Après les arrestations de Djéné Sogodogo et de Ras Dial qui ont été libérés ensuite, le jeudi dernier, ce sont Abdoul Niang et Bouba Fané qui ont été condamnés à deux ans de prison ferme pour « outrage aux magistrats ». Il ne suffit pas de mettre aux arrêts les activistes désactivés de ce pays. Ce dont le Mali a besoin dans l’urgence, c’est une véritable moralisation de la vie publique en général et du débat public en particulier.
Avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication en complément des moyens classiques de communication (TV, Radio, Journaux,…) et avec la prolifération non réglementée des mosquées financées par des fondations saoudo-qataries, le débat public est tombé dans les caniveaux. Les imams-prêcheurs, les pseudo-journalistes et autres animateurs de circonstance sont devenus des armes de distraction/destruction massive entre les mains des hommes politiques ou des hommes d’affaires en vue de s’enrichir ou de régler leurs comptes personnels avec leurs éventuels concurrents. L’ignorance de leurs concitoyens est devenue leur fonds de commerce qu’il faut exploiter au maximum pour vendre des médicaments, des stylos magiques, des talismans ou faire la promotion de tel guide spirituel ou de tel leader politique. Même s’il faut aller jusqu’à proférer des mensonges éhontés ou des insultes graves.
La liberté d’expression est certes un acquis de la révolte populaire de mars 1991, peut-être le seul jusqu’ici. Mais elle ne doit pas être une source de déstabilisation des institutions elles-mêmes issues de la constitution du 25 février 1992. Si le défoulement était tolérable pendant les dix premières années de la chute du régime du GMT car chacun en avait gros sur le cœur, cela ne doit plus être permis vingt ans après. Alors que les problèmes du pays ne font que s’aggraver; ce qui demande une certaine pédagogie, y compris dans le débat public.
En démocratie, les choses sont claires : même si des nuances peuvent exister entre partisans et opposants, les choses ne le sont guère chez nous. À cause non seulement du tourisme partisan – puisqu’il est permis de changer de parti comme on change de boubou – mais aussi de la transhumance entre opposition et majorité. Une moralisation de la vie publique est dès lors plus que nécessaire. Elle commence par une déontologie du débat public qui manque cruellement. Nous avons ouvert les vannes pour la création des partis politiques, on en est à plus de 200 actuellement. Mais nous ne nous sommes jamais préoccupés de l’éthique qui doit présider à leurs activités. Les partis concourent à l’encadrement de leurs adhérents. Mais comment le peuvent-ils quand leurs dirigeants ne maîtrisent pas eux-mêmes l’art de la communication entre eux, entre eux et les autres formations politiques et entre eux et le public, qu’il soit formé de partisans ou de gens hostiles.
La moralisation de la vie publique ne peut être envisagée sans que l’on ne se penche sur la relation entre les partis politiques et l’argent. Un premier pas a été franchi par la mise en place de mécanismes pour le financement public des partis politiques. Mais les partis bénéficiaires desdits financements doivent rendre publics leurs comptes. Ils doivent fournir la preuve que les montants disponibles dans leurs comptes proviennent de sources reconnues et reconnaissables. Ce qui n’est pas encore le cas. Le rapport des hommes politiques avec l’argent devra être également réglé. La déclaration du patrimoine avant et au terme de l’exercice d’une fonction élective ou exécutive doit être respectée scrupuleusement et des dates impératives devraient être fixées à cette fin par la loi. De même cette exigence devrait être étendue à tous les dirigeants des partis politiques. Des mécanismes devraient aussi être prévus pour que le train de vie des hommes politiques soit au-dessus de tout soupçon.
Sambou Sissoko