Transition au Mali : Vers la prorogation des militaires au pouvoir

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Décidément, on voit les militaires venir. Les 9 mois restants ne sont pas tenables pour l’organisation des élections au Mali. C’est en substance ce que l’on peut retenir des propos des soutiens au président de la Transition, le colonel Assimi Goïta.

Cette déclaration vient corroborer l’attitude de la soldatesque malienne, qui laissait déjà planer le doute sur la tenue, à bonne date, du scrutin au motif qu’il faudrait tenir compte des « aléas » même si lesdits aléas ne sont pas clairement identifiés. Ces sorties qui sonnent comme des ballons d’essai traduisent clairement les intentions des boys de Kati de jouer les prolongations à la tête de l’État malien. Et à dire vrai, le coup d’État contre l’ex-président Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane, au prétexte qu’ils ont  commis des erreurs, est à inscrire dans ce scénario pré-écrit de pérennisation du colonel Assimi Goïta et de ses frères d’armes au sommet de l’État malien. Les discours comme « la rectification de la trajectoire de la Transition » ou les débats entre pro-russes et pro-français ne sont que de l’ocre pour enrober cette ambition première des bérets verts depuis leur irruption sur la scène politique malienne en août 2020.

Assimi Goïta manœuvre en roue libre en comptant sur le soutien des organisations hétéroclites

L’actualité politique au Mali présage des rebondissements dans les prochains mois, dont l’un des conséquences pourrait entraîner la prorogation des militaires au pouvoir. Arrivé à la tête du pays en mai 2021 après avoir mis fin au pouvoir du président intérimaire, Bah N’Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane, le Colonel Assimi Goïta adoubé pour la continuité des 9 mois de transition restant, est soupçonné d’orchestrer des manœuvres visant à poursuivre son bail au-delà du délai imparti. Les déclarations de plusieurs associations hétéroclites publiées ces derniers temps, semblent accréditer cette thèse.

Pour nombre d’observateurs, « le fait d’autoriser ces mouvements indique clairement la volonté des militaires de prolonger la transition, en prenant pour argument que le travail attendu ne saurait être bâclé parce qu’on doit rester stricto sensu sur la poursuite d’une transition de 9 mois restants ». En d’autres termes, entre la fin du délai de la transition et l’organisation des élections, l’on s’achemine sur « un glissement » dont il est difficile de situer la durée exacte. Une quarantaine de partis de la classe politique dont Moussa Mara est le porte-parole à l’instar d’autres mouvements, n’excluent pas d’organiser des manifestations de protestation à travers le pays pour amener les militaires à respecter cette transition dans le temps et à publier dans les délais requis, un calendrier politique clair et précis.

Un discours partagé également par certains partis d’opposition, malgré la nomination du Dr Choguel, le leader du M5-RFP et figure de proue de l’opposition à la tête du gouvernement de transition. Il est à craindre que cette situation sociopolitique tendue au Mali ne conduise le pays dans l’impasse d’autant que des groupes armés mettent la pression sur le pouvoir en multipliant des attaques armées sur les civils.

Autre élément qui laisse croire que la transition s’annonce houleuse, c’est « le clair-obscur » entretenu par les militaires sur leur volonté de rester au pouvoir. Que ce soit à Bamako, la capitale que dans certaines chancelleries, il se susurre que les autorités de transition feraient feu de tout bois pour présenter une candidature lors de la prochaine élection présidentielle. Des soutiens recherchés notamment ailleurs et auprès des pays de la CEDEAO dont on espère que le sommet des chefs d’État prévu les jours prochains ouvrira un œil attentif sur la situation au Mali. Toujours dans le même sillage, un lobbying serait mené vers des pays voisin comme l’Algérie et des puissances occidentales dont l’entourage serait en voie d’adouber les militaires. Par ailleurs, dans les rangs des militaires, des tractations sont en cours pour « imposer » le moment venu le président de la transition comme candidat à l’élection présidentielle. Et cela, après qu’il aurait démissionné et passé le flambeau au président du CNT.

Pourtant, dans la charte et l’esprit de la transition au Mali de dix-huit mois, le président, le vice-président sont exclus de briguer la magistrature suprême. Et avec une démission probable du colonel Assimi, la voie serait ouverte à cette hypothèse.

Au regard des batailles ouvertes, larvées ou latentes, il serait imprudent en l’état actuel de déterminer ce qui se passera au terme des 9 mois de transition dirigée par les militaires.

En attendant, Assimi Goïta semble manœuvrer en roue libre en comptant sur le soutien du M5 auquel il a généreusement offert le portefeuille de la Primature. Ce dernier qui se plaignait de n’avoir obtenu que la portion congrue dans le partage du gâteau qu’avaient opéré Bah N’Daw et Moctar Ouane, ne s’est pas fait prier en proposant Choguel Maïga comme chef du gouvernement.

C’est précisément ce consensus autour du pouvoir militaire qui inquiète au Mali. Et pour cause. En se mettant d’accord pour confier les destinées de la nation malienne à la soldatesque, la classe politique et les organisations de la société civile démontrent leur immaturité politique en prouvant qu’elles n’ont pas une claire vision de leur responsabilité politique dans l’édification de l’État de droit au Mali et qu’elles sont en panne d’idées pour remettre le pays sur orbite. Et en cela, elles donnent raison à l’armée malienne qui pourrait ne plus se contenter de son rôle. Elles donnent surtout raison à Assimi Goïta qui peut se tailler une stature d’homme providentiel indispensable au bon fonctionnement de l’État. Toute chose qui pourrait le conforter dans ses manœuvres pour rester ad vitam aeternam à la tête de l’État malien.

Faut-il désespérer du Mali ?

D’où viendra le salut pour le peuple malien face à une classe politique qui n’est préoccupée que par ses propres intérêts ? Le Mali est-il condamné à revivre perpétuellement les mêmes tragédies de son histoire ? Autrement dit, faut-il désespérer du Mali ? Telles sont les questions que l’on peut se poser. Faute de réponses certaines, l’on peut se convaincre d’une chose : il n’y a pas de place pour un optimisme béat dans la capitale malienne.

Le béret vert, qui a assuré dans son discours d’investiture que le Mali tiendrait ses engagements, a promis de respecter le délai transitoire pourtant démentiel.

Quand on connaît l’immensité du chantier et l’état dans lequel se trouve aujourd’hui le Mali, ce serait en effet un véritable miracle si le nouvel homme fort parvenait à honorer ce deadline.

Ça devrait d’ailleurs être le seul objectif du colonel Assimi Goïta qui a pourtant promis, entre autres, de mettre en œuvre l’Accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali ainsi que les recommandations du dialogue inclusif, de changer la gouvernance, de réduire le train de vie de l’État.

À l’écouter égrener ses priorités, on croirait entendre un président démocratiquement élu en train de dérouler son programme quinquennal. Et l’on se demande s’il n’aurait pas été plus réaliste de se focaliser sur le chemin qui mène à des scrutins libres, transparents et consensuels plutôt que de vouloir tout embrasser. Il est vrai que l’État doit continuer de fonctionner malgré tout, mais tout de même…

En attendant, le Mali reste le Mali et l’on peut espérer qu’il surgira un grand « Mansa » comme Soundiata Keita ou Kankou Moussa pour libérer le pays de toutes les servitudes et lui donner tout l’éclat et le rayonnement international qui ont jadis été les siens.

Jean Pierre James

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