En début d’année, les vives inquiétudes quant à la dégradation de la situation dans le Nord malien ont très vite laissé place à l’espoir et au soulagement. En l’espace de quelques heures, la situation qui était à l’avantage des jihadistes s’est renversée de manière spectaculaire comme prouvé que la vérité et la justice finissent toujours par triompher. Néanmoins, nous devons faire recours au droit d’inventaire, faire le bilan des actes positifs et surtout négatifs du passé. Une remise en question s’impose. Tout malien doit dorénavant changer sa manière de penser. Se soucier de l’intérêt général plutôt que de sa propre personne, tel doit être le crédo de tout bon citoyen malien.
Comment doit-on comprendre la crise malienne ? Devons-nous, uniquement, la traiter sous l’angle de la mauvaise gouvernance ? Est-ce la conséquence de l’intervention militaire occidentale en Lybie ? Autant de questions que l’on est en droit de se poser. Un proverbe de chez nous tranche : plutôt que de s’en prendre l’endroit où l’on est tombé, il accuser d’où l’on a trébuché. Autrement dit, lorsqu’on fait face à un péril, la critique commence d’abord par soi-même.
Il est indéniable qu’à l’avènement de la démocratie dans notre pays, la corruption, le népotisme et le clientélisme ont connu une fulgurante propagation. Autrefois, restreints aux proches du président Moussa Traoré, après sa chute, c’est l’ensemble des Maliens qui sont touchés par ces fléaux. Peu à peu, la liberté a laissé place au laisser-aller et à l’anarchie. Désormais, tous les moyens sont bons pour gagner de l’argent. Un système d’enrichissement illicite se met en place au plus haut sommet de l’Etat. Toutes les structures étatiques sont contaminées par le virus ainsi que le secteur privé malien.
L’actuel ministre de la Justice, à propos de la lutte contre les pratiques illicites d’enrichissement a trouvé une habile formule : “Sous Modibo Kéita, le Malien avait honte de voler. Sous Moussa Traoré, le Malien avait peur de voler. De nous jours, le Malien n’a ni honte ni peur de voler”.
Il est très difficile d’accuser uniquement les dirigeants politiques d’autant plus que la détérioration de notre pays s’est faite sous nos yeux. Nous étions tous au courant que l’Etat malien de l’après-révolution s’était bâti sur de fausses valeurs. Cette révolution pour laquelle tant de Maliens ont consenti des sacrifices énormes. Nous voulions la liberté, la justice sociale et le développement de notre pays. Vingt après, les valeurs pour lesquelles cette révolution a été menée ne se retrouvent-elles pas à terre ? Usurpée, a été la révolution par nous Maliens.
Les conséquences de vingt ans de mal gouvernance, de corruption massive à toutes les échelles et aussi à notre passivité nous ont sautés en plein figure avec l’éclatement de la crise malienne. Stupéfaits, nous découvrons que l’armée malienne qui a toujours été notre plus grande fierté dans la sous-région n’existe pratiquement pas, que la situation économique n’est pas si reluisante que l’on voulait nous faire croire, que la majeure partie de l’aide financière provenant des partenaires techniques et financiers est détournée vers des destinations inconnues…
L’existence même de notre pays a été sérieusement menacée par les conséquences de la mal gouvernance. Heureusement que la baraka de nos ancêtres règne. L’initiative des jihadistes qui ont occupé pendant près d’une année les 2/3 de notre territoire, commettant les pires exactions sur les populations locales, de lancer une offensive vers le Sud a marqué le début de leur chute.
La France de Hollande, à la demande du président malien par intérim, intervient militairement au Mali. Dans un premier temps, un coup d’arrêt est donné à l’avancée des terroristes. Ensuite, le dispositif militaire français ne cesse de monter en puissance. L’opération Serval entre en scène. En l’espace de 24 h, la position de force change de camp. Au bout de deux mois, le territoire nord malien est libéré.
Dans un formidable élan de solidarité, le soutien de la communauté est acquis. Mercredi dernier, plus de 3 milliards d’euros ont été promis pour le Mali. La balle est désormais dans notre camp. A nous de lui prouver que nous sommes dignes de l’attention qu’elle nous porte. Le premier défi énorme qu’il va falloir relever, c’est l’élection présidentielle dont le 1er tour est prévu pour le 28 juillet prochain. Bien qu’elle se tienne pendant une période délicate, le taux de participation doit atteindre un niveau jamais égalé. Ni la pluie, ni les travaux champêtres, ni le jeûne ne doit nous empêcher d’user de notre droit de vote.
Certes, dans la crise malienne, les Occidentaux ont une part de responsabilité à cause de la guerre inachevée en Libye, mais elle n’aurait jamais atteint un tel seuil de gravité si nous avions fait ce qu’il fallait durant les vingt dernières années. Nous venons de loin et afin qu’une telle crise ne puisse jamais se répéter, il est nécessaire de tirer les leçons du passé.
Nous devons prendre conscience du fait qu’il faut un changement de mentalité et de comportement pour aller de l’avant. Certains affirment que, vue l’immensité du chantier qu’il est très difficile de mettre fin à la corruption qui a gangrené le pays. Qu’ils sachent que ceci n’est pas une excuse pour laisser le Mali sombrer. Nous avons tous le devoir de contribuer à la construction nationale.
“Ce n’est pas parce que la chose est difficile que nous n’osons pas mais parce que nous n‘osons pas que la chose est difficile”, disait un grand philosophe grec.
Ahmed M. Thiam