ami, feu Samba John, que j’ai pu être affecté à Bamako en cette année 1973. Il a donné l’alerte sur mon cas, à la Direction nationale de la Jeunesse”.
Cette mutation à Bamako sonne le début de la carrière de Cheick Salah Sacko au Djoliba. Il est allé voir à la Banque centrale, Karounga Keïta dit Kéké, pour lui signifier son désir de jouer dans son club. Et c’est l’amour du club qui explique son choix. En effet, il avait fait cette révélation à l’entraineur Karl, quand ce dernier l’amenait de Sikasso dans son véhicule avec Ousmane Traoré dit Ousmanebleny. Ses débuts au Djoliba n’ont pas été faciles : on l’accusait de faire des virées nocturnes avec les filles. Le père spirituel de sa génération des Rouges, Karounga Kéïta, n’arrêtait pas de le sermonner pour des comportements négatifs. Finalement, il a pris son courage à deux mains pour dire à son entraineur qu’il est un broussard et sans moto pour mener des activités subversives la nuit. En réalité, le policier chargé de le filer s’était trompé sur sa personne. Et le jour où Kéké s’est rendu compte de cet état de fait, il a offert une moto, des bons d’essence et beaucoup d’argent à Cheick Salah Sacko. A partir de ce moment, il est devenu l’un des enfants chouchous du baobab de Hèrèmakono. Son sérieux et sa constance ouvriront les portes de la réussite dans son club et en équipe nationale. Même après le départ de l’entraineur Karl, il a été de toutes les campagnes des Aigles et cela durant sept ans, notamment les éliminatoires des Jeux olympiques et des différentes Coupes d’Afrique des nations. Il raccroche les crampons en 1981, l’âge commençant à avoir raison de sa vivacité.
6 coupes et courte carrière d’encadreur
Avec le Djoliba, Cheick Salah a remporté 6 coupes du Mali et des titres de champion dont il ne se rappelle pas le nombre.
Comme temps forts de sa carrière, il retient la fameuse finale de la Coupe du Mali de 1979, le tournoi de l’Amitié à Abidjan qui regroupait le Mali, le Nigeria et la Côte d’Ivoire en 1975. Au cours de cette compétition, il a marqué 4 buts en un seul match, pour honorer une promesse à une personne qu’il a connue à Mahina au début de sa carrière d’enseignant.
Son seul mauvais souvenir réside dans le comportement désastreux d’un jeune qu’il a amené de Koutiala. Comment les choses se sont passées et pourquoi s’offusque-t-il de l’attitude du jeune ? Cheick Salah Sacko explique : “Je suis parti voir les parents de Drissa Diakité à Koutiala afin qu’ils acceptent que je l’amène à Bamako. Ils n’ont posé aucun problème à cause de nos relations et surtout leur confiance à mon endroit. Après le Stade et le Djoliba, le jeunot a eu un contrat et jusque-là, il ne m’a pas informé. Cela m’a choqué parce que nous n’avons pas été éduqués dans ce sens. Le minimum de sa part aurait été de m’informer, pas pour autre chose. Je pense que cela est la bonne manière”. Après sa retraite, en un moment donné, Sékou Salah a voulu s’intéresser à son club, le Djoliba. Mais, d’après ses propres propos, on lui a écrit officiellement pour l’intimer de ne pas mettre pied au terrain d’entrainement du club. Malgré le fait que nous avons insisté afin qu’il dise davantage sur cette affaire, l’ancien joueur international n’a pas voulu en dire plus. C’est après que la Fédération malienne de football lui a fait appel pour seconder feu Mory Goïta lors de la CAN des cadets que notre pays a abritée en 1995. Ce fut ensuite avec feu Mamadou Coulibaly quand celui-ci était entraineur des juniors entre 1997 et 1999.
Après ces campagnes, il décide de se reposer et consacre désormais son temps libre à la pétanque et à la marche pour maintenir sa santé. Il fait tous ces exercices avec ses petits enfants (une douzaine environ) et leurs amis du quartier qui ne le quittent point. Ils l’accompagnaient encore quand Cheick Salah Sacko est venu nous accueillir aux abords du terrain d’entrainement du Djoliba. Notre arrivée dans sa famille a coïncidé avec la préparation du trousseau de mariage d’une de ses filles. Un événement des femmes qui engendre beaucoup de bruit.
Finalement, nous avons réalisé l’entretien dans le véhicule. Dans une atmosphère ambiante agrémentée parfois par des rigolades basées sur le pacte de cousinage entre les Sissoko et les Sacko. Tout au long de l’entretien, ses fidèles compagnons nous ont perturbés. Ils étaient là encore aux portes du véhicule. Et quand un moment, Cheick Salah s’absenta pour répondre à l’appel de son frère ainé, ses petits-fils, qui tenaient aussi à être témoins de l’entretien de leur fidèle ami, ont causé tous les malheurs à notre véhicule, au véhicule de leur arrière grand-parent. Mais c’est cela aussi le charme de l’enfance et la beauté de notre métier.
Aujourd’hui-Mali N°105 du vendredi 9 février 2018
O Roger SISSOKO