Francophonie : Le véhicule premier de «l’aliénation de l’Afrique francophone» ?

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Comme tous les ans depuis 1988, la Francophonie a été célébrée le 20 mars 2014 par les soixante dix-sept pays membres et observateurs de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif). Pour certains, le français est la seule langue officielle ; pour d’autres, comme le Cameroun ou la Guinée équatoriale, le français est langue co-officielle avec, respectivement, l’anglais et l’espagnol.

 

Dans les pays du «pré-carré», le français, héritage colonial, n’est pas la langue maternelle des populations. Pourtant, d’après un sondage réalisé entre 2008 et 2010 par la TNS-Sofres, entre 66% et 98% des personnes interrogées à Abidjan, à Bamako, à Dakar, à Douala, à Kinshasa et à Libreville estiment que le français est «important» ou «indispensable»  pour faire des études supérieures, pour réaliser des démarches administratives, pour s’informer dans les médias, pour obtenir un travail et «réussir sa vie».

 

Les Africains francophones reconnaissent que le français leur permet aussi de communiquer entre eux quelle que soit la région du continent qui les a vus naître. Traditionnellement, les sociétés africaines sont multiculturelles et multilingues. Chacun y grandit avec plusieurs langues maternelles, celles de sa famille et de son entourage immédiat. Quel que soit son niveau d’instruction, chacun passe de l’une à l’autre, et à la suivante, avec une agilité intellectuelle que leur envie plus d’un Occidental.

 

Pour tenter de faire baisser le taux élevé d’échec scolaire des petits, le Burkina Faso, le Mali et bien d’autres Etats ont décidé que les premières années d’enseignement se feraient dans la langue parlée localement. Les enfants obtiennent ainsi de meilleurs résultats lorsqu’ils entrent dans la phase de l’apprentissage de la langue officielle.

 

Cependant l’évidente difficulté reste d’apprendre le français en même temps que le programme académique enseigné dans cette langue, d’autant plus que le surpeuplement des classes rend impossible le soutien pédagogique  individuel.  Enseigner toutes les matières dans la langue occidentale officielle n’est pas anodin. Cela donne un pouvoir à cette langue. On ne peut pas, en effet, réduire la langue à sa seule fonction de  communication. Une langue véhicule une forme de pensée, une culture et une vision du monde spécifiques.

 

Les élèves africains, quoique riches des références culturelles transmises oralement par leurs parents, sont formatés par l’enseignement en langue occidentale à «ne jurer que par les bienfaits de ce qui vient d’ailleurs, de l’extérieur, surtout de l’Europe et des Etats-Unis d’Amérique». On leur inculque sournoisement que ce qu’ils parlent à la maison, n’a pas la même valeur, et que leur culture est moins respectable que la culture française.

 

Si les responsables nationaux préfèrent conserver la langue coloniale comme langue officielle, c’est qu’il y va probablement de l’intérêt de chefs d’Etat de ne rien changer au système, s’ils veulent continuer à être bien vus par l’ancien colonisateur et ses alliés. Empêchant le total épanouissement des cultures locales, le français, langue officielle, est considéré par certains comme le véhicule premier de «l’aliénation de l’Afrique francophone». Et pourtant, Abdou Diouf, Secrétaire général de l’Oif depuis 2002, estime que la francophonie lutte «contre l’uniformisation culturelle et linguistique qui menace le patrimoine intellectuel et la création mondiale, mais aussi la démocratie internationale». Il évoque là le recul inexorable du français face à l’impérialisme linguistique de l’anglais partout dans le monde. Les diplômés africains qui croyaient aux vertus de la francophonie sont dans l’incompréhension totale lorsqu’on leur dit que, sur le marché du travail,  leur maîtrise du français ne suffit pas et que l’anglais n’est pas une «compétence optionnelle, mais une compétence de base obligatoire s’ils veulent faire partie du monde global des affaires». Certains rêvent alors de compléter leurs études aux USA pour atteindre le niveau d’anglais requis, sans se rendre compte que, comme leurs homologues occidentaux, ils y seront également formatés à la pensée unique des marchés financiers, qui sont eux aussi à l’origine du pillage des ressources du continent, donc de la pauvreté et de la plupart des conflits sur le continent.

 

La «communauté internationale» est en effet, depuis longtemps, également soumise au même dictat de l’anglais, via les multinationales, le FMI et la Banque mondiale. Au sein même de l’Union européenne, le français est en perte de vitesse. Autrefois, langue source des documents produits par les institutions, le français est passé de 40% en 1990 à moins de 6% aujourd’hui. Tandis que les documents initialement rédigés en anglais passaient quant à eux de 45 à 80 %. Les conférences de presse de la Commission européenne, traditionnellement en français, se font maintenant en anglais, et le français a pratiquement disparu du Service européen d’action extérieure. Les Etats africains doivent donc agir à deux niveaux. D’une part, veiller à valoriser l’enseignement des langues locales afin que leurs enfants en ressentent un véritable respect culturel et cessent de fantasmer sur une hypothétique vie meilleure au Nord.

 

D’autre part, ne pas négliger la qualité de l’enseignement des autres langues occidentales, particulièrement de l’anglais, afin que leurs étudiants ne soient plus écartés des carrières auxquelles ils peuvent prétendre. Les populations africaines ne peuvent se passer ni de la revalorisation de leurs langues nationales, donc de la protection de leurs cultures, ni de ce multilinguisme international, si elles veulent prendre enfin le contrôle de la gestion socio-économique de leur propre territoire. La langue, qu’elle soit maternelle ou internationale, est un outil de pouvoir que chacun doit se réapproprier afin de ne pas rester aux mains de ceux qui l’asservissent depuis des décennies.

Françoise WASSERVOGEL

 

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5 COMMENTAIRES

  1. Quand les europeens et les ameicains se sont rendu compte que les africains ont une fomation academique tres souvet superieure a la leur, ils ont tenter de reduire le niveau des eleves africains par des programes tels que la pedagogie convergente. A la grande surpise de toute la planette, les etudiants africains aux etats unis sont actuellement les meilleurs. A harvard, 1/4 des etudiant sont d’origine africaine (surtout anglophones) et il en va ainsi les autres grandes ecoles tel que prince town, columbia. Les africains dominent, ils faut contiuer a renforcer le niveau des stem et des langues. Nous devrons maitriser l’anglais, le francais, les mathematiques, la phisique-chimie, e la biologie si nous voulons faire face au reste du monde.

  2. Au fait qui est Françoise Wasservogel qui apparait subitement avec un article sans qu’on sache de quoi elle s’occupe dans la vie de tous les jours.
    Est-ce une journaliste, une écrivaine, une conseillère technique-pédagogique…..
    De quel pays est-elle?
    Merci d’informer les lecteurs sur les gens dont ils lisent les proses.

    • Bonsoir Telli, il est très légitime que vous vous interrogiez.
      Je suis Française, Occidentale, et vis à Paris. Je suis la correspondante en France de l’hebdomadaire malien Le Reporter, dans lequel je tiens une chronique, depuis fin 2012 (si ma mémoire est exacte).
      Je connais le Mali depuis plus de 15 ans. La dernière fois que j’étais à Bko, c’était en janvier.
      J’étais effectivement professeur, mais cela n’a rien à voir. Je suis ce que mes amis Maliens appellent “une vraie amie du Mali”.
      J’écris au sujet du Mali et de l’Afrique en général, afin de partager mes analyses qui sont plutôt géostratégiques et économiques. Je tente de prendre le plus de recul possible sur l’impact que l’Occident peut avoir sur le Continent à travers ses politiques néolibérales et néocoloniales.
      Vous pouvez retrouver tous mes articles en tapant mes prénom & nom sur Maliweb.
      On est ensemble. Très cordialement Françoise

  3. D’accord avec Tecoum

    C’est vrai qu’il faut s’interroger sur l’utilisation qui est faite de la francophonie. Surtout par qui et dans quel intérêt.

    Au moment des indépendance le français ou l’anglais comme langue officielle permettait de contenir des velléités hégémoniques dans des pays multiethniques.

    Et puis il y avait une urgence de former des cadres. Il fallait aussi s’inscrire rapidement dans le concert des nations car on sait que c’était aux pays sous-développés d’aller apprendre dans les pays avancés qui ne viendraient jamais leur donner gratuitement leurs technologies, leurs savoir-faire.
    La Grande Bretagne est bondée tous les étés de jeunes européens et asiatiques pour apprendre l’anglais.
    Oui maitriser certaines langues, surtout celles des pays technologiquement avancés est d’une grande aide si les pays africains veulent accélérer leur développement.
    Ce serait une grosse erreur que d’encourager un repli sur soi, car même en France la rédaction de certains projets, soumis à financement 100% français, est demandé en anglais. Ce qui montre l’importance des langue étrangère.
    Le problème de l’enseignement des langues nationales peut commencer par l’encadrement de ceux qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisés, puis ceux qui veulent une formation courte ou qui sont en échec scolaire (voir la cause) et ensuite l’introduire en maternelle et graduellement dans le primaire. Mais la révolution serait une catastrophe et des générations sacrifiés.

    Oui c’est dommage, les dirigeants africains sont pour la plupart soit facile à corrompre soit de gros ignorants à qui de larges sourires et des tapis rouges font perdre tout bon sens de discernement. Ils sont prêts moyennant financement,dessous de table de sacrifier l’avenir de leur jeunes compatriotes pour expérimenter n’importe quel projet pédagogique mis au point par n’importe quel semblant de conseiller pédagogique qui traine dans un ministère occidental.

  4. L’Afrique est actuellement divisee en deux :l’Afrique Francophone et l’Afrique Anglophone.Ce qui importe pour nous c’est la croissance et le developpement economiques du Continent.Cela serait impossible sans une communication entre les deux Afriques.Kofi Annan parle francais ainsi que la plupart des ghaneens de sa generation,comme Peter Oumarou, parce que Krumah s’etait rendu compte que la construction de l’Afrique imposait que les Africains puissent communiquer entre eux.Ce programme n’est pas une impossibilite.Allez au Cameroum pour vous rendre compte.Si l’Afrique Francophone ne veut pas trainer derriere les autres pays Africains,elle doit etablir sans delai l’anglais comme langue Officielle ,obligatoire au meme titre que le Francais.J’ai indique que dans un partenariat strategique entre la Chine, les USA et la France (ou UE),l’objet de l’apport des USA serait l’apport de l’education superieure,la technologie.C’est ce que la Chine a negocie avec les USA et c’est ce dont l’Afrique a besoin pour declencher sa croissance.L’unite de l’Afrique se fera autour de l’anglais et autour de la CROISSANCE ECONOMIQUE et nos Allies indispensables sont la Chine et les USA.La France a trouve un crenau,important pour l’heure!

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