Tombouctou : SOS, le patrimoine culturel s’effiloche

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Un mausolée à Tombouctou, au Mali, en février 2016. SEBASTIEN RIEUSSEC / AFP

Tombouctou, située sur le fleuve Niger, a été fondée au 12ème siècle et  est devenue un important centre commercial au 15ème siècle. Cette année-là, la ville a acquis une proéminence en tant que capitale intellectuelle.

C’est au 16ème siècle, en particulier sous le règne de Askia El Hadj Mohamed, (14193-15128) que Tombouctou connut son âge d’or. Askia Mohamed fut un grand mécène des intellectuels et les chroniques historiques de la région, le Tarikh Al-Sudan et le Tarikh Al-Fattash le décrivent comme un chef pieux et cultivé qui écoute les conseils des intellectuels.

Les livres étaient une partie importante de la culture locale, les manuscrits étant copiés et vendus depuis un certain temps déjà. Rappelons que sous le mécénat de l’empire songhay, l’activité intellectuelle était florissante et les intellectuels de Tombouctou commencèrent à écrire leurs propres livres sur les thèmes religieux ou séculiers, en plus des commentaires sur des œuvres classiques. Au 16ème siècle, Tombouctou était aussi un centre de commerce des livres. Plusieurs écrivains d’alors, dont Léon l’Africain, ont fait des rapports très élogieux sur le commerce du livre dont ils furent témoins. Un trait caractéristique de l’élite intellectuelle était l’établissement des bibliothèques personnelles, passion qui persiste encore de nos jours. On raconte qu’Ahmed Baba (1556-1627), aurait dit que sa bibliothèque personnelle riche de plus de 1600 volumes était une des plus petites parmi les collections des intellectuelles de la ville.

Ce petit rappel historique était nécessaire pour montrer aux uns et aux autres ce que fut Tombouctou et pour comprendre le désastre culturel qui le frappe, à travers son histoire et sa  culture.

Patrimoine vandalisé : Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1988 pour sa valeur universelle exceptionnelle, le bien culturel de Tombouctou est composé de 16 mausolées et de trois mosquées datant du moyen âge. S’y ajoutent le paysage architectural de la Médina inscrit au patrimoine national ainsi que les manuscrits anciens.

En 2012, avec l’occupation qu’a connue les régions du nord du Mali, les islamistes armés ont vandalisé ce patrimoine. La communauté internationale, avec en tête l’UNESCO, a vigoureusement réagi à cette destruction inacceptable. Aussi, depuis 2013, a-t-elle entrepris une réhabilitation des sites saccagés. Les Nations Unies, à travers les résolutions 21 64 incluent dans le mandat de la MINUSMA l’obligation de protéger ce patrimoine. Une première dans l’histoire de l’organisation onusienne. C’est pour cette raison que la MINUSMA a réhabilité plusieurs bibliothèques de manuscrits, certaines mosquées. Elle est aussi impliquée dans la rénovation du monument El Farouk.

En outre, la convention du patrimoine mondial de 1972, ratifiée par le Mali fait obligation à notre pays de protéger ce patrimoine. Le non-respect de cette convention est considéré comme un crime puni par la loi malienne.

Malgré ces dispositions législatives et conventions internationales, et en dépit de tous les investissements consentis, à la fois, par l’Etat malien et l’UNESCO, le patrimoine culturel de Tombouctou tombe chaque jour un peu plus dans la décrépitude, sous l’œil impuissant de la mission culturelle.

Rues obstruées : Joint par téléphone, le directeur de cette mission, Alboukhary Ben Essaouti, dit avoir fait ce qui relève de sa compétence. D’abord, il a expliqué qu’il a adressé plusieurs appels à la municipalité de Tombouctou pour l’alerter à propos de la zone de protection des sites, notamment, les alentours immédiats des mausolées, lesquels sont entourés par des containeurs à essence,  avec souvent enfouissement à la base des murs de cuves à carburant.

Ensuite, les décharges spontanées d’ordures débordent jusqu’à l’intérieur de certains cimetières qui abritent des mausolées classés. Ce n’est pas tout. Des maisonnettes en tôles, des kiosques d’Orange money, des gargotes et autres échoppes obstruent totalement certaines rues de la Médina.

Face à ce constat alarmant, qui n’est ni plus ni moins une question de gouvernance, la mairie de Tombouctou peine à agir et les commerçants détaillants n’entendent pas déguerpir sans dédommagement. A qui donc la faute ? Autre temps, autres mœurs.

Les Tombouctiens (citoyens, responsables politiques et administratifs, notabilités, chefs traditionnels et religieux, ressortissants) sont interpellés pour sauvegarder des pans entiers de notre culture, de notre civilisation, de notre fierté.

L’Etat malien et l’UNESCO ont joué leur partition, il reste aux Tombouctiens de jouer la leur, en toute responsabilité, dans l’union et la cohésion qui ont toujours caractérisé le vive ensemble dans la Cité des 333 Saints.

El Hadj ChahanaTakiou

 

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