Créée en 2014 après le coup d’État et le conflit dans le nord, afin de contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques, la Commission vérité justice et réconciliation, a tenu sa troisième audience publique. C’était, le 3 avril 2021, dans les locaux du CICB, sous la présidence du ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, Mme Bintou Founé Samaké. Y ont assisté le haut représentant du chef de l’Etat pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, les associations de victimes, les défenseurs des droits de l’homme ainsi que des ambassadeurs accrédités au Mali.
La démarche, qui s’inscrit dans la déclinaison des missions de la CVJR, a consisté à faire témoigner publiquement un échantillon représentatif de victimes de certains épisodes historiques du Mali, de 1960 à nos jours. A défaut d’une confrontation avec les présumés auteurs devant les membres du jury, 14 victimes se sont succédé pour détailler les circonstances de l’enlèvement de leurs parents et le tort que l’absence de ces derniers a causé à leurs familles respectives. Il s’agit des enfants de Fily Dabo Sissoko, de Hamadoun Dicko, de Kassoum Touré, de la famille d’Abdoul Karim Camara communément appelé Cabral ainsi que de plusieurs autres victimes d’agressions de l’armée malienne ou de groupes terroristes.
Le ton a été donné par le fils de Maraba Kassoum, Mamadou Touré. Il ressort de ses explications que son père, contrairement aux motifs précédemment véhiculées pour justifier ses ennuis, ne s’est jamais opposé au franc malien. Parlant des circonstances de son arrestation, il déclare ceci : «Mon père a été arrêté un vendredi matin de bonne heure alors que la veille une délégation de la présidence était passée lui remettre la somme de 100 000 à titre de cadeau. Le matin, des policiers sont venus fouiller notre maison et on a retrouvé cette somme, qui était des faux billets. Il a été ensuite jugé sans avocat par un tribunal populaire. A la barre, il a juste demandé de voir Modibo Keita pour qu’il vienne expliquer les circonstances de son arrestation. Il a ensuite demandé la libération des autres commerçants. Cependant, il a juré à la barre que Modibo qu’il avait aidé à intégrer le parti US-RDA, connaitra le même sort que lui»
Quant à Fily Dabo Sissoko, secrétaire d’Etat chargé du commerce dans le gouvernement de William Ponty, député à plusieurs reprises et un des pionniers des indépendances, c’est à Bafoulabé, selon son fils qu’il va connaitre Hamadoun Dicko, enseignant de son État. Et depuis, les deux hommes ont cheminé et seront élus ensemble comme députés en 1958. Ils seront arrêtés le même jour que Kassoum Touré devenu leur ami commun.
Sur ce qu’il s’est passé à Kidal, Oumar Hamadoun Dicko explique : « alors qu’il n’étaient même pas à la marche du 22 juillet 1962, Hamadoun Dicko, Kassoum Touré, seront arrêtés chez eux par des militaires après avoir tout cassé au passage. J’avais six ans et depuis je n’ai plus vu mon père Hamadoun Dicko. Pendant un mois, personne n’osait rentrer dans nos maisons à part quelques amis. A la prison, ils étaient frappés tous les matins pour un crime qu’ils n’ont pas commis. Malgré les interventions des présidents De Gaulle, Houphouët, Ould Dada, Leopold Sedar Senghor et beaucoup d’autres, Modibo Keita a refusé leur libération. Et finalement ils seront transférés à Kidal pour les travaux forcés à perpétuité. Alors qu’ils avaient espoir d’être libérés, une commission restreinte a décidé de leur élimination. Le 12 février 1963 dans un rack ont ordonné au commandant de la zone militaire de Kidal Dibi Sylla Diarra en ces termes « faite voler définitivement les trois oiseaux ». Ce jour, après une longue marche entre Boureissa et Tessalit, les prisonniers seront exécutés par Jean Golon Samaké, un ancien élève de Hamadoun. Pour que les charognards ne mangent pas leur corps, mon père a creusé une fosse commune pour ces compagnons avant leur exécution. Le gouvernement de l’époque n’a pas voulu informer les familles des victimes. Et c’est en juin 1964 qu’une délégation est venue nous expliquer que lors d’un transfert de prisonnier des rebelles ont attaqué le convoi et les trois prisonniers sont morts. Quelques années plus tard l’histoire a donné raison à Fily Dabo, qui avait expliqué à Modibo qu’il est trop tôt et très dangereux d’abandonner le francs CFA. Modibo Keita sera emporté par un coup d’Etat à la suite d’une contestation populaire.
Même si les enfants des trois victimes ont pardonné, ils n’ont pas oublié. Cependant, ils ont sollicité de l’Etat des funérailles nationales et une reconnaissance des lieux du crime pour qu’ils puissent faire leurs deuils. Ils ont en outre suggéré au gouvernement l’organisation d’une journée de prière, de pardon et de réconciliation.
Pour ce qui concerne le cas Abdoul Karim Camara, leader estudiantin tué en 1980, 41 ans après, ses frères Mamadou Bassirou et Farouk Camara ne retiennent toujours pas leurs larmes. Etudiant à l’étranger tous les deux au moment des faits, c’est par le journal le monde qu’ils ont appris l’assassinat de leur petit-frère. Et, selon Mamadou Bassirou, « tout a commencé le 10 mars 1980. Ce jour pour retrouver Cabral, notre mère ainsi que notre grand-frère Mamadou Camara ont été arrêtés à domicile. Après des interrogatoires, ils seront relâchés le 13 mars avec l’ordre d’aller chercher Cabral. Quelques jours plus tard ils seront à nouveau arrêtés cette fois avec leur grande-sœur. Au deuxième arrondissement de Bamako, sa sœur a été torturée et violée pour qu’elle leur dise ou se trouve Cabral. Finalement elle les conduit chez un cousin tailleur à Djikoroni. Ce dernier, torturé à son tour, les conduit à Massala, un village situé à la frontière de Mali-Guinée. C’est là-bas que Cabral sera arrêté et gardé au 2e Arrondissement. On l’oblige à faire une déclaration mettant fin aux émeutes estudiantines. Malheureusement, il ne sera pas relâché. Le 17 mars on apprend après qu’il est transféré au Camp-para. Et depuis nous n’avons aucune nouvelle. On nous a dit que Cabral est enterré à Lafiabougou, un endroit où personne n’a été enterré. Une autre confidence nous a dit que son corps a été transporté au nord. On a rencontré presque tous les régimes pour connaître sa tombe. Mais ils ont toujours essayé de nous corrompre par l’argent ou des postes nominatifs comme le directeur de la douane et celui des impôts. Nous avons pardonné, mais jusqu’au dernier membre de notre famille nous avons demandé à connaître l’endroit ou notre frère a été enterré. Il s’agit pour nous de faire son deuil », ont expliqué les frères Cabral.
A ses témoignages s’ajoutent ceux de Mohamed Ould Lyenne dont le père et le frère ont été enlevés à Gao en 2018 par quatre hommes armés, d’Ousmane Macinanke dont le père a été enlevé en 2013 par l’armée malienne, de Donta Ag Sweillanne dont les fils ont été extrait d’un bus en 2012 sur l’axe de Sévaré encore par l’armée, Quant à Wahy Barry. L’armée malienne est également pointé du doigt pour l’enlèvement des quatre frères de Sidina Ould Mahamed Issa à Tombouctou en 2013, du cousin de Mossa Ag Bogeidata en 1991 dans la région de Kidal ainsi que des trois frères de Sidi Nientao à Kounkoun, un village du cercle de Djenné, en 2018. Ces victimes ont en commun de n’avoir jusqu’à ce jour aucune nouvelle de leurs parents, ne savent pas s’ils sont ou pas morts. Sans demander une justice proprement dite pour situer les responsabilités, ils ont tous pardonné tout en demandant d’être édifiés si leurs parents vivent encore ou pas. Et s’ils sont morts, ils veulent connaître leur tombe afin de faire leur deuil. Par ailleurs, certains ayants-droits de victime ont demandé réparation des préjudices causés.
À noter que les audiences publiques comportent une dimension didactique qui consiste, entre autres, en une réparation psychologique des victimes à travers la reconnaissance nationale du tort subi, à sensibiliser la population sur la portée et la gravité des actes en cause.
Amidou Keita