Les hôtes du chef de l’Etat n’ont pas pris de gant pour souligner avec force les problèmes qui suscitent l’inquiétude des citoyens. Ibrahim Boubacar Kéïta n’est pas demeuré en reste
La traditionnelle série de présentations de voeux au président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta a débuté hier dans la salle de banquet du palais à Koulouba. Comme d’habitude, ce sont les chefs coutumiers de la capitale, conduits cette année par le nouveau porte-parole de la famille fondatrice, El Hadj Souleymane Niaré, en remplacement de son défunt aîné, El hadj Modibo Niaré, décédé il y a quelques jours, qui ont été les premiers à présenter leurs vœux au chef de l’Etat. Ils étaient en compagnie des leaders religieux, conduits par Mahamoud Dicko, président du Haut conseil islamique, Monseigneur Jean Zerbo de l’Eglise catholique et Dr Youssouf Dembélé, secrétaire général de l’Association des groupements et missions protestantes évangéliques du Mali (AGEMPEM). La cérémonie s’est déroulée en présence du Premier ministre Modibo Keita, des membres du gouvernement et des collaborateurs du président de la République.
Ibrahim Boubacar Keïta a saisi l’occasion pour mettre le doigt sur l’insalubrité dans la capitale et le manque de réflexe écologique des habitants. « Le rôle d’un maire n’est pas de vendre les terres pour se faire de l’argent, mais de servir les concitoyens qui l’ont élu », a dénoncé le président Keita. En appui à ses critiques, il a cité l’exemple de la Promenade des Angevins, aujourd’hui dans un état de délabrement avancé. Pourtant, cet espace avait été bien aménagé jadis par le gouvernement pour en faire un pôle d’attraction de la capitale. Mais faute d’attention des édiles de la ville, cet espace s’est transformé en gare routière pour les minibus. Les vendeuses de friperie y côtoient un dépôt d’ordures. Les grilles de protection sont transformées en sèche-linges quand elles ne sont pas tout simplement découpées et emportées.
Le président Keïta a aussi promis un changement en profondeur dans la gestion du foncier dans notre pays. « Nul n’est et ne sera au dessus de la loi », a-t-il répété. Le chef de l’Etat a ajouté que l’on ne peut dire qu’on l’aide dans la mise en oeuvre de son programme et continuer avec des pratiques qui tranchent avec son idéal de servir le Mali.
Abordant la question de la gestion du pèlerinage à la Mecque, Ibrahim Boubacar Kéïta a indiqué le gouvernement ne permettra plus à quiconque de faire des affaires sur le dos des pèlerins maliens. Désormais l’Etat veillera à la bonne organisation du secteur pour éviter un autre événement tragique du genre de celui de 2016 à Mina, a assuré le chef de l’Etat.
Parlant de l’Accord pour la paix et la réconciliation, le président de la République s’est félicité de l’élan de solidarité qui s’était mis en place pour son obtention. A ce sujet, il s’est réjoui de la tournée effectuée par les leaders religieux en Europe où ils ont pu tordre le cou à certaines allégations des apologistes de la partition du pays. Il s’est également félicité de la mise en place de la Commission vérité, justice et réconciliation. Car pour lui, l’accord de paix n’est ni une panacée, ni le meilleur au monde. Il a juste l’avantage d’ouvrir la porte à la discussion pour permettre de reconstituer le vivre ensemble. C’est dans ce cadre qu’il a reçu tous les principaux leaders politiques et militaires de la rébellion, sauf Bilal Ag Cherif. « Mais malgré les péripéties, je garde l’espoir que mon frère Bilal Ag Cherif et moi s’assoiront un jour pour parler du Mali », a souhaité le chef de l’Etat.
INSTRUMENT D’ASSERVISSEMENT. Auparavant, les hôtes du président Keita s’étaient fait l’écho des préoccupations des communautés qu’ils représentent. Le patriarche Souleymane Niaré a beaucoup insisté sur la sécurité alimentaire de la population, le soutien aux producteurs, estimant que beaucoup a été réalisé dans ce sens, mais que force est de reconnaître qu’il reste encore des efforts à faire.
Par ailleurs, il a rappelé que notre pays a été islamisé depuis des siècles et que nous n’avons aucun complexe à nourrir vis-à-vis de quiconque. Pour lui, les violences actuelles qui sèment la désolation à travers le monde, ne peuvent et ne doivent pas prospérer au Mali, car nous avons une vieille pratique de l’islam.
Parlant de la question de l’emploi, Souleymane Niaré a souligné la nécessité de mettre l’accent sur la qualité de la formation pour la mettre en adéquation avec l’emploi. Au sujet de la justice, il a estimé que celle-ci est en passe de devenir un instrument d’asservissement des plus pauvres.
Cet avis est partagé par le président du Haut conseil islamique, Mahamoud Dicko et le secrétaire général de l’AGEMPEM, Dr Youssouf Dembélé. Ce dernier a demandé le soutien du président de la République dans un litige opposant l’Eglise protestante à un particulier au sujet d’un terrain acquis dûment avec des papiers établis par les autorités compétentes. Le terrain litigieux devrait accueillir le siège de l’AGEMPEM.
Quant à Mahamoud Dicko, il a prévenu que partout où les brimades et les injustices deviennent le quotidien de la population, il n’y aura jamais de paix, encore moins de progrès. Le président du Haut conseil islamique a dénoncé aussi la gestion du ministère du Culte et des Affaires religieuses, expliquant que depuis la création de ce département, il n’y a jamais eu de réunions pour fixer les domaines de compétence des différents partenaires. Les missions du département sont méconnues de ses partenaires qui ne savent pas non plus les limites de leurs propres compétences.
« Au moment où l’islam fait l’objet d’un enjeu au plan international, il est dommage qu’au Mali, on reste les bras croisés pour subir les événements. C’est pourquoi, le Haut conseil islamique a réfléchi sur le positionnement de notre pays sur la question. Des propositions ont été faites dans ce sens et soumis au département de tutelle, ainsi qu’au ministère de la Réconciliation nationale. Mais jusqu’ici, le document est resté sans suite », a regretté Mahamoud Dicko qui s’est dit inquiet du climat de suspicion actuel dans notre pays au sujet de la question de l’islam. Il a préconisé une union sacrée pour faire face à l’ennemi car, selon lui, la barbarie actuelle dans le monde au nom de l’Islam n’est nullement recommandée par cette religion. Qui est une religion de paix et d’amour.
Tout en se réjouissant de la signature de l’Accord de paix, les leaders chrétiens (catholiques et protestants) ont formulé des prières pour sa consolidation et la stabilité du pays. Dr Youssouf Dembélé est revenu sur le phénomène de la corruption qui, regrettera-t-il, a encore de beaux jours devant elle. Selon lui, les 153 milliards de Fcfa de manque à gagner révélés cette année par le Vérificateur général, pouvaient servir à étoffer les infrastructures socio-économiques au grand bonheur de nos compatriotes. Le leader religieux a invité les pouvoirs publics à s’investir davantage pour une meilleure gestion des affaires publiques.
A. O. DIALLO