Face au défi énorme auquel il doit faire face dans les quatre mois restants du délai imparti, le colonel- résident Assimi Goïta pense qu’il urge de trouver une alternative pour pouvoir sauver ce qui reste encore. C’est pourquoi depuis un certain temps, nous assistons à une véritable bousculade des partis politiques et regroupement de partis politiques convergeant vers Koulouba pour répondre à appel du colonel-président qui s’est engagé à les rassembler autour de la question Mali, ses grands défis et ses enjeux. La dernière en date fut, lundi 29 novembre 2021, dans la salle de banquet de Koulouba.
Toutefois à en croire que la solution miracle viendrait de la création d’une certaine inclusivité autour des grands chantiers de refondation du pays, cela relèverait de l’utopie.
Depuis le choix du Premier ministre, docteur Choguel Kokala, pour conduire le bateau de la transition et la présentation par ce dernier de son Programme d’action gouvernemental (PAG) et son adoption par le Conseil national de transition (CNT), nous assistons à une véritable effervescence contre la transition. Jamais de mémoire de Malien une transition n’a eu à faire face à une telle opposition. Cette situation, à notre avis, peut expliquer par un certain nombre de raisons.
En un premier temps, le choix porté à la personne de Choguel Kokala Maïga, choix qui passe comme une boule coincée dans la gorge de certains responsables politiques qui voient en la personne de ce premier un recul de la démocratie parce que l’étiquetant d’hériter naturel du régime militaire du défunt président, le général feu Moussa Traoré. C’est pourquoi, il a suffi d’une déclaration du Premier tenue devant les notabilités, déclaration dans laquelle il laisse entendre que la démocratie n’a servi qu’à la multiplication des partis politiques et des associations, pour que se réveillent les démons de la contestation Car, croyant ainsi occasion tout trouver pour exiger sa mise à l’écart par le colonel- président.
D’autre part, ils trouvent ici, à travers sa nomination, l’occasion rêvée de lui faire payer ses intragisances vis-à-vis de leur pouvoir dont il fut un des acteurs majeurs de sa chute. Ce qui expliquerait leur opposition voire leur rejet de toutes les initiatives qu’ils proposent peu importe qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Tout se passe comme si la règle était “tu m’as fait ceci, moi aussi je te ferai cela’’. Sinon comment comprendre que le refus de cette classe politique de participer aux assises nationales initiées par le gouvernement, des assisses réclamées par tous? Comment expliquer le rejet, par cette classe politique, de la mise en place d’un organe unique de gestion des élections, un vœu pourtant exprimé par l’ensemble de la classe politique lors des précédentes rencontres?
À ces raisons, s’ajouterait sa croisade contre la délinquance financière qui a vu plusieurs dignitaires de l’ancien régime écroués en prison.
En second temps, la pression de la France via la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en réaction aux propos tenus par le Premier ministre Dr Choguel Kokala Maïga à la tribune des Nations unies et le risque pour ce dernier de perdre le Mali, donc de voir ses intérêts au Mali et dans le Sahel tout entier compromis, n’hésite pas à tout mettre en place pour mettre le bâton dans les roues de la transition.
La troisième raison et non la moindre relève de la personne même du colonel- président de la transition, Assimi Goïta. Il serait dangereux pour lui d’oublier qu’il est venu à Koulouba à la suite d’un coup d’État. Donc, pensez que les anciens dignitaires du régime défunt lui ont pardonné et tourné la page serait une erreur grave d’appréciation de la situation. Le colonel-président doit avoir en tête que ces anciens dignitaires n’attendent qu’une seule occasion pour l’injecter de son fauteuil.
Tous ceux-ci montrent à suffisance combien le fossé est grand et très profond entre le Premier ministre, Dr Choguel Kokala Maïga et une grande partie de la classe politique dont les intérêts sont sérieusement menacés. En voulant donc chercher coûte que coûte une inclusivité entre ses deux classes aux intérêts opposés et antagonistes, il est clair que le colonel- président de la transition se jette sur une destination sans issue. Car, tout porte à croire que ces deux parties sont parties pour ne jamais s’entendre. Mieux, espérer sur un quelconque consensus serait un leurre et un véritable gâchis de temps et d’énergie.
De ce fait, le colonel président Goïta doit comprendre que l’inclusivité tant souhaitée et recherchée ne saurait être nullement la solution appropriée à la situation actuelle de notre pays. Car, non seulement elle est antidémocratique mais aussi et surtout elle poserait encore plus de problèmes qu’elle en résoudrait. Ce qui risquerait même de compromettre la transition et la précipiter dans sa chute.
Elle est anti- démocratique en ce sens qu’elle est contraire à une des règles fondamentales de la démocratie qui est la règle de la majorité. Qui parle de majorité, parle forcément de l’existence d’une minorité qui est tenue de se plier à la volonté de la première. Contrairement à ce que l’on pense, la démocratie ne signifie pas l’exercice du pouvoir par tout le peuple mais par une majorité partageant les mêmes aspirations et liée par une même idéologie. C’est pourquoi la démocratie exige l’existence d’une pluralité d’opinions exprimée à travers les partis politiques pour pouvoir donner l’occasion au peuple de pouvoir choisir à qui il voudra confier sa destinée pendant un certain temps et pour que, à la fin du mandat, qu’ il puisse juger l’action de celui qu’il aura choisi pour voir s’il doit lui renouveler sa confiance ou choisir d’autres. Ainsi, le consensus priverait le peuple de ce droit de porter son jugement sur les actions posées par ses gouvernants et aussi l’occasion de pouvoir leur renouveler ou pas sa confiance. C’est pourquoi d’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre ces propos venant des citoyens, comme “ces politiciens là, ils sont tous les mêmes”, “ce sont ces politiciens qui ont détruit ce pays“, etc. Tout cela parce qu’ils ne trouvent pas à qui attribuer les échecs et les réussites puisqu’ils se sont tous trouvés dans la gouvernance des affaires publiques. Ce qui expliquerait d’ailleurs ce mépris général du peuple à l’encontre des politiciens.
L’inclusivité poserait plus de problèmes qu’elle en résoudrait dans la mesure où sa mise en place ouvrirait la porte à toute sorte d’opportunistes de faire irruption sur la scène politique pas pour aider à solutionner les problèmes qui se posent avec acuité mais plutôt penser à eux-mêmes, soit pour brouiller les pistes parce que la plupart se trouverait menacée par l’Office centrale de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI), soit pour se faire une santé financière car, à l’absence du financement public des partis politiques, beaucoup se trouvent dans de beaux draps. Il apparaît donc évident que l’inclusivité ne saurait être tenue comme la solution pour une transition qui marche déjà sur la pente.
Réunir des sensibilités différentes avec des ambitions différentes ne ferait que précipiter la descente aux enfers de la transition. Car, comment trouverait- on un consensus sur les grandes questions entre des gens au point de vue et aux intérêts totalement divergents dans un délai aussi court comme celui de la transition ? En optant pour ce type de démarche en cette période, il est clair que nous nous dirigeons inéluctablement vers une transition de longue durée. Car, il serait utopique de croire que les gens qui se sont combattus durant des années pourront bien accorder leur violon dans ce laps de temps.
Au contraire, puisque c’est la transition, chacun voudra plutôt tirer la couverture sur lui en vue des échéances électorales à venir.
Alors, ce qu’il faut, à notre avis, en cette période de transition ce n’est point une inclusivité tant voulue. Nous pensons, en dehors de celui-ci, que deux options s’offrent aux autorités de la transition si elle est veut se trouver le bout du tunnel : soit de composer pleinement avec ceux-là qui ont combattu le régime défunt et qui l’ont conduit à sa chute, car avant tout, eux, ils bénéficient à présent de la légitimité du peuple; soit de composer un gouvernement restreint composé uniquement de technocrates et des personnalités de la société civile. L’inclusivité, que réclament certains, n’a jamais été une solution au problème de gouvernance dans une démocratie, elle fut toujours en elle-même un problème. Et les exemples ne manquent dans notre pays pour illustrer ce propos. Il suffit seulement de se rappeler du gouvernement de la première transition politique qu’à connu notre pays, en 1991 après la chute du général, Moussa Traoré et ces propos du lieutenant colonel Amadou Toumani Touré, en son temps, sont plus édifiants pour traduire la difficulté à vouloir mettre dans le même plat: patates, gombo, ignames œufs et carottes, je cite: “Ceux qui sont pressés de prendre le pouvoir, sachez que si j’échoue aujourd’hui vous allez échouer demain’’.
Autres exemples, avec le même Amadou Toumani Touré (ATT), cette fois-ci, général et président démocratiquement élu, le monde entier fut témoin de l’échec du gouvernement de large ouverture qu’il avait réussi à mettre en place et qui avait réuni tous les partis politiques. La transition, dirigée par Docteur Cheick Modibo Diarra, en 2012, ne saurait nous contredire.
C’est dire que les nouvelles autorités doivent tirer les leçons du passé pour agir avec courage et responsabilité, tout cela dans l’intérêt général du peuple.
Daouda DOUMBIA