L’ancien Consul honoraire du Mali à Barcelone, José Luis Lopez Fernandez, est au cœur d’une rocambolesque affaire de blanchiment d’argent en Espagne. Jusqu’à la révocation récente, en mai 2022, de ce mastodonte de la diplomatie malienne, l’État du Mali se faisait représenter par un homme dont l’intégrité morale est contrastée du fait de ses connexions avec un trafiquant de drogue de renom, reconnu à l’échelle du globe. Des documents secrets de la police espagnole permettent de lever le voile sur les contours d’opérations financières secrètes savamment orchestrées sous le manteau de la diplomatie et au détriment de la législation catalane.
Le Consul honoraire d’alors du Mali à Barcelone est cité en bonne place sur cette liste noire des consuls indélicats. Un dossier sulfureux impliquant José Fernandez est pendant, depuis, devant la justice catalane. Même si à ce jour le haut représentant de l’État du Mali a été démis de ses fonctions, sa mise en cause dans ce scandale de blanchiment d’argent, pose le très délicat problème de la moralité des personnages désignés pour représenter l’État à l’étranger.
Celui qui a été 8 ans durant, de 2014 à 2022, consul Honoraire du Mali est dans le tourbillon de la justice espagnole depuis de longs mois. José Fernandez ploie depuis 2020 sous le joug implacable de charges assez troublantes. De nombreux rapports d’enquêtes policières l’accablent.
Le rapport accablant de la « Mossos d’Esquadra »
Tout a commencé en 2020 pendant que José Luis Lopez Fernandez occupait encore le prestigieux poste de consul pour le Mali. Dans le cadre d’une enquête sur un trafic de drogue impliquant un chef présumé du crime organisé, la force de police autonome de Catalogne connue sous le vocable « Mossos d’Esquadra » a expressément cité José Luis Lopez Fernandez et deux autres consuls honoraires, soupçonnés de blanchiment d’argent.
La Mossos d’Esquadra a pu établir une connexion des consuls honoraires d’Albanie, du Mali et de Croatie à Barcelone dans un présumé complot de blanchiment d’argent impliquant des membres de la famille de Simón Montero Jodorovich, un trafiquant célèbre qui a été la cible de nombreuses opérations policières dans le passé, presque toujours liées au trafic de drogue. Les affaires qui les lient sont diverses : de la fabrication d’une machine destinée à traiter le chanvre, à Avilés (Asturies), et à le transformer en huile à des opérations immobilières, en passant par d’autres investissements, selon les rapports de police auxquels nous avons eu accès. Les investigations policières ont été étendues à Andorre, pays auquel ont été demandées les données des comptes bancaires de 12 personnes et 26 entreprises liées au réseau.
Récemment, la police de la Generalitat a déployé un dispositif dans la « Zona Franca », comprenant des perquisitions et l’arrestation de quatre personnes, dont Simón Montero Jodorovich lui-même. Les autres personnes arrêtées sont des proches parents de ce dernier et des membres du clan « Mulatos ». La juge de Barcelone chargée de l’affaire, Miriam de la Rosa, les a tous remis ensuite en liberté provisoire.
La police indique dans ses rapports que, au fur et à mesure que l’enquête avançait (notamment grâce aux interventions téléphoniques des membres du complot), des structures corporatives communes ont commencé à apparaître entre Simón Montero Jodorovich et le consul malien, López Fernández. Elle soupçonne que, dans un premier temps, l’un des projets communs était la commercialisation d’une boisson énergétique, mais plus tard, la construction d’une machine destinée à produire de l’huile de chanvre a été pointée du doigt.
Les enquêteurs soutiennent que, à partir de comptes courants au Mali, des transferts ont été effectués vers l’entreprise qui fabriquait l’appareil ou que de l’argent liquide a été transféré. Mais la Mossos estime que le « véritable business » que les concernés cherchaient à développer « est la culture de plantations de marijuana au Mali pour produire de l’huile ».
La police catalane souligne « l’opacité » de l’opération et les « énormes précautions » adoptées dans les communications interceptées entre les deux partenaires, « ce qui est un indicateur clair d’une possible illégalité des affaires traitées ». Il nous revient que cette huile à forte teneur en THC (tétrahydrocannabinol) est utilisée pour fabriquer des « larmes de phénix », une forme de consommation de marijuana répandue aux États-Unis et au Canada, mais est illégale en Espagne.
La police espagnole insiste enfin sur « l’extrême opacité de la diplomatie honorifique, où aucune transparence n’est appréciée sous prétexte de défendre la raison d’État ». « Ces postes, souvent occupés par des hommes d’affaires ou d’anciens politiciens et qui ne sont pas perçus du pays qu’ils représentent, confèrent à ceux qui les exercent prestige, privilèges et relations sociales, sans parler de la très convoitée valise diplomatique, inviolable et qui traverse les frontières en marge de tout contrôle », peut-on lire dans le rapport. Certaines sources assurent que ces valises ne sont détenues que par les ambassades de chaque État. La Mossos se plaint également du manque de contrôle sur les consuls honoraires : « Le gouvernement espagnol n’a aucune possibilité d’interférer dans leurs affaires, au-delà du retrait de leur agrément, une mesure très agressive au niveau diplomatique », souligne-t-elle dans son rapport.
Le rapport de police dont nous avons pu obtenir copie indique en substance que José Fernandez a déplacé illégalement 250.000 dollars, soit 158 199 134 F CFA via son compte bancaire africain et sa valise consulaire dans le cadre de sa collaboration avec le tristement célèbre Simón Montero Jodorovich.
Le même document, servant désormais de base de travail pour la justice espagnole, soutient que plusieurs Consuls dont celui d’alors du Mali étaient sous les ordres de Simón Montero Jodorovich. « C’est une déclaration non vérifiée de la police. Mon client le connaît comme il connaît beaucoup de gens, et il n’y a pas de relation hiérarchique ou quoi ce soit de genre », défend l’avocat de José Fernandez.
La police espagnole a alors mis en branle un système de surveillance autour du diplomate pour l’empêcher de quitter le territoire national. Selon nos informations, cette surveillance s’étendait jusque dans son bureau consulaire dans les limites prescrites par la loi, ce jusqu’à sa révocation en mai 2022.
Même si l’avocat de José Fernandez, à travers qui le diplomate a bien voulu répondre à nos questions, évoque « un manquement grave à l’innocence et l’honorabilité » de son client, de nombreuses sources soutiennent que l’ancien consul a usé de son statut pour se déplacer librement et utiliser la valise diplomatique et autres privilèges subséquents.
Le rapport définit Simón Montero Jodorovich comme une « personne dynamique et haut représentant du peuple gitan en Catalogne », qui aurait créé des « structures corporatives » qui lui ont permis de faire ressortir une partie de la « richesse économique », à sa compréhension, d’origine illégale, en même temps qu’il s’est rapproché du « lobby de l’organisme consulaire de Barcelone ». La police précise que Simón Montero Jodorovich a participé « étroitement » aux affaires avec Fernández, consul du Mali et secrétaire de l’organisme consulaire, tout en soulignant la relation avec Bárcena San José, représentant de la Croatie et membre dudit organisme.
Dénégations et reniements comme mode de défense
A la question de savoir si son client avait usé de son statut et de ses privilèges consulaires pour déplacer cette fortune, l’avocat de José Luis Lopez Fernandez rétorque en pointant « des erreurs graves » commises par la police : « Je suis désolé de vous dire qu’il n’y a pas d’affaire. La présence fortuite de plusieurs consuls dans cette affaire s’explique par différentes raisons ». A côté de son statut de Consul, José Fernandez se prévaut en effet d’une qualité d’homme d’affaires qui se revendique honnête et dont l’intégrité et l’innocence ont été injustement remises en question.
L’auxiliaire de justice reconnaît que l’enquête porte effectivement sur le blanchiment d’argent, mais avance que l’investissement de son client dans une machine à fabriquer de l’huile de cannabidiol, l’huile de CBDE, est tout à fait légale : « L’investissement dans la machine, qui n’a jamais été construite ni assemblée, et qui a été dispersée en diverses parties dans différents ateliers, est tout à fait légal, et la Mosos elle-même reconnaît à divers endroits du rapport qu’il s’agissait d’huile CBDE. Le prétendu blanchiment est un ” correspondant aux paiements de la machine d’extraction ” (F. 1.555 du dossier). C’est absurde », s’en défend l’avocat de José Fernandez.
Et de poursuivre : « Le blanchiment, c’est autre chose, personne ne blanchit pour investir dans des entreprises illicites, vraisemblablement. Dans ce cas, c’est le cas. Au folio 1305 (volume IV) les agents reconnaissent que la machine allait extraire de “l’huile de chanvre”, ce qui n’est pas un crime, et aux folio 1560 et 1561 ils déclarent que l’huile peut être “avec ou sans THC” , une alternative exclusive qui est légale dans la première partie Le THC est seulement “une possibilité” pour les chercheurs (F. 1533). Les affaires criminelles ne peuvent pas être construites sur des “possibilités”, mais plutôt sur des “certitudes” ou probabilités” basées sur des objectifs de données, qui n’existent pas ici. Les seules données ici sont les personnes, mais pas les faits ».
« L’imputation à la santé publique est qualifiée hypothétique, conditionnelle, et douteuse et, en outre, elle est faite pour dépendre de ce qu’ils appellent “le pouvoir discrétionnaire de la machine” qui devait être construite et qui n’a jamais été mise en service, parce qu’elle n’a pas été construite ou assemblée. Tout cela est un avenir réalisé à travers une interprétation gravement biaisée qui porte atteinte au droit fondamental à la présomption d’innocence », renchérit le premier défenseur du consul.
La volte-face qui ne dit pas son nom
Les autorités maliennes au demeurant, en nommant José Fernandez au poste de consul en 2014, avaient-elles fait la moindre enquête de moralité sur ce personnage contrasté et controversé ?
A nos questions, le Ministère malien des Affaires étrangères et de la coopération internationale (MAECI) a opposé un silence qui cacherait bien des vérités. Ainsi faudrait-il comprendre dans le silence du MAECI que la question des consuls est taboue voir même intouchable ? Ce silence voudrait-il confirmer la thèse qui entend que la nomination des consuls ne répond à aucun critère de transparence et d’intégrité ?
En effet, bien au-delà de son caractère honorifique, le statut de Consul représente toute une image de marque pour le pays qu’il représente. C’est tout de même étrange que les autorités du Mali aient débarqué le consul José Fernandez en mai 2022 seulement, alors que les allégations de blanchiment contre ce dernier durent depuis 2 ans.
Ci-dessous nos questions adressées au MAECI, et restées sans réponse :
Est-ce le Mali qui nomme ses Consuls honoraires dans les Etats (consuls honoraires généraux et/ou des vice-consuls honoraires) ? Ou serait-ce plutôt les états partenaires qui en font des suggestions de noms ?
Sur quelles bases les nominations sont faites pour la haute et exaltante fonction de Consul ? Le MAECI prend-il les dispositions pour rendre public ses nominations ? Si oui, via quel canal ? Si non pourquoi ?
Peut-on retrouver sur un site web officiel l’ensemble des noms des consuls honoraires qui sont nommés, ou que d’autres pays ont nommés pour représenter le Mali à l’étranger ? Si c’est le cas, pourriez-vous partager le lien où cette information est disponible ?
Si d’aventure le MAECI ne publiait pas cette information sur un site web officiel, Pourrait-il partager avec nous la liste des consuls honoraires résidant sur le territoire malien ou représentant le Mali à l’étranger ?
L’ancien Consul honoraire du Mali à Barcelone, M. Jose Luis Lopez Fernandez est sous le coup d’une affaire pénale actuellement en cours en Espagne.
Pourquoi avoir nommé Monsieur Fernandez à cette haute fonction alors même que sa moralité est contrariée ? Quelle a été la réaction des autorités maliennes après l’annonce des faits pénaux pour lesquels il est poursuivi ?
Celui qui jouissait du pseudonyme « Grand patron » auprès des consuls inculpés dont celui du Mali semble de plus en plus lâché par ses partenaires d’affaire.
Alors que les multiples recours en annulation introduits par les conseils de l’ancien consul José Fernandez ne semblent reposer sur aucun principe de légalité, tous les regards et toutes les attentions sont maintenant focalisés sur le jugement définitif de cette affaire. En attendant, la justice espagnole suit normalement son cours dans cette affaire rocambolesque qui n’a pas livré tous ses secrets.
Par David DEMBELE
Source : www.cenozo.org
Encadré
Les enquêtes « Shadow Diplomats » initiées et coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui ont bénéficié de l’accompagnement de la CENOZO, fait état de plus 500 consuls honoraires à travers le monde, sous le coup de scandales et de procédures judiciaires délicatement menées par les pays qui les abritent. Lesdits consuls honoraires ont constamment usé de leurs statuts pour s’enrichir, s’échapper aux mailles de la loi, s’éviter les assauts des forces de l’ordre ou faire avancer des programmes ou agenda politiques.