Au lendemain du match Mali – Cap Vert, l’interview accordée par Seydou Kéita à l’ORTM est bien plus qu’un récital digne du jeu barcelonais dont on ne finit de se délecter. Elle transcende le style du tiqui-taqua blaugrana pour s’ériger en une invite à l’introspection et à la remise en cause.
Avant le match contre le Cap Vert, on pouvait bien détester Seydou Kéita car durant cette dernière décennie, il est demeuré un cadre majeur des Aigles du Mali. Et par ce biais, il ne peut se désolidariser du bilan des Aigles. Mais garder ce désamour envers le barcelonais après le match de samedi dernier, et surtout après son cri de cœur relèverait tout simplement de la mauvaise foi !
Aujourd’hui, Seydoublen a conquis le droit d’assener des vérités crues à la face de ses compatriotes. Sa maestria et son engagement au Stade du 26 Mars lui ont conféré la légitimité de dire pourquoi le Mali n’avance pas. Il a été aidé en cela par l’ironie du sort. En effet, le match de samedi (présence du joueur), comparé aux quatre prestations antérieures (absence du joueur) démontre à suffisance que Seydoublen n’était pas le problème.
En outre, être un joueur de luxe au FC Barcelone, la meilleure équipe du monde, depuis plus de deux ans, être doté de la confiance absolue de son coach Guardiola, former équipe avec le meilleur joueur du monde, et les joueurs cadres champions d’Europe et du monde sont autant de prestiges que les détracteurs ne peuvent ignorer. A ce niveau, on ne parle plus de favoritisme ou de complaisance. Mais plutôt de classe et de mérite !
Avec le regard lucide, empreint de regrets et de frustrations pour toutes ces années de gâchis, Seydoublen invite tous les acteurs, directs ou indirects, à se regarder dans le miroir : « Depuis l’âge de 15 ans, je joue pour le Mali et j’ai représenté mon pays dans toutes les catégories jusqu’à nos jours. Je ne peux pas accepter d’être insulté par ceux qui n’ont rien fait pour leur pays ».
La débâcle à la dernière CAN 2010 en Angola a été très douloureuse. Elle a eu pour conséquences le jet d’éponge de Kanouté et la rupture de Momo. Et Seydoublen de marteler une série d’interrogations : « Pensez-vous que Kanouté n’est plus utile ? Est-il normal qu’un joueur comme Kanouté qui a tant donné pour son pays puisse sortir par la petite porte ? Qu’est-ce que le Mali a fait pour Kanouté après sa décision d’arrêter ? ». Ces questionnements dévoilent toutes les meurtrissures psychologiques, pas forcement perçues par le grand public, qui sont subies par les premiers acteurs que sont les joueurs. Sur le coup, ces questions ont provoqué un brin de honte, une remise en question de l’estime de soi, un sentiment d’ingratitude. Et oui ! Ces questions nous rappellent avec beaucoup de gêne le visage du courtois et disponible Kanouté qui a bravé son manager de Tottenham en 2004 pour monter dans le bus Mali. Durant son séjour en équipe nationale, cet Aigle royal a donné au Mali 23 buts et un Ballon d’or !
La frustration de Seydoublen réside dans le fait que, en quatre participations à la CAN, surtout les deux dernières de 2008 et 2010 où le Mali a été éliminé dès le premier tour, il n’y ait pas eu de bilans. On reprend toujours les mêmes erreurs et les instances dirigeantes n’ont jamais exploré les causes des échecs. Cet état de fait justifie sa décision de prise de recul. Il explique que la victoire dans un match de football n’est d’autre que la résultante de tout un environnement, tout un système qu est mis en mouvement : « Le football n’est pas le hasard. On ne gagne pas si on ne fait rien pour ».
Seydoublen, imbu de la maturité et de l’humilité qui caractérisent le génial Xavi et le providentiel Iniesta (Pierre Ménès dit que ce joueur a un physique d’Expert Comptable), a su reconnaître les talents de ses jeunes coéquipiers. Et il a su importer un pan de la stratégie barcelonaise qui s’articule autour de la communication, du mouvement et du pressing.
Pour Seydoublen, il y a les hommes pour réussir dans un futur proche. La solution ne réside pas dans le changement permanent. Implicitement, il ne rejette pas Giresse avec qui il a pourtant eu des frictions au départ. Alain Giresse a peut-être fait du mal, mais nous nous empressons de dire que ce mal là est un certain bien. Aucun de ses prédécesseurs n’avait eu le courage de laisser sur le quai ni Djilla, ni Seydoublen. Peut-être que le problème des Aigles résidait dans l’association de ces deux joueurs…
Notre intime conviction est qu’il faut laisser cet entraîneur travailler au moins sur le moyen terme pour reconstruire un groupe qui était en lambeaux au lendemain de la CAN 2010. Car parlant de la carrière d’entraîneur de Giresse, il faut rapidement passer sur ses expériences à Toulouse, au PSG, en Georgie, et au FAR de Rabat au Maroc, pour s’attarder sur son escale gabonaise qui a duré quatre années. Là, Alain Giresse a su développer ce que ses compatriotes n’ont pas réussi au Mali.
Il a hissé le Gabon de la 125ème place au classement FIFA à la 40ème. En guise de comparaison, il faut noter qu’en Novembre 2009, le Mali était classé au 51ème rang mondial FIFA tandis que sa position la plus élevée était une 35ème place qui a été atteinte en Mars 2007. Le pire classement des Aigles a été enregistré en 2000, où ils se trouvaient perchés au 117ème rang mondial.
Cette ascension du Gabon avec Giresse est émaillée par des exploits qui ne peuvent aucunement occulter l’empreinte d’un entraîneur : sous sa houlette, les panthères du Gabon ont battu le Cameroun, le Ghana, le Maroc, le Togo, et ont rivalisé avec la Tunisie et la Côte d’Ivoire. Pour la première fois de son histoire, le Gabon a frôlé la qualification pour la Coupe du Monde, n’eut été la révolte et le fighting spirit des Camerounais sur la dernière ligne droite. En outre, à la CAN angolaise, le Gabon, malgré sa sortie au premier tour, est demeuré invaincu (même nombre de points avec la Zambie et le Cameroun dans le groupe D).
Seydoublen est aujourd’hui l’un des heureux conducteurs de ce véhicule blaugrana qui circule au summum du football mondial. Et dans le rétroviseur de sa trajectoire dorée, il peut contempler la dizaine de trophées gagnés au FC Barcelone, mais regretter amèrement l’absence d’un trophée dont il serait le plus fier : celui gagné avec l’équipe nationale du Mali.
Dans le groupe très rajeuni qu’il nous a été donné de voir le samedi dernier, il est, avec Police et Cédric Kanté, l’un des grands frères pour les nouveaux coéquipiers. Ces aînés-là doivent montrer la voie aux jeunes et leur faire éviter le principal piège qui a miné l’équipe malienne pendant une décennie : celui de l’égo.
Une contribution de Alhousseyni MORBA
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