Françafrique, globalisation et développement humain

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La Françafrique… on en parle en Afrique, en France. Les médias, les politiques, vous, moi, tout le monde utilise ce «mot valise» pour évoquer les obscures relations que la France entretient avec ses anciennes colonies en Afrique depuis l’époque des indépendances. C’est un des membres fondateurs de l’association Survie, François-Xavier Verschave, qui a «forgé ce mot».

 

 

Dans son ouvrage, Le plus long scandale de la République (1998), il explique que «la Françafrique, c’est comme un iceberg. Vous avez la face du dessus, la partie émergée de l’iceberg : la France meilleure amie de l’Afrique, patrie des droits de l’homme, etc. Et puis ensuite, vous avez 90% de la relation qui est immergée : l’ensemble des mécanismes de maintien de la domination française en Afrique avec des alliés africains… C’est pourquoi les armes importent peu : les pots-de-vin, la corruption, le meurtre, la manipulation et la guerre.» La Françafrique, c’est le contrôle économique, monétaire et militaire mis en place pour la défense des intérêts français en Afrique. C’est le néocolonialisme après la décolonisation.

 

 

La Françafrique, c’est l’asservissement par le Franc CFA, c’est le non-développement entretenu par la dette publique. C’est une cellule africaine à l’Elysée. Ce sont des noms qui ont fait et défait des présidents africains et leurs régimes claniques : Charles de Gaulle, Jacques Foccart, Jacques Chirac, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, Robert Bourgi et ses célèbres valises. La Françafrique, c’est le scandale de la compagnie pétrolière Elf. Ce sont les interventions militaires toujours déclenchées au nom des droits humains et dans un cadre multilatéral. La liste est trop longue !

 

 

Dans le «pré carré africain», comme certains disent encore, les populations vivent tous les jours l’impact désastreux de cette Françafrique sur leur vie socio-économique. Cependant, les Maliennes et les Maliens ont accueilli chaleureusement l’opération Serval et Papa Hollande. Ils l’avaient cru, quand, en octobre 2012, à Dakar, il avait dit que «le temps de la Françafrique, c’est fini». Déçus, inquiets, quelques mois plus tard, à Bamako et à Gao, certains ont marché pour demander à l’ancien colon d’éclaircir ses intentions pour Kidal. Dès le 11 janvier 2013, pourtant, au Mali, comme en France, des voix s’étaient élevées pour dénoncer une nouvelle manœuvre de la  Françafrique. Ces voix, dites «progressistes», étaient celles de simples citoyens, d’associations et d’organisations, tous animés par «un même esprit, une même communauté d’intérêts, par des valeurs de justice sociale, d’égalité entre les peuples, de respect de leur souveraineté et de solidarité internationale, sans racialisme, ni paternalisme». Jacques Chirac, qui disait, en 1988, alors qu’il était maire de Paris, qu’il était «fier de l’œuvre coloniale de la France», traitait ces militants, et tous ceux qui critiquaient la Françafrique «d’intello-gaucho-masochistes». Ces mouvements citoyens fouillent, contrôlent documents et témoignages, analysent, informent, interpellent, portent plainte, publient, organisent conférences et débats, manifestent pour influer sur la politique de la France en Afrique. Ils coordonnent certaines de leurs actions.

 

 

Le 5 juin 2013, ils ont marché devant l’Unesco, lorsque François Hollande recevait le «Prix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix» devant un aréopage de «vassaux africains». Début décembre, lorsque l’Elysée entretenait «son syndicat de chefs d’Etat africains» au Sommet Afrique-France, de nombreux évènements ont été organisés pour y faire contrepoids. Entre autres, un tribunal citoyen de la Françafrique a appelé des témoins africains à la barre pour expliquer l’historique des agissements de la France dans leur pays. Ces organisations, associations et simples citoyens se retrouvent chaque année, en février, à l’occasion de la Semaine anticoloniale.

 

 

Depuis 2 ans, c’est le Colonial Tour qui inaugure cette vaste manifestation. Les journalistes sont conviés à bord d’un bus afin de revisiter Paris pour «lutter contre l’amnésie générale entretenue sur la période de l’esclavage et du colonialisme». En 2013, les historiens leur ont expliqué le rôle de la Compagnie des Indes, de l’Hôtel de la Marine, des expositions coloniales et des zoos humains. L’édition 2014 a été «consacrée au passé occulté de certaines entreprises» actuelles,  comme la Caisse des Dépôts et Consignations, et le Crédit suisse, «dont le grand public ignore généralement le rôle dans la traite négrière ou le travail forcé dans les colonies».

 

 

Le Colonial Tour a fait une halte devant les sièges de Total et Bolloré, deux des entreprises moteurs de la Françafrique. Certains sont critiques à l’égard de ces militants utopistes, et pourtant, ils représentent une veille citoyenne nécessaire que les gouvernements ne peuvent plus ignorer. Les politiques à qui le Salon anticolonial décerne le Prix du (meilleur) Colonialiste et le Prix de la Françafrique ne peuvent s’en sortir honorablement qu’avec un rire amer et ironique pour nier leur propre «françafricité». Tous insistent sur la qualité des relations historiques Afrique France. Ils croient détourner l’attention en évoquant le potentiel de l’Afrique. L’enjeu économique est colossal, chacun le sait. L’Afrique devient l’objet de toutes les convoitises. La France y perd pied économiquement. La Françafrique se réduit de plus en plus à sa seule facette militaire, alors que la Chinafrique se développe.

 

 

Les Africains s’en réjouissent car ils estiment que «la Chine ne s’ingère pas dans les affaires intérieures africaines et qu’elle est prête à payer à l’Afrique un prix plus élevé que les pays occidentaux». On parle même de Turquafrique. De nombreux contrats sont aussi signés avec le Qatar et le Maroc, sans que les conditionnalités ne soient médiatisées. C’est aux populations africaines de jauger ces nouvelles donnes, comme c’est aux Français de continuer à veiller sur ce que leur gouvernement fait à l’égard de l’Afrique. Nous savons tous que c’est le niveau de développement humain des citoyens qui est déterminant. Tant que la santé, l’espérance de vie, le niveau d’éducation, et le pouvoir d’achat ne s’améliorent pas, c’est que la complicité entre les décideurs locaux et les décideurs étrangers continue de spolier les populations. Peu importe les partenariats dans cette globalisation galopante, le développement humain doit rester l’objectif premier, et chacun doit avoir un œil rivé sur ce curseur révélateur.

Françoise WASSERVOGEL

 

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