Solidarité interprofessionnelle : La Fondation Passerelle de Rokia Traoré tend la main aux artistes déplacés du nord

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Harcelés par des pseudos islamistes, beaucoup d’artistes du nord (Tombouctou, Gao et Kidal) qui ont trouvé refuge dans de nombreuses villes non occupées, notamment à Bamako. Ils sont nombreux dans la capitale où ils vivent généralement un vrai calvaire au quotidien.  Une situation aggravée par l’Etat d’urgence qui a mis en berne les manifestations socioculturelles.

 

 

Consciente de la précarité dans laquelle vivent ses sœurs et frères de scène, Rokia Traoré leur a fait un généreux clin d’œil au début de ce mois de juin. En effet, la Fondation Passerelle de la jeune artiste a recensé une quinzaine d’artistes déplacés du nord auxquels une enveloppe symbolique (35. 000 FCFA chacun) a été remise en toute humilité et discrétion. «C’est une somme très modeste pour juste prouver à ces artistes que nous ne les oublions pas et que nous sommes conscients de leurs difficultés», souligne Mme Fatim Traoré dite Bakôrô, directrice de la Fondation Passerelle. Elle a été appuyée dans cette mission par Moussa Koné, artiste (guitariste, manager…) et animateur à la Maison des jeunes de Bamako. Mais, pour les bénéficiaires, c’est le geste qui compte. Et ils n’ont pas caché leur joie lors de la cérémonie de remise. À l’image de Boubacar Sabane Touré, ils ont manifesté leur joie par des chants et des danses. Et pour eux, c’est surtout le geste qui compte. «Je suis tant ému et heureux que les mots me manquent pour qualifier ce geste à sa juste valeur. En tant que doyen des artistes déplacés du nord ici, je dis en leur nom merci à Rokia et à sa Fondation Passerelle pour ce geste précieux et opportun qui nous va droit au cœur. Ce n’est pas le montant qui est important à nos yeux, mais le geste fait dans la discrétion, cette volonté de nous aider à vivre dans la décence et ne pas sombrer  dans l’oubli. Ici, nous sommes très émus que l’un des nôtres ait pensé à nous», a déclaré Amadou Maïga dit Papa Sidi, musicien-comédien. «Ce geste est très significatif parce qu’il relève de la solidarité interprofessionnelle. Nous avons un moment pensé que nous étions oubliés et abandonnés de tous, surtout de nos sœurs et frères artistes. Mais, Rokia vient de prouver le contraire. Si toutes les stars de la musique malienne avaient le même réflexe, je suis sûr que cela nous aidera beaucoup à surmonter les épreuves auxquelles nous faisons face depuis plus d’un an», a ajouté un bénéficiaire ayant requis l’anonymat.

 

 

Pour mieux comprendre l’émotion de ces 15 artistes, il faut surtout connaître les conditions dans lesquelles ils ont quitté leurs domiciles et la situation dramatique dans laquelle ils vivent dans la capitale. «J’ai quitté Tombouctou dans des conditions atroces», se rappelle Mahalmadane Elhadj, guitariste. «Les islamistes ont brûlé nos instruments. La seule guitare que j’avais chez moi n’a pas été épargnée. Nous n’étions plus autorisés à faire de la musique. Nous n’avions donc d’autres choix que de quitter et nous réfugier à Bamako ou dans d’autres villes libres de toute occupation islamiste», ajoute-t-il.

 

 

Des collaborations en vue

«J’ai été contraint de rejoindre des amis à Bamako parce que les islamistes ne cessaient de harceler les artistes», explique Baby Matalla, chanteur du Djaba régional de Tombouctou. Marié et père d’une famille nombreuse, Papa Sidi rappelle : «J’ai été chassé de chez moi avec toute ma famille qui est actuellement à Ségou où je vais fréquemment. Ce n’est pas facile de vivre dans la capitale et de m’occuper de ma famille à Ségou. C’est pourquoi ce geste de Rokia Traoré est un immense réconfort pour moi». «Je me suis déplacée avec toute ma famille, environ 21 personnes. Nous avons donc pris deux maisons en location. Avec l’Etat d’urgence, les manifestations artistiques sont en berne et je ne parviens plus à assurer la location», déclare Mme Tandina Bintou Garba Djitteye, auteur-compositeur. La cantatrice Yattara Bintou Aljoumatt indique aussi avoir été contrainte de quitter Gao car, «les éléments du MUJAO ont brûlé nos instruments. Je ne me sentais donc plus en sécurité avec ma famille. Ce qui m’a poussé vers la capitale où je me sens en sécurité avec l’assurance de pouvoir exercer mon métier d’artiste. Mais, la vie n’est pas non plus aisée ici parce que nous sommes en chômage à cause de l’Etat d’urgence».

 

 

Pour la directrice de la Fondation Passerelle, Fatim Traoré dite Bakôrô, «l’une de nos missions, en dehors de soutenir les jeunes artistes à émerger, c’est aussi d’assister les artistes dans le besoin». Pour elle, cette opération n’est qu’un début. «Rokia ne compte pas s’arrêter là. Elle envisage une collaboration avec certains de ses artistes. Elle souhaite aussi les appuyer à réaliser leurs projets de production d’œuvres artistiques. Nous avons déjà reçu quelques maquettes qui vont être bientôt soumises à des spécialistes…», ajoute Bakôrô, une amie d’enfance de la jeune star qui sillonne actuellement le monde pour la promotion de son nouvel opus «Beautiful Africa».

 

 

Il faut souligner que la Fondation Passerelle a été portée sur les fonts baptismaux par la Rossignole du Bélédougou afin d’apporter sa «modeste contribution» à l’amélioration de la situation des artistes et à la promotion de la musicienne malienne. Elle a aussi pour but de soutenir le processus d’organisation et de développement de l’économie de la musique et des arts de la scène au Mali. «En plus des conséquences néfastes de la situation internationale du disque, les industries musicales au Mali sont aujourd’hui entravées par des pratiques qui se sont développées en raison d’un manque de vigilance lors du passage d’un système traditionnel basé sur une organisation purement sociale et non directement commerciale de la production et la diffusion de la musique, à un système moderne basé sur le principe d’économie», expliquait Rokia au lancement de sa fondation. L’organisation des industries musicales au Mali consistera en l’élaboration (à partir des normes internationales et des besoins des artistes maliens) d’un fonctionnement spécifique à une société malienne dans laquelle la musique demeure un important vecteur d’éducation, tout en subissant une économie fortement entravée par les conséquences de la tradition de gratuité, a priori, du travail artistique. Un immense défi qui n’est pas pour autant au-dessus de la volonté et de l’engagement de Rokia.

 

Alphaly

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