Tribunal de la commune Ide Bamako : Le procureur qui sème la terreur

En commune 1 de Bamako, la terreur règne. Pourtant, nul djihadiste armé ne sévit en ces lieux. Si les 370.000 habitants de la commune tremblent d'effroi, c'est au seul nom d'un certain Cheick Amadou Koïta. Depuis sa prise de fonctions, courant 2014, comme procureur de la République près le tribunal de la commune 1, ce magistrat trapu, moustachu et au sourire rare s'illustre par son amour immodéré des mandats de dépôt. Pour un oui ou pour un non, il jette le premier venu en prison. En une journée, il lui est arrivé d'envoyer en prison une petite foule de 10 personnes ! Une fois, tous les acquéreurs successifs d'un véhicule présumé volé ont été incarcérés, sans qu'on cherche à s'assurer de la bonne ou de la mauvaise foi des uns et des autres. "Aucun procureur de la capitale ne délivre autant de mandats de dépôt que Koita; la Maison Centrale d'Arrêt et la prison pour femmes de Bollé est pleine de ses victimes", nous confie une source

13 Jan 2015 - 03:15
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justice-ml - Affaires judiciairesUn avocat y va de son commentaire: "En procédure pénale, la liberté constitue le principe et l'incarcération l'exception; telle ne semble pas être la conviction du procureur Koita qui jette systématiquement en prison les justiciables traduits devant lui, même s'ils acquittent les sommes qui leur sont reprochées ! Le but d'un procureur ne devrait pas être de surpeupler les prisons mais de protéger l'ordre public en proportionnant la répression à la gravité des infractions commises.".   Sachant Koita friand de mandats de dépôt, de nombreux justiciables préfèrent porter plainte devant lui même si eux ni leurs adversaires ne logent en commune 1 et que le litige s'est déroulé ailleurs. Que l'affaire soit pénale ou civile, peu importe ! La personne poursuivie a toutes chances d'atterrir entre quatre murs puisque le plus souvent, le procureur signe ses mandats de dépôt sans se donner la peine d'entendre en personne les futurs prisonniers. De l'afflux massif de  plaintes au niveau de son parquet, monsieur le procureur n'a pas l'air de de se désoler, loin s'en faut! Lors d'une conférence de presse animée dans son bureau le 30 septembre 2014, il a révélé fièrement: "Le nombre de plaintes a connu une hausse exponentielle depuis ma nomination. Il nous arrive même de recevoir des plaintes de 5.000 FCFA à 10.000 FCFA. Toute chose qui prouve à suffisance que les populations commencent à retrouver confiance en leur justice. Récemment, sur 270 plaintes reçues et jugées plus tard, 90 personnes ont été placées sous mandat de dépôt.". Aux yeux du procureur, qui lit assurément un autre Code pénal que celui du Mali, "la spéculation foncière était plus grave que la rébellion armée". Et le haut magistrat de conclure son propos : "La loi est dure mais c’est la loi. Ici, en commune 1, tant que je serai là, personne ne sera au-dessus de la loi. Par contre, je n’ai pas de commentaires à faire à ceux qui pensent que je suis méchant". La pratique des mandats systématiques conduit parfois le procureur Koita dans de sérieux embarras. Ce fut récemment le cas lorsqu'après l'incarcération d'un imam de Boulkassoumbougou, en commune 1, la population a décidé de marcher sur le tribunal: il a fallu, pour circonscrire le danger, déployer devant le bâtiment une armada policière et libérer de toute urgence le chef religieux. Comme quoi, même en commune 1 de Bamako, force reste à... Allah !   Climat délétère au tribunal L'amour du procureur Koita pour les mandats de dépôt lui vaut, c'est connu, la colère des populations; mais il entraîne aussi un mini-chômage des magistrats instructeurs de la commune 1. En effet, quand un citoyen est traduit devant un procureur, celui-ci a, en droit, deux options : soit il traduit l'intéressé devant la juridiction de jugement (on parle alors de citation directe); soit, si l'affaire paraît compliquée, il l'impute à un juge d'instruction chargé de l'élucider avant tout jugement. Or, du fait que les justiciables font presque toujours l'objet de citations directes et sont emprisonnés avant le jour du jugement, les deux cabinets d'instruction du tribunal de la commune 1 se retrouvent quasiment désoeuvrés. Résutat: une vive amertume des juges d'instruction. La tension entre le procureur Koita et les autres magistrats du tribunal n'est pas moins profonde : plusieurs d'entre eux ne lui ont pas serré la main depuis belle lurette et s'interdisent de lui demander le moindre service, convaincus d'avance qu'il sera refusé. Un collègue du procureur raconte: "Si l'on a nommé Koita procureur, c'est peut-être parce qu'on avait oublié son attachement excessif aux mandats de dépôt. Lorsqu'il était juge d'instruction en commune 1, il n'avait pas hésité à jeter en taule deux jeunes juristes qui effectuaient un stage au tribunal. A  Ouélessébougou où il officiait comme juge de paix à compétence étendue, il avait les mêmes habitudes d'emprisonnement: plusieurs notables et chefs coutumiers locaux en ont fait les frais. Zanfing Doumbia, conseiller du village de Tiakadougou-Faraba, et son frère Benbè furent ainsi jetés en prison par Koita au seul motif que les boeufs de leur père avaient pénétré dans le champ d'un cultivateur. Ce n'est que lors de son passage au parquet du tribunal pour enfants de Bamako que Koita a fait moins parler de lui, cette juridiction n'étant pas assez fréquentée.".   Grogne des avocats Quant aux avocats, qui voient leurs clients journellement et abusivement privés de  liberté, ils ne décolèrent pas contre le procureur Koita. Lequel refuse régulièrement de les recevoir. Un avocat nous confie : "Quand vous venez rencontrer Koita au sujet de votre client poursuivi, il refuse de vous recevoir, trouvant pour cela les prétextes les plus divers comme celui consistant à se dire occupé. Il y a une semaine, il a refusé de recevoir une demi-douzaine d'avocats, dont un ancien bâtonnier de l'ordre des avocats. Ce faisant, il empêche les avocats de faire valoir les droits de leurs clients, ce qui constitue une violation des droits de la défense. Tous les procureurs du Mali reçoivent les avocats sans rendez-vous, sauf Koita qui, selon toute apparence, ne veut guère les voir et se plaît à les humilier.". Du coup, au barreau, la grogne grandit contre le procureur dont on demande de plus en plus bruyamment le départ.   Des libérations qui traînent Si l'éminent monsieur Koita met la plus grande hâte à signer des mandats de dépôt, il laisse traîner, en revanche, sa plume quand il s'agit de signer les ordres de mise en liberté des détenus. "Dans les autres tribunaux, relate un greffier, les détenus déclarés non coupables ou condamnés avec sursis sont libérés juste après l'audience correctionnelle: le procureur ou un de ses substituts signe l'ordre de mise en liberté et ils rentrent chez eux. Mais au tribunal de la commune 1 de Bamako, il faut très souvent attendre deux ou trois jours après le jugement pour que le procureur daigne enfin signer l'ordre de mise en liberté, ce qui contraint des justiciables légalement libérés à rester en prison. Techniquement, on peut, là, parler de détention arbitraire car le Code de procédure pénale ordonne de libérer immédiatement, même en cas d'appel, quiconque bénéficie d'une relaxe ou d'une condamnation assortie du sursis". Il arrive aussi au procureur Koita de ne pas enrôler à temps les demandes de mise liberté formulées par les détenus. Or, les audiences correctionnelles en commune 1 de Bamako se tiennent à jour fixe (tous les mercredis); par conséquent, toute demande de mise en liberté qui n'est pas enrolée à l'audience la plus proche doit attendre, au mieux, l'audience du mercredi suivant pour être examinée : entre-temps, le malheureux détenu passera une semaine supplémentaire en prison.   Une enquête de Tiékorobani   Emprisonné pour répudiation sans être marié Au pays de Koita, rien n'étonne. Il y a deux mois, un paisible chef de famille a été emprisonné par le procureur pour avoir répudié sa femme. Le Code pénal punit, certes, la répudiation (fait pour un mari de chasser son épouse) mais encore faut-il qu'il s'agisse de deux époux légalement mariés. Or, ce n'est que le jour du jugement que le président de séance, Maiga, a découvert que le détenu n'était pas marié légalement, que son "épouse" ne bénéficiait d'aucun acte de mariage et que leurs relations s'apparentaient à un simple concubinage. Là aussi, le juge, prenant ses responsabilités, a ordonné  la relaxe immédiate du malheureux détenu.   Tiékorobani  

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