Situation sécuritaire au nord-Mali : La voix d’intellectuels, hommes et femmes de culture

1

Face à l’extrême gravité de la situation sécuritaire au nord de notre pays, un groupe d’intellectuels, hommes et femmes de culture, a décidé d’apporter sa contribution à la recherche de solution à cette crise. Le 9 février dernier, réuni autour d’Aminata Dramane Traoré, le groupe était face à la presse à l’espace Djenné. Pour l’historien, Jean Bosco Konaré, c’est une prise de conscience collective d’un groupe d’intellectuels, hommes et femmes de culture qui veut apporter son expertise à la recherche de solution aux grandes questions de la vie de la nation. Selon Adama Samassékou, l’un des membres du groupe et ancien ministre de l’Education de base, la gravité de la situation impose la mobilisation de tous les fils de la nation. Au cours de la conférence de presse, le groupe a lu une déclaration dite «  Déclaration d’intellectuels, hommes et femmes de culture sur la rébellion au Nord-Mali ». Compte tenu de l’importance de ce document, nous vous le proposons en intégralité.
Etat des lieux

Comment comprendre la rébellion armée qui, aujourd’hui, endeuille le Mali et condamne des dizaines de milliers d’innocentes et d’innocents à l’insécurité et au déplacement forcé, lorsqu’on ne veut pas s’en tenir au schéma réducteur du conflit ethnique ?
La rébellion qui a débuté le 17 janvier 2012 crée dans notre pays une situation de guerre civile.
L’heure est grave : l’intégrité du territoire national et la cohésion sociale sont aujourd’hui menacées.
L’honnêteté intellectuelle et la rigueur qu’exige la gravité de la situation actuelle du Mali imposent de lire cette rébellion à la lumière du système mondial et ses crises.
Les réformes structurelles mises en œuvre à partir de la décennie 80 en vue de corriger les dysfonctionnements du modèle néolibéral, n’ont pas atteint les objectifs visés en terme d’amélioration des conditions de vie des populations, notamment l’accès à l’alimentation, l’eau, l’éducation, la santé et l’énergie domestique. Ce constat, qui est valable pour l’ensemble du pays, revêt des conséquences particulières au Nord.

Enjeux
Le Nord-Mali se caractérise par l’extrême complexité des enjeux géopolitiques, économiques et stratégiques, sans la compréhension desquels aucune paix durable n’y est envisageable.
Le septentrion malien a souvent été le théâtre de soulèvements d’une partie de la population qui revendique son autonomie par la voie des armes. Tous les régimes coloniaux et postcoloniaux ont été confrontés à cette situation. De l’indépendance à ce jour, les réponses de l’Etat, qui ont été à la fois militaires, politiques et socio-économiques, n’ont pas pu y instaurer la paix sur une base durable.
La mauvaise gestion, le clientélisme et la corruption que l’on relève dans la gestion des affaires publiques, exacerbent les frustrations et le sentiment d’exacerbent d’exclusion à l’échelle du pays sans pour autant justifier la violence armée dans les autres régions.
Par ailleurs, la manière de gérer la libération des otages occidentaux a conforté AQMI dans la création au Mali d’un sanctuaire au liaison avec le terrorisme international.
Nous sommes dans un processus programmé de désintégration de l’Etat et de cristallisation des identités ethniques et régionalistes. De ce point de vue, nous questionnons même la genèse de l’appellation « régions du Nord »
N’y a-t-il pas une volonté d’affaiblir des Etats de la CEDEAO et l’organisation elle-même ?
N’allons-nous pas vers une résurgence du vieux projet de l’organisation des Etats riverains du Sahara (OERS) ?
Après le découpage du Soudan, nous sommes en droit de nous interroger sur l’intention des pays de l’OTAN de procéder à une nouvelle balkanisation de l’Afrique. Ne sommes- nous pas de fait en présence d’un processus de dépossession des ressources agricoles et minières africaines, qui constituent aujourd’hui une partie importante des réserves mondiales pour la relance de la croissance économique globale ?
De l’approche globale que nous privilégions, il ressort que l’issue à cette guerre fratricide récurrente n’est ni militaire, ni financière mais politique, économique, sociale, culturelle et diplomatique.
Face à cette situation :

Nous, intellectuels, hommes et femmes de culture du Mali, signataires de ce document déclarons que :
–    L’intégrité du territoire, l’unité nationale et la cohésion sociale du Mali sont des acquis sacrés
–    Le septentrion n’est pas une planète à part, mais bel et bien une région du Mali, particulièrement vulnérable, qui n’en a pas moins subi les politiques néolibérales qui ont aggravé les inégalités, les injustices, la corruption et l’impunité. De Kayes à Kidal, les Maliens paient cher pour le dépérissement de l’Etat que nous voulons plus responsable, comptable et souverain,
–    La paix véritable et durable dans le Nord de notre pays et sur l’ensemble du territoire, est au prix d’une nouvelle compréhension de la situation du Mali et de la bande Sahélienne qui intègre les enjeux sous régionaux et mondiaux,
–    Nous réfutons le discours réducteur de la guerre ethnique ;
–    Nous déplorons le déficit de communication et de dialogue sur les causes internes et externes des questions majeures qui engagent le destin de la nation ;
–    Nous condamnons le recours à la violence armée comme mode de revendication dans un contexte démocratique et déplorons les pertes en vies humaines ;
–    Nous soutenons résolument nos forces armées et de sécurité dans leur mission sacrée de défense du territoire national ;
–    Nous sommes Un Seul et Même Peuple, uni par une longue histoire multiséculaire de rencontres, de brassages et de résistances à l’adversité ;
–    La paix s’impose d’autant plus que les femmes et les enfants sont pris dans l’étau dans un conflit qui n’est pas le leur ;
–    Les élections de 2012 sont donc une occasion historique de renouveler la réflexion sur un projet de société adapté à nos réalités, davantage fondé sur la culture de l’être et des relations humaines à même de garantir la prospérité, la paix, la stabilité et la sécurité pour tous.
Nous signataires de la présente déclaration, présentons nos condoléances les plus attristées aux familles des victimes et à toute la nation malienne. Nous exprimons notre solidarité à toutes les familles déplacées victimes de violences.

Bamako, le 07  février 2012

Signataires

Aminata Dramane Traoré, Essayiste
Abdoulaye NIANG, Socio-Economiste
Adama Samassékou, Linguiste
Filifing Konaté, Anthropologue
Hamidou Magassa, socio économiste
Ismail Diabaté, artiste peintre
Jean Bosco Konaré, historien
Mohamédou Dicko, historien
Mariam Kanakomo, communicatrice
Ousmane Traoré, adminstrateur civil, juriste
Doumbi FAKOLY, Ecrivain
Kaourou Doucouré, Universitaire
Adberhaman SOTBAR, Professeur
Cheick Pleah, Professeur
Mohamed Coulibaly, Ingénieur
Abdoul Madjidou Hassan, Gestionnaire
Mahamadou H Diallo, Imam
Boubacar Coulibaly, Gestionnaire
Mme Sissoko Safi Sy, CAHBA
Mme Touré Alzouharata, Gestionnaire
Mme Awa MEITE VAN TIL, Désigner
Dr Daba Coulibaly, Enseignant chercheur

Commentaires via Facebook :

1 commentaire

  1. “Après le découpage du Soudan, nous sommes en droit de nous interroger sur l’intention des pays de l’OTAN de procéder à une nouvelle balkanisation de l’Afrique.” Alors, les intellos, aidez-moi à comprendre : nierez-vous vraiment au Sud-Soudanais le droit de l’autodétermination ? Devaient-ils rester dans une pays dont le gouvernement essaie de les anéantir ? Ne serait-il pas possible que les événements qui se produisent sur le continent africain ne soient pas les résultats des complots néfastes imposés par l’extérieur ? Enfin, croyez vous toujours à la sorcellerie géopolitique ?

Comments are closed.