Dans la ville de Bamako, nombreux sont ceux qui quittent leur village pour vivre du petit commerce. Communément connus sous le nom de “vendeurs ambulants”, ces jeunes mènent chaque jour une vie de combattant sous le soleil ardent en proposant aux automobilistes tout comme aux piétons différents produits comme les parfums, les lunettes, les mouchoirs etc.…
“Approchez, approchez c’est la promo”, lance Youssouf Saye enthousiaste. Muni de ses marchandes, le vendeur de téléphone poursuit, “venez, venez c’est du moins cher et c’est de la bonne qualité”.
Pour un chef de famille, rester à la maison et dépendre des autres n’est pas du tout évident, se justifie Saye. “Pour que ma famille puisse avoir le confort dont elle a besoin, je me promène tous les jours dans les rues de la capitale, pour vendre le plus de marchandises”, affirme-t-il en présentant ses marchandises. Le prix varie entre 3 000 à 5 000 F CFA.
S’exposant aux risques d’accidents de la circulation routière, ces vendeurs ambulants sont prêts à tout pour gagner honnêtement leur vie. Si beaucoup sont des occasionnels, de plus en plus de jeunes en font leur occupation régulière.
Khalid Kébé est étudiant à la Faculté des sciences économiques et de Gestion (FSEG). L’étudiant profite de son temps libre pour gagner de quoi se prendre en charge.
Il vend des couvre-volants et les parfums pour voitures. Un petit commerce qui lui permet de subvenir à ses besoins et à celui de ses frères. “Je prends mes marchandises à 1 500 F CFA par unité et les vends souvent à 2 500 F CFA ou 3 000 F CFA. Des fois, je peux gagner jusqu’à 5 000 F CFA ou plus par jour”, a-t-il mentionné. Selon lui, ce travail lui permet de créer une bonne relation avec certains de ses clients.
Parmi ces vendeurs, les marchands de lunettes sont désormais considérés comme des opticiens à travers ce qu’ils proposent à la clientèle, que ce soit des lunettes de soleil ou des correcteurs. Tout est cédé à des prix plus abordables qu’à la pharmacie.
Quittant son domicile depuis 7h, Mamadou Tounkara vendeur de lunettes s’approprie les rues de la ville avant de rejoindre sa place habituelle située à l’Auto-gare de Sogoniko.
Mamadou vend ses lunettes à 500 F CFA et plus sur le marché. Sur ses marchandises il gagne suffisamment pour venir en aide à ses parents qui sont au village.
“Depuis plus de 3 ans maintenant, la seule difficulté que j’ai eu est que la mairie nous fatigue. Il faut leur remettre 50 F CFA ou 100 F CFA pour chaque ticket. Dès fois, ils cassent nos marchandises lorsqu’ils usent de la force pour nous faire dégager du lieu”, souligne Mamadou prenant place à son petit coin de vente qu’il occupera pendant des heures. Le désormais opticien ne plie ses marchandises qu’à 18h, son heure de descente.
Khalid Kebe :
Vendeur ambulant par choix
Débrouillard de nature à 19 ans, Khalid Kébé consacre sa vie aux études et à son business au bord des routes.
L’étudiant à la Faculté des sciences économiques et de gestion (FSEG) y vit désormais avec ses parents et ses 7 frères et sœurs. Teint noir et taille moyenne, Khalid est devenu vendeur ambulant par choix.
Issu d’une famille au revenu modeste, le jeune marchand a débuté son commerce avec l’aide de son père qui lui a donné un fonds de commerce. Son père détient des boutiques d’accessoires pour motos ainsi que de nombreuses choses.
Le jeune Khalid programme son quotidien entre ses cours à l’université et son commerce, lorsqu’il a des heures libres ou quand il est en congé. Il propose à ses clients plusieurs produits dont des couvres volants, des déodorants pour voitures…
C’est en voulant découvrir les difficultés de la vie que Khalid est rentré dans le monde du commerce ambulant. Un choix pour lequel il a opté explique-t-il, pour ne pas être dépendant des parents “à un certain âge”.
Actuellement grâce à son commerce Khalid, subvient à ses petits besoins. Grace à ses économies, il dit ne manquer de rien et cela lui permet également de tisser des relations avec un bon nombre de ses clients. Des contacts qui pourraient lui servir dans les prochains jours, pense-t-il.
Mahamane Aguibou Maiga, Juriste, Cabinet GANO :
“Les vendeurs à la sauvette sont un danger pour les consommateurs”
Les vendeurs ambulants, présents dans tous les quartiers de Bamako sont vus par certains comme des brigands et par d’autres comme de simples débrouillards. Dans cet entretien, Mahamane Aguibou Maïga, collaborateur d’avocat au cabinet Gano parle des lois et des règlements qui régissent cette activité.
Mali Tribune : La loi permet-elle le commerce à la sauvette au Mali ?
Mahamane Aguibou Maïga : La liberté d’entreprise est un droit fondamental reconnue par la constitution du 25 février 1992 qui en son article 14 dispose que la liberté d’entreprise est garantie, mais la loi précise que cette liberté d’entreprise doit rester dans le cadre des lois et des règlements.
Les commerçants qui pratiquent les ventes à la sauvette ne sont pas dans le cadre des lois et des règlements. Ils sont dans un secteur informel. Pour être commerçant au Mali, il faut être immatriculé au registre de commerce et de crédit immobilier ou faire une déclaration d’exercice de commerce auprès du greffe du tribunal compétent. Tout commerce n’ayant pas été soumis à ces critères n’est pas alors autorisé.
Mali tribune : Ce commerce viole alors la loi de concurrence au Mali ?
M. A. M.: Ces ventes sont un frein au respect de loi de concurrence établie par la loi au Mali et un frein à la règle de concurrence des commerçants. On ne sait d’où proviennent leurs produits même s’ils sont abordables. Ils y’a d’autres commerçants qui payent leurs impôts et vendent leurs produits à des prix bas. En plus, ils violent les règles sanitaires parce que leurs produits sont exposés au soleil. Ils sont en violation de la loi et sont un danger pour les consommateurs.
Mali Tribune : Qui est chargé de faire la police économique ?
M A. M.: Pour des institutions chargées de faire la police économique, nous avons un ministère du Commerce. Il a sous sa responsabilité une direction nationale du commerce et de la concurrence et une direction régionale du commerce et de la concurrence. Elles sont chargées de veiller au bon fonctionnement et au respect des règles de droit de commerce. Ces directions sont chargées de signaler toutes ventes illégales. Aussi, il y’a la mairie qui est chargée de recenser tous les commerçants informels. En dernier point, nous avons l’association des consommateurs qui est chargée d’assurer la qualité des produits vendus et s’ils respectent les modalités de consommation et les modes de vente garantis par la loi et le règlement.
Contrôleur général de police Adama S. Coulibaly, directeur de la DUBOPE :
“Nous ne cessons de lutter contre ce fléau”
Les ventes à la sauvette gagnent du terrain à Bamako. Face à cette situation, quelles sont les dispositions prises par la marie du district pour règlementer ce secteur informel qui attire de plus en plus de jeunes ? Dans cette interview, le directeur urbain du bon ordre et de la protection de l’environnement du district de Bamako (Dubope), contrôleur général de police Adama S. Coulibaly apporte des éclaircissements.
Mali Tribune : le constat est patent par rapport à l’occupation anarchique du domaine public par les ventes ambulantes à Bamako. Qu’est-ce que la marie du district a prévu en la matière ?
Adama S. Coulibaly : L’occupation du domaine public n’est pas mauvaise en soit, mais sans autorisation, elle est interdite par la loi. Les ventes ambulantes ne sont pas autorisées. Nous ne cessons de lutter contre ce fléau à travers nos rafles, en saisissant leurs marchandises qui ne seront restituées qu’après paiement d’une amande de 3 000 F CFA à 18 000 F CFA. C’est le quotidien certes, mais ils le font de manière non autorisée. Nous avons également des textes en la matière. L’arrêté principal est l’arrêté N°14 pris en aout 2001 par la mairie du district concernant l’occupation anarchique du domaine public.
Mali Tribune : Quels peuvent être les dangers auxquels ces jeunes s’exposent en longueur de journée ?
A S. C.: Ces ventes peuvent créer des désagréments qui engendrent des accidents et peuvent polluer l’environnement. Pour finir, ça crée un embouteillage monstre. Ces ventes sont de véritables fléaux auxquels chaque citoyen se doit de combattre.
Mali Tribune : Quelles sont les dispositions prises par la marie pour éradiquer cette activité, devenue comme vous le dites “un fléau” ?
A S. C.: Nous sommes un service déconcentré qui travaille avec chaque maire de Commune pour exécuter les missions dédiées à la direction urbaine du bon ordre et de la protection de l’environnement. Nous mettons en œuvre ces missions qui nous ont été assignées. Mais ce n’est pas facile parce que nous sommes à cours d’effectif pour y parvenir. Nous avons un problème de moyen roulant pour faire tout Bamako. Je profite de cet entretien pour passer un cri de cœur à l’endroit de toute la population, aux usagers, de cesser les achats avec ces vendeurs ambulants même si leurs marchandises sont moins chères, parce que cela ne fera que les encourager.
MICRO-TROTTOIR
Que pensent les Bamakois des vendeurs à la sauvette ?
Attaher Lamine Cissé : (philosophe)
“Ces jeunes vendeurs sont des Maliens qui ont le droit d’exercer librement leur commerce. Pour ma part, je pense que l’Etat doit créer un meilleur cadre leur permettant de poursuivre leur commerce parce qu’à part les pharmacies par terre ce qu’ils vendent sont de la qualité. Le citoyen peut se le procurer facilement. Mais dans la circulation, les vendeurs ambulants sont responsables du désordre de la route. Ne maitrisant pas le code de la route, ils se faufilent de manière inadéquate entre les voitures et les motos et s’exposent à longueur de journée au risque de la circulation. Pour couronner le tout, je peux dire que tout cela est dû par la faillite de l’Etat, l’incompétence de la chambre du commerce et l’insouciance du président des commerçants détaillants”.
Assétou Ouattara : (étudiante en master en communication)
“Je suis sensible à leur situation. J’achète leurs marchandises, mais je ne suis pas pour leur façon de vendre. Ces jeunes sont les premiers exposés aux accidents de la circulation. Ils risquent gros en se promenant entre les véhicules et je doute fort que ce qu’ils vendent soient de la qualité. Leurs produits sont certes abordables, mais ils sont exposés au soleil et aux microbes. Ils refusent de rentrer au marché, s’ils ont un problème de place ils peuvent former un syndicat pour défendre leur cause noble. Je pense qu’ils doivent penser à leur sécurité avant de s’exposer de la sorte”.
Mohamed Maïga : (juriste)
“Ces jeunes ne cherchent qu’à gagner leurs pains du jour. A chaque feu tricolore, on y voit toute sorte de spécialités locales. L’animation qui règne est vive et grouillante. Ces vendeurs proposent pratiquement les mêmes produits que dans les boutiques. Leurs produits sont moins chers que ceux des commerçants. Dans la circulation, ces jeunes risquent beaucoup dans la mesure où nous avons des conducteurs qui ne savent pas conduire. Ce qu’il faut retenir est que les magasins sont chers, l’Etat n’assiste pas les jeunes pour qu’ils aillent un débouché. A défaut de la mère, il faut se contenter de la grand-mère”.
Lamine Kantago : (agent commercial)
“Au Mali, nous manquons de moyen. Ces jeunes, je les comprends parce qu’allant d’un côté, ils ne cherchent qu’à survivre. Souvent, en les voyant, j’ai moi-même peur pour eux car, ils ne cessent de s’exposer à d’énormes risques. Nous avons peu d’usagers exemplaires. Si cela ne tient qu’à moi, il n’y aura pas de vendeurs ambulants. C’est vrai, j’achète souvent de l’eau avec eux, mais je ne me suis pas rassuré en buvant cette eau parce qu’elle est sans protection.
L’Etat doit prendre des mesures pour venir en aide à ces gens surtout les plus jeunes. Ils sont encore mineurs et ont certainement assez de potentialité, qui avec un coup de pouce pourront s’en sortir. J’invite aussi tous ces vendeurs à prioriser leur vie et non le gain, à continuer d’attacher la ceinture car demain sera meilleur”.
Modi Bagayogo : (coursier commercial)
“La plupart, sont des enfants enfuis de leur village. Une fois dans la grande ville, ils ne peuvent que s’adonner à ces petits commerces. C’est nous-mêmes qui les amenons très souvent de leur village. Une fois à destination, nous les plaçons auprès d’autres personnes pour leur aider à gagner leur vie d’où d’ailleurs le recours à ces activités. Ils sont tout le temps victimes d’accident de la route. D’autres se blessent grièvement mais nombreux sont ceux qui y perdent la vie. Il est temps d’éradiquer ce fléau. Ils viennent à la recherche d’une vie meilleure, mais ils ne font que plonger dans les tristes réalités de la grande ville. En cas de problèmes, ils n’ont pas de tutelle malheureusement ils sont livrés à eux même. Vivant dans ces conditions ils risquent gros”.
Mohamed Kaloga : (menuisier)
Les ventes ambulantes sont risquées. C’est vrai que l’Etat ne peut pas prendre tout le monde en charge, mais il peut toutefois apporter un changement à travers par exemple, la création d’un centre de formation qui permettra à beaucoup de jeunes de mener d’autres activités. Ces jeunes sont un véritable danger. Soi-disant pour gagner de l’argent, ils n’hésitent pas une seule seconde à se faufiler entre les engins. Personnellement je suis contre mais que faire”.
Réalisé par
Assétou M. Coulibaly
(stagiaire)