Dans un rapport sur la situation des droits de l’homme au Mali, soumis conformément à la résolution 40/26 du Conseil des droits de l’homme, l’Expert indépendant, Alioune Tine, s’est dit préoccupé par la dégradation de la situation dans le centre et dans le nord du pays depuis cinq ans. Il a aussi noté qu’aucune réponse adéquate n’est apportée pour protéger les populations civiles. Selon lui, cette situation est d’autant plus difficile à accepter en raison de la présence de forces de sécurité internationales et nationales.
en croire le rapport, des avancées significatives ont été accomplies dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali depuis le début de l’année 2019, notamment en ce qui concerne l’accélération du processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration et la création de la zone de développement économique des régions du nord du pays. Pourtant, quatre ans après la signature de cet accord, l’Expert indépendant a constaté une certaine frustration de la population face à la lenteur de la mise en œuvre des dispositions de l’Accord.
En ce qui concerne le contexte sécuritaire, l’Expert indépendant note avec préoccupation que la situation se dégrade dans le centre et dans le nord du pays depuis cinq ans et qu’aucune réponse adéquate n’est apportée pour protéger les populations civiles. Selon lui, cette situation est d’autant plus difficile à accepter en raison de la présence de forces de sécurité internationales et nationales.
L’Expert indépendant s’est dit préoccupé par la poursuite des attaques contre les acteurs humanitaires et l’impact de celles-ci sur la population et rappelle que les auteurs de tels actes devraient être traduits en justice. Et de poursuivre que l’absence d’autorités administratives et de sécurité locales dans la plupart des régions du centre et du nord du pays a accru la vulnérabilité des populations.
Dans le cadre de la lutte contre l’impunité, il a noté que des progrès limités ont été enregistrés dans ce domaine, avec des évolutions positives dans les domaines de la justice transitionnelle, le fonctionnement du pôle judiciaire spécialisé et la lutte contre la corruption. L’Expert indépendant note que les autorités s’attaquent avec courage aux crimes économiques.
Cependant, il déplore qu’aucun progrès significatif n’a été observé sur le plan judiciaire en ce qui concerne les poursuites judiciaires pour des crimes du passé. “Plus frustrant encore, la plupart des auteurs de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire et d’atteintes à ces droits commises de nos jours restent également impunis”, mentionne le document. Ainsi, il note avec satisfaction les efforts entrepris par le Procureur en charge du Pôle économique et financier ces derniers mois afin de s’attaquer au problème de la corruption. Car, précise-t-il, plusieurs individus accusés de détournement de fonds ont été interpellés et placés en détention. L’Expert indépendant se félicite de cette offensive judiciaire sur le front de la lutte anticorruption. Aussi, il voudrait qu’une enquête soit ouverte sur les allégations de détournement de fonds destinés à équiper l’Armée malienne.
Des violences sur fond de tensions communautaires
Quant à la situation des droits civils et politiques, l’Expert indépendant se félicite de l’engagement du Mali s’agissant du respect des droits de l’homme, notamment la ratification par le gouvernement malien des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il ajoutera que des menaces pèsent toujours sur les civils, notamment les violences sur fond de tensions communautaires (des violences souvent planifiées, coordonnées et exécutées avec des armes automatiques), les activités des groupes extrémistes violents et le banditisme.
Au chapitre des atteintes aux droits de l’homme commises par la Minusma, l’Expert note que des membres de la Mission onusienne au Mali auraient arrêté, arbitrairement, le 20 avril 2019, 10 personnes dont une femme et un garçon de 15 ans, à la suite d’un attentat à l’engin explosif sur l’axe Douentza-Boni qui a provoqué la mort d’un soldat du maintien de la paix et en a blessé quatre autres. “L’une des personnes arrêtées, un homme, est décédée le jour même dans des circonstances peu claires. L’Expert indépendant a appris de sources fiables que cinq des neuf détenus restants présentaient des signes visibles d’agressions physiques de la Minusma”, déplore le rapport.
Pour les atteintes aux droits de l’homme commises par des groupes armés, il a noté avec préoccupation que les civils travaillant pour l’État malien sont souvent la cible d’attaques meurtrières. Aussi, il mentionne que les groupes armés continuent de terroriser la population parce que l’Expert indépendant dit avoir reçu des informations faisant état de violations des droits de l’homme imputées à des groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, dans les régions de Gao et de Tombouctou.
Car, le 7 octobre 2019, des éléments de la Coordination des mouvements de l’Azawad avaient appréhendé quatre civils sur le marché hebdomadaire de Goundam (commune et cercle de Goundam) soupçonnés d’avoir participé à plusieurs vols le long de l’axe Tombouctou-Goundam.
Pour les conflits intercommunautaires et intracommunautaires, l’Expert indépendant note que les violences armées sur fond de tensions communautaires ont augmenté de manière alarmante, notamment dans le centre du pays. Et de poursuivre que les initiatives et efforts de réconciliation entrepris par le gouvernement, avec l’appui de la société civile, ont permis de réduire les attaques à grande échelle, mais que des attaques de moindre envergure continuent d’être signalées presque quotidiennement.
La question du Sahel, un problème mondial et celui du Mali
En outre, il note que les groupes armés terroristes profitent de l’absence de l’État dans ces zones pour exploiter et aggraver les fractures entre les communautés.
Dans son rapport, l’Expert indépendant note que le Mali et le Sahel sont confrontés à des défis énormes et multiformes sur les plans de la sécurité, de la gouvernance et du développement. A le croire, le Mali et toute la sous-région vont au-devant d’un danger qu’ils n’ont jamais connu. “La communauté internationale devrait commencer à traiter la question du Sahel comme un problème mondial et non simplement comme un problème malien ou régional. L’État malien, la Force conjointe du G5 Sahel, la Minusma et la Communauté internationale présente au Mali devraient unir leurs forces pour accroître la protection des civils dans les zones à risque. Il faut absolument que la communauté internationale se mobilise pour juguler une crise humanitaire annoncée en finançant le Plan de réponse humanitaire”, a-t-il laissé entendre.
De son analyse, l’État malien a des obligations internationales en matière de droits de l’homme et doit prendre des mesures pour prévenir et réprimer les violations et les abus commis par des acteurs étatiques et non étatiques.
“La protection des civils, la promotion et la protection de leurs droits devraient constituer des priorités pour les autorités maliennes”, a souligné l’Expert indépendant.
En termes de recommandations, il invite les différents acteurs à enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme commises par toutes les parties, y compris les forces de défense et de sécurité maliennes afin de traduire en justice tous les auteurs desdites violations.
Boubacar PAÏTAO