François Hollande, chef de guerre au Sahel ? Le déplacement du chef de l’Etat enAfrique (à Dakar vendredi 12 octobre, puis à Kinshasa, samedi, pour un Sommet de la francophonie) a pour toile de fond une forte offensive diplomatique française pour le déploiement au Mali d’une force africaine d’environ 3 000 hommes, précédée d’une mission militaire européenne de formation des troupes maliennes, appelées à agir “en première ligne” pour tenter de reconquérir le nord du pays, tombé aux mains de groupes rebelles mêlant touareg et islamistes, certains liés àAl-Qaida.
Dans l’entretien accordé jeudi 11 octobre à des radios et télévisions à la veille de ce voyage, le président français a mis en exergue la nécessité d’une lutte arméecontre le terrorisme, employant des expressions que n’aurait pas reniées son prédécesseur, Nicolas Sarkozy. “Discuter ? Mais avec qui ? Avec des terroristes qui sont installés dans le nord du Mali ? Qui imposent une loi, la charia, qui coupent les mains et qui détruisent des monuments patrimoine de l’humanité ?”, a-t-il fait valoir.
“Le terrorisme n’a pas disparu, il a même conquis d’autres terrains”, avait déjà déclaré M. Hollande fin août, lors de son premier grand discours de politiqueétrangère. Le dossier du Sahel entre en résonance avec les récentes opérations policières en France contre des réseaux djihadistes. Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, doit se rendre samedi à Alger.
LES DÉTAILS DE L’ENGAGEMENT FRANÇAIS RESTENT TRÈS FLOUS
M. Hollande est placé devant ce paradoxe : être à la fois le président qui extrait les troupes françaises d’Afghanistan, et celui qui entend montrer du muscle militaire au Mali. Les moyens français pour l’Afrique – dont les limites expliquent en partie l’appel à un soutien américain, en particulier dans le renseignement – bénéficieront du reflux d’Afghanistan. Les détails de l’engagement militaire français à venirrestent cependant très flous. Le chef de l’Etat a assuré mardi qu’il n’y aurait “pas de d’hommes au sol, pas de troupes françaises engagées”, et il a semblé exclureun appui aérien : “La France n’interviendra pas.”
Des sources proches des milieux de la défense à Paris considèrent, pour leur part, que le triptyque ONU-Cédéao-Union européenne, tout en confortant une posture multilatéraliste française axée sur la “légalité internationale”, pourra, le cas échéant, servir d’habillage commode à une action plus autonome, si le besoin s’en fait sentir. “Comme en Côte d’Ivoire, en 2011, quand nos troupes sont intervenues à la demande du contingent de l’ONU qui était en difficulté”, commente un connaisseur.
La notion d’une nouvelle action militaire dans un ancien pré carré français en Afrique, alors que l’heure est à la redéfinition du message en direction du continent noir, apparaît en tout cas dans toute sa complexité.
Au milieu des années 1980, François Mitterrand avait envoyé le contingent à l’assaut des forces libyennes occupant le nord du Tchad – sans résolution de l’ONU mais en vertu des accords bilatéraux français avec N’Djamena. Autres temps, autres mœurs, et surtout, autre puissance française.
“RÉTRÉCISSEMENT DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE EN AFRIQUE”
En 2012, chacun constate un “rétrécissement de la présence française en Afrique”, selon la formule d’une source proche des milieux de renseignement. La France est concurrencée par la multiplication des acteurs extérieurs – y compris par son “partenaire” le Qatar, que M. Hollande a pour la première fois épinglé publiquement mardi, mettant en garde l’émirat contre des financements“humanitaires” au Mali pouvant jouer “au bénéfice des terroristes”.
Dire que “la France n’interviendra pas” relève aussi sans doute d’un affichage politique calculé pour mieux “verrouiller” l’adoption à l’ONU, prévue vendredi, d’une deuxième résolution sur le Mali, présentée par la France.
François Hollande peut s’offrir sur le Mali un succès diplomatique rehaussant sa stature internationale, à condition que le dossier ne dérape pas. L’activisme sur le Sahel permet de compenser l’impuissance sur la Syrie. Le président est cependant d’une grande prudence, observe plusieurs sources. Hésitant, disent certains. Le dossier des six otages français au Sahel nécessite un dosage difficile. M. Hollande ne semble exclure aucune option : “Vous pensez que la position de la France peut être dépendante d’une prise d’otages ?”, a-t-il glissé mardi. Au-delà des déclarations sur l’urgence à agir au Sahel, le Mali ne sera pas le théâtre d’une action militaire précipitée, ni imminente.
Des mois vont encore s’écouler. Le découpage de l’action à l’ONU en deux résolutions supplémentaires – et non plus une seule, comme cela était évoqué ces derniers mois – laisse un espace pour une tentative de négociation entre Bamako et certains groupes du Nord, en particulier les “autonomistes” touareg, que l’on aimerait détacher d’Al-Qaida. M. Hollande a suggéré mardi que des “forces politiques laïques – il y en a au Mali – (pourraient) prendre leur part de la réconciliation nationale”.
L’espoir est aussi de voir les quelques centaines de rebelles du nord finir par sedisperser d’eux-mêmes, pour éviter le choc frontal avec un contingentinternational.
RETOUR AUX RÉFLEXES COLONIALISTES, SELON L’ALGÉRIE
Le Sahel met surtout le président français en contradiction avec le message de renouveau bilatéral qu’il aimerait porter auprès de l’Algérie, pays où il doit se rendreen décembre et qui perçoit une intervention extérieure au Mali – a fortiori avec une composante française – comme une atteinte à sa zone d’influence, si ce n’est un retour aux réflexes colonialistes. Alger a la main haute sur bien des aspects de l’imbroglio sécuritaire dans ces régions d’Afrique. Son ambassadeur à Bamako, glisse une source informée, est un véritable “vice-roi”.
M. Hollande, qui a rencontré récemment le premier ministre algérien à Malte, veuttenter une patiente pédagogie axée sur la valorisation du “lourd tribut” payé par les Algériens dans la lutte “contre le terrorisme”. La lenteur assumée de l’intervention qui se dessine au Mali n’a pas comme seule raison les difficultés de la Cédéao à se déployer : elle permet aussi d’accommoder une certaine susceptibilité algérienne.
M Hollande souhaite une nouvelle politique en Afrique
A la veille de son déplacement en Afrique, le président François Hollande a répondu, jeudi 11 octobre, aux questions de France 24, RFI et TV5 Monde, trois médias ayant une forte audience en Afrique. “Vous me parlez de “Françafrique” [terme stigmatisant le mélange des intérêts politiques et économiques] , il y aura la France, et il y aura l’Afrique. On n’aura pas besoin de mêler les deux mots”, a-t-il dit. Plaidant pour “une nouvelle politique, respectueuse, transparente”, il a souhaité voir dans l’Afrique “un continent d’avenir”. Le président a refusé “une diplomatie qui serait celle de nos intérêts économiques”: “C’est fini le temps des émissaires, des intermédiaires, (…)que nous pouvions emmener dans nos bagages.” – (AFP.)
Par Natalie Nougayrède (avec Christophe Châtelot, à Dakar)
LE MONDE | 12.10.2012 à 12h49