Cette interrogation est celle de notre sociologue, Dr. Moussa Coulibaly, qui pointe du doigt l’évolution du climat social et économique au Mali, dominé par une crise économique, suite aux conséquences du Covid-19 et les crises du nord qui se répandent au centre. Selon lui, le stress gagne de plus en plus les ménages et les entreprises.
Visiblement, le suicide est un phénomène qui a occupé les devants de l’actualité sur les réseaux sociaux ces derniers temps à Bamako, par une soudaine montée inhabituelle des chiffres (4 suicides en une semaine et un en ce début de semaine, au même endroit). Certains observateurs ont pensé à des suicides relevant de l’influence maléfique des esprits, car ce bras du fleuve Niger que couvre le 3eme pont a la renommée d’être le sanctuaire de sacrifices et autres pratiques malsaines.
Selon Émile Durkheim, sociologue français (dans son étude portant sur le suicide, 1897) “la religion, la famille et certaines situations politiques protègent du suicide. Aux yeux de notre sociologue, la famille et la religion sont des instances d’intégration des individus qui les protègent du suicide, en interdisant moralement de se suicider”. Ce qui s’est passé la semaine dernière à Bamako, selon lui, confirme la thèse de Durkheim qui fait du suicide “la seule manière de comprendre comment l’instinct fondamental de survie de l’être humain, pourtant si puissant, peut être tu”. Cependant, au Mali, une écrasante majorité s’étonne toujours devant ces suicides tant le phénomène est rarissime.
Dr. Coulibaly, estime que la cellule familiale loin de soulager moralement l’individu devient de plus en plus le nid d’un déséquilibre psychologique et moral de l’individu, notamment des chefs de famille. A l’en croire, lorsque la stabilité de la famille s’effrite, les individus se retrouvent dans des situations dont l’issue peut aboutir au suicide. En effet, on remarque aisément aujourd’hui à Bamako que la pauvreté gagne les sphères qui en temps normal génèrent les ressources comme le marché où la tendance est de plus en plus à la mévente. On remarque cela par exemple chez les agences immobilières où l’on cherche plus à vendre qu’à acheter. Selon un rapport de la banque mondiale, en date du 9 octobre 2020, “la pandémie a fait reculer le continent de 5 ans en matière de réduction de la pauvreté. 46 pays sur 54 ont fait des baisses de taxes, permis l’accès aux soins et ont distribué des vivres. Ceci est révélateur de lendemains de crises économiques”, explique le Sociologue. Pour lui, dans une telle situation, une augmentation du taux de suicide s’explique quand on sait que jusqu’ici, l’idée “du plutôt la mort que la honte” n’a pas totalement disparu dans notre société. “Devant l’incapacité de payer une dette ou de justifier des dépenses, on peut aisément se suicider”, déplore-t-il. Et de révéler que, le cas d’un agent comptable des impôts qui s’est suicidé récemment n’a pas suscité les mêmes émotions que les 3 derniers suicides de la semaine dernière mais le même mystère les entoure. Dr. Coulibaly pense que le phénomène est plus fréquent en Europe qu’en Afrique. Par exemple en France, en 2019, 24 fonctionnaires de police se sont donné la mort. Il est à remarquer que l’Afrique au sud du Sahara doit faire de réels efforts de développement social pour être à l’abri de troubles sociaux et surtout des départs massifs de jeunes qui tentent de rejoindre l’Europe. “Cette aventure n’est-elle pas une autre forme de suicide cette fois ci socialement acceptée?“, s’interroge-t-il.
Ibrahima Ndiaye