Timbuktu institute African Center for peace studies : Un Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique Au Mali, on n’a pas que perdu le nord (deuxième partie)

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Dans cette deuxième et dernière partie de cette Lettre mensuelle, l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique de TIMBUKTU INSTITUTE AFRICAN CENTER FOR PEACE STUDIES, aborde des points comme l’effervescence et les accointances sur le « front » du religieux, la dualité du champ islamique mal maîtrisée et le futur affrontement de trop lié à l’aggravation du radicalisme religieux dans notre pays.

 Effervescence et accointances sur le « front » du religieux

Les religieux en lutte d’influence sur le terrain malien déroutent un Etat impuissant face à la montée de la radicalisation sur fond de surenchère politique. La dualité du champ religieux malien cache un affrontement en douceur lorsque l’ambiance délétère n’est pas surchauffée par la guerre des sermons et nécessairement des imams. Les effets du paradoxe d’un champ islamique malien majoritairement traditionnel et soufi mais politiquement et institutionnellement dominé par le courant wahhabite commence à faire sentir ses effets.

Les séquelles de l’accointance entre courants islamistes et l’establishment politique suite au deal électoral de 2013 paraissent aujourd’hui béantes. Pourtant, le feu a longtemps couvé pendant qu’on est resté obnubilé par l’impératif de la stabilisation, même de façade. On n’ignorait pas pour autant les dangers d’un pouvoir politique cautionné par un camp wahhabite s’agrippant sur un gentleman agreement dont l’improbable survie relevait même de l’idéalisme. Pendant que l’installation d’un pouvoir démocratiquement élu rassurait bailleurs et partenaires internationaux, rien ne changea sur le front des luttes sociales menées par la société en faveur des droits des femmes et d’une plus grande plus grande transparence dans la gestion des affaires. Finalement, le wahhabisme, virtuellement dominant, au sein du Haut Conseil islamique dirigé par l’Imam Mahmoud Dicko se mua en allié d’un pouvoir donnant l’impression de maîtriser une situation plus que complexe. De la même manière que les erreurs politiques se payent cash, les alliances électorales souvent hétéroclites – entre partis politiques et mouvements religieux coûtent chers aussi bien à la classe dirigeante qu’au progrès social vainement attendu après les élections présidentielles.

Dans cette forme de realpolitik qui pousse à vouloir, coûte que coûte, honorer l’allié religieux sans décevoir les partenaires internationaux, on sacrifice les revendications des femmes, de la société civile, des jeunes, sur l’autel de la raison « politicienne».

 

Une dualité du champ islamique …mal maîtrisée ?

Ainsi, sans forcément le vouloir, on renforce l’aile religieuse la plus extrémiste qui engrangea victoires et avancées au détriment des groupes et interlocuteurs qui incarnent un islam pacifique et conciliant comme le Cheikh Ousmane Madani Haïdara. A la marginalisation au sein des instances décisionnelles de l’islam malien, s’ajoute une amertume encore mal digérée, suite à des mesures sécuritaires prises perçues, par l’aile traditionnelle comme une entrave bienveillante au déroulement des activités du soufisme. Ce fut le cas lors de la célébration du Maouloud qui a failli être compromise par l’Etat d’urgence au moment où le camp soufi semble se rebiffer pour mieux peser et compter sur l’échiquier politico-religieux malien en pleine effervescence.

Les signes inquiétants se suivent et se ressemblent. Le grand stade de Bamako qui a servi de cadre aux « shows » islamistes de 2009, dirigés par Mahmoud Dicko, contre la promulgation du code de la famille, devient le « défouloir » des groupes soufis autour de Madani Haïdara qui multiplient les démonstrations de force. Au milieu de ce guet-à-pans politico-religieux, le pouvoir continue de se chercher au risque de se retrouver dans les mêmes situations de blocage ayant abouti aux fâcheuses conséquences de 2012. Est-ce donc le résultat d’une gestion hasardeuse du religieux par un pouvoir laïc ne serait-ce qu’en principe ? Ou alors l’aboutissement d’une politique ayant délibérément pris le risque de s’accommoder des désidératas d’un allié religieux aux ambitions diffuses, devenu de plus en plus encombrant ?

Les derniers épisodes d’un tel thriller sont riches en enseignements comme en signaux indiquant que le rapport de force semble avantager les religieux. Les prises de position de certains leaders lors des attentats contre le Radisson de Bamako sont passées par là et ont levé un coin du voile. On ne saura jamais si le Procureur général Daniel Tessougué a fait les frais d’une interpellation de l’Imam Dicko en étant limogé suite à des déclarations de ce dernier que certains avaient qualifié d’apologie du terrorisme.

Cet incident avait même provoqué une déclaration du président malien allant dans le sens d’un apaisement mais aussi d’un difficile arbitrage : “Je réprouve totalement ces déclarations inappropriées. Ces propos ne sont ni les miens ni ceux du peuple malien. Le monstre hideux qui a frappé à Paris et à Bamako a le même visage. Seule la solidarité internationale permettra de le terrasser. Ce que dit M. Dicko n’engage que lui ».

Equilibrisme ou esprit de conciliation ? Mais la recette pourra-t-elle constamment payer ou sera-t-elle efficace lorsque qu’on passe des controverses et querelles doctrinaires entre mouvances religieuses à une situation plus que propice à l’affrontement ?

Vers le futur affrontement …de trop ?

Il y a, aujourd’hui, autant de signes d’une tension dans un contexte d’aggravation du radicalisme religieux pour un pays ayant été déjà affecté par le djihadisme conquérant. Pendant ce temps se déroule un choc des modèles religieux entre un wahhabisme confortablement installé au présidium du Haut Conseil islamique et un soufisme de plus en plus militant aux attitudes désormais surprenantes. Une telle situation inquiète en ce qu’elle augure d’une confrontation future et déjà présente dans les mosquées de Bamako par prêches interposés et de plus en plus virulents.

Le scénario du pire et non moins probable serait une radicalisation par réaction de l’islam traditionnel qui a longtemps servi de levier d’équilibre dans un pays de plus en plus fragilisé par une crise sécuritaire qui dure. Par une sorte de surenchère qui serait inédite cet islam soufi tendrait à vouloir s’affirmer sur le terrain de la contestation aussi bien de l’hégémonie virtuelle du salafisme wahhabite que de la classe politique qui semble en être inconsciente.

Le Mali est loin de sortir de la crise politico- sécuritaire qui le ronge depuis 2012 et voilà que des signes avant-coureurs d’une éruption socioreligieuse viennent assombrir les perspectives d’une paix ne serait-ce que temporaire. Les acteurs religieux vivent les contradictions sociopolitiques qui traversent le Mali de manière générale et se prêtent à un jeu de concurrence et de surenchère aux dérives imprévisibles. Conjuguée aux nombreuses difficultés qui entravent l’application des accords de paix qui se superposent et se ressemblent par leur complexité, cette nouvelle donne inaugurée par l’élargissement et le glissement vers le Sud du front jihadiste, complexifie, davantage, tous les schémas de résolution à moyen et à long termes de la profonde crise qui perdure. Au milieu de cet imbroglio politico-sécuritaire, la réinsertion des anciens combattants rebelles, l’intégration de certains d’entre eux dans les forces nationales comme le processus de réconciliation que l’ONU voudrait accélérer se heurtent, encore, à de nombreux écueils.

Source : Observatoire des Radicalismes et conflits religieux en Afrique

 

Encadré

L’Observatoire en quelques lignes

L’Observatoire des Radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) est fondé en 2012 par Dr. Bakary Sambe en pleine crise malienne pour accompagner les Etats, les ONG et les organisations internationales dans la prise de décision, la conception et la mise en de politiques publiques efficientes. Abrité au sein de Timbuktu Institute African Center for Peace Studies, l’Observatoire travaille selon une méthodologie lui permettant d’aller au-delà de la recherche fondamentale par notamment: l’élaboration de méthodologies et approches transdisciplinaires des questions sur le radicalisme religieux (sécurité, défense, diplomatie), mise en place d’outils de mesure et d’analyse de phénomènes de radicalisation dans les sociétés africaines contemporaines, la conduite de projets de recherche en collaboration avec d’autres institutions s’intéressant à ce phénomène. Il se positionne de ce fait comme le lieu de production de connaissances endogènes dans une démarche, à la fois, d’opérationnalisation des savoirs mais aussi de renforcement des capacités des acteurs étatiques comme des organisations internationales. Dans cette perspective, l’Observatoire produit de l’expertise mobilisable dans les politiques gouvernementales, régionales et internationales et mène des actions de formation et de plaidoyer dans le domaine de la médiation et de la prévention de l’extrémisme violent.

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