Au Mali, «on est ensemble» n’est pas une expression vide de sens

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La semaine dernière, quelques heures avant de prendre l’avion qui allait l’emmener vers Bamako, mon cher ami Habib, Guimba national, m’a fait cadeau de deux de ses livres. Le soir même, je plongeais dans la lecture de «Un Artiste dans la Cité». Les mots de celui qui peut nous faire rire aux éclats aussi bien que nous faire pleurer m’ont immergée dans un monde que je côtoie et que j’aime depuis des années, sans le vivre de l’intérieur.

 

 

Le mirage de l’Occident, que beaucoup d’Africains voient flotter au dessus de la difficulté à survivre au pays, se transforme en fol espoir quand ils foulent, enfin, le macadam des rues de Paris. Mais, la triste réalité de l’immigration leur saute vite au visage. Le logement, les papiers, la recherche d’un travail, les nouvelles à donner à la famille pour ne décevoir personne, le décalage des mentalités, la perte de la dignité quand on n’est plus qu’un étranger dans l’immensité et l’anonymat de la ville, la difficulté de l’Africain dans ce monde de blancs. Cette lecture m’a renvoyée à mon propre décalage lors de ma toute première découverte du Mali, de Bamako à la plaine Dogon. Je découvrais la vie quotidienne au sein d’une famille malienne, dont le fils aîné était l’un de mes collègues à Paris. Je ne connaissais rien de cet accueil qui fait de chaque hôte un frère, de chaque invitée une sœur à qui on propose un verre d’eau, une douche et un repas, dès son arrivée. Je voulais partager la vie de ces hommes et ces femmes qui me fascinaient depuis longtemps. J’ai eu la chance de les accompagner aux champs. Ils m’ont fait confiance. Tôt le matin, je suis partie avec le monsieur et les enfants en âge d’aider, assise sur la charrette. J’ai cultivé le petit mil, quelques heures. Mais, le soleil et la dureté du travail ont eu raison de ma piètre résistance de blanche. La maman est arrivée, la grande marmite sur la tête, et son plus jeune enfant au dos, il était l’heure de déjeuner. Ils ont compris qu’il me faudrait un peu de temps pour reprendre les forces que la chaleur et le labeur m’avaient dérobées. Le chemin pour revenir jusqu’à la concession m’a paru long et difficile. Ma vaillante sœur malienne, attentive aux difficultés que je croyais bien cacher, s’arrêtait régulièrement à l’ombre, sous prétexte de laisser jouer les enfants. Le soir, les seaux d’eau fraîche que ses filles et elle m’avaient apportés m’ont définitivement remise en forme. Ce n’est que le lendemain que j’ai compris qu’elles avaient parcouru plusieurs kilomètres pour aller les puiser. Il nous faut du temps pour comprendre l’autre, pour nous enrichir de la culture de l’autre. Il nous faut du temps, parfois des années, pour savoir ne plus trop choquer par notre éducation occidentale, et juste nous asseoir et écouter la culture africaine, paisiblement égrainée sous un arbre, dans un salon, ou dans un grin. Il faut du temps, beaucoup de chance, et de nombreuses belles rencontres, pour comprendre que le récit des batailles a été écrit par les chasseurs, et non par le gibier traqué. Quand on a pris tout ce temps, on devient autre, conscient, bien sûr, que le séjour dans l’eau ne transforme jamais le tronc d’arbre en crocodile, et ce n’est la prétention de personne. On ne se renie pas, non, on voit la vie autrement. On a été enrichi par l’autre, par ses pratiques, ses valeurs, qui ont parfois étonné au début, mais qui sont celles que tous les êtres humains devraient partager. Le plus bel exemple est celui qui fait la base des relations socioculturelles maliennes. Faire intervenir l’autre quand le dialogue semble bloqué. C’est une pratique malheureusement assez lointaine de nous, Occidentaux. Nous baignons plutôt dans «ce ne sont pas mes affaires, je ne me mêle pas de ce qui ne me regarde pas». J’ai eu souvent l’occasion d’être prise à témoin par des amis maliens qui me demandaient de donner mon avis. Cela me mettait mal à l’aise, vraiment. J’étais envahie par notre crainte habituelle de prendre partie. Je ne comprenais pas que ce n’était pas ce qu’on me demandait. Je devais juste aider chacun à mieux entendre les arguments de l’autre. Je le sais maintenant. J’ai moi-même usé de cette pratique, il y a quelques mois, alors que j’étais à Bamako. L’incompréhension s’était installée au téléphone avec mon meilleur ami malien, à Paris. C’est à la sagesse de Guimba national que j’ai fait appel, lui qui nous connaît si bien. Je le remercie d’avoir su nous réconcilier. Voir deux amis se disputer dans la tradition du Sanankouya est un plaisir, les voir fâchés n’est pas tolérable, et cela devient une affaire de grande famille, une affaire malienne. Il faut du temps pour comprendre tout ça. Il faut du temps pour comprendre que «on est ensemble» n’est pas une expression vide de sens au Mali. C’est l’expression qui a permis à toutes les Maliennes et tous les Maliens de survivre à l’ouragan qui a balayé le pays, du septentrion aux collines de Bamako. La nuit des «étoiles» ne doit pas occulter l’importance de l’aube prochaine, car, stabilisation, sécurité, réconciliation et intégrité du territoire sont ce que ce «on est ensemble» signifie pour chaque Malienne, pour chaque Malien. Et, j’en suis certaine, la sagesse des uns raisonnera la fougue des autres.

 

 

Françoise WASSERVOGEL

 

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6 COMMENTAIRES

  1. Voici une véritable amie du Mali, comme quoi il ne faut confondre le peuple français à l’Etat français. Merci Françoise pour ton article qui vient à point nommé et qui invite au dialogue puisé dans nos traditions, cet article doit être diffusé de façon optimale.

    • Merci Diarra ! En effet, nulle part, on ne doit confondre peuples et gouvernements/Etats. C’est avec nos impôts que nos Etats agissent, donc une vigilance citoyenne est OBLIGATOIRE. Mais ils ne nous demandent pas notre avis quand ils utilisent le budget de “l’état” ! On est ensemble !

  2. Merci chère Françoise, de nous enrichir de ton expérience malienne. Il y aura un point de remarque : le quotidien du Mali n’est pas un schéma en miniature de toute l’Afrique, mais je sais bien que tu le sais déjà ! C’est pour les autres Occidentaux qui assimilent l’Afrique à “un pays homogène”… L’Afrique étant diverse, les situations des Africains en Europe est également diverse. Intégration, Assimilation, Communautarisation, Juxtaposition, etc entre Africains et Européens pour “mieux vivre ensemble” ? Aucun modèle occidental n’a réussi réellement dans cette équation humaine à plusieurs réponses. Moi je crois à trois mots pour réussir le vivre ensemble : respect, solidarité et fraternité.

    • Merci chère Françoise, de nous enrichir de ton expérience malienne. Il y aura un point de remarque : le quotidien du Mali n’est pas un schéma en miniature de toute l’Afrique, mais je sais bien que tu le sais déjà ! C’est pour les autres Occidentaux qui assimilent l’Afrique à « un pays homogène »… L’Afrique étant diverse, les situations des Africains en Europe sont également diverses. Intégration, Assimilation, Communautarisation, Juxtaposition, etc entre Africains et Européens pour « mieux vivre ensemble » ? Aucun modèle occidental n’a réussi réellement dans cette équation humaine à plusieurs réponses. Moi je crois à trois mots pour réussir le vivre ensemble : respect, solidarité et fraternité.

    • En effet, Emmanuel, l’Afrique n’est pas “un pays homogène” !
      Nous devons tous tendre vers le “on est ensemble ” de l’Humanité, chacun avec ses spécificités, ses richesses culturelles, c’est ce qui nous fera avancer vers un monde juste, du Nord au Sud, de l’Ouest à l’Est !

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