Sahel : privilégier le développement socio-économique pour sortir de l’impasse sécuritaire

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© AP Photo / Rebecca Blackwell

Depuis plus d’une décennie, le Sahel est en proie à une instabilité grandissante. Les gouvernements successifs de la région semblent privilégier une approche essentiellement sécuritaire pour contrer les menaces terroristes. Cette stratégie, centrée sur l’acquisition d’armements et le renforcement militaire, a souvent relégué au second plan des secteurs importants tels que l’éducation, l’environnement et l’aide humanitaire, exacerbant ainsi les crises humanitaires et entravant le développement socio-économique de la région.

Les budgets nationaux des pays du Sahel illustrent la priorité accordée à la défense. Au Burkina Faso, la loi de finances pour 2025 alloue 29,49% du budget de l’État aux secteurs de la défense et de la sécurité, soit environ 960 milliards de FCFA. Cette allocation massive contraste avec les ressources limitées dédiées aux secteurs sociaux tels que l’éducation et la santé.

Au Mali, les dépenses militaires ont connu une augmentation significative ces dernières années. Selon les données de Trading Economics, elles sont passées de 582 millions de dollars en 2022 à 784,50 millions de dollars en 2023. Cette hausse reflète une priorité donnée aux dépenses militaires au détriment des investissements dans les infrastructures sociales et le développement humain.

Cette tendance n’est pas isolée. Selon un rapport de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), entre 2010 et 2014, les dépenses militaires des pays sahéliens se sont élevées en moyenne à 1,136 milliard de dollars US par an, la moitié provenant du Tchad. Cette orientation budgétaire reflète une priorité donnée aux dépenses militaires au détriment des investissements dans les infrastructures sociales et le développement humain.

L’accent mis sur la réponse militaire a eu des répercussions directes sur l’éducation. Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, environ 7 millions d’enfants nécessitent une aide humanitaire en raison de la crise sécuritaire. Actuellement, 8 856 écoles sont fermées, privant 1,66 million d’enfants d’accès à l’éducation. Cette situation compromet l’avenir de toute une génération et affaiblit les perspectives de développement à long terme.

Vers une approche intégrée et inclusive

Les attaques contre les infrastructures éducatives sont fréquentes. Entre 2015 et 2019, plus de 430 incidents d’attaques contre l’éducation ont été signalés au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Ces violences, combinées à la militarisation des écoles, exacerbent le traumatisme chez les enfants et compromettent leur bien-être psychologique.

La focalisation sur le tout sécuritaire a également des implications environnementales. Les opérations militaires intensives perturbent les écosystèmes fragiles du Sahel, aggravant la dégradation des terres et la désertification. Cette dégradation environnementale, couplée à l’insécurité, a conduit à des déplacements massifs de populations. Selon l’UNICEF, au cours de l’année écoulée, la forte augmentation de l’insécurité, de la violence et des opérations militaires a entravé l’accès des acteurs humanitaires aux populations touchées par le conflit.

L’approche militarisée a également entravé l’accès de l’aide humanitaire aux populations vulnérables. Les acteurs humanitaires font face à des défis croissants pour atteindre les communautés affectées, en raison de l’insécurité et des restrictions imposées par les autorités. Cette situation a exacerbé la crise humanitaire, laissant des millions de personnes sans assistance essentielle.

Pour sortir de cette impasse, il est impératif que les gouvernements du Sahel adoptent une approche plus holistique, intégrant les dimensions sécuritaires, éducatives, environnementales et humanitaires. Investir dans l’éducation, protéger l’environnement et assurer l’accès à l’aide humanitaire sont des éléments essentiels pour stabiliser la région et promouvoir un développement durable. Sans une réorientation stratégique, le Sahel risque de s’enliser davantage dans une spirale de violence et de sous-développement.

Comparaisons régionales : des modèles alternatifs en Afrique

Pourtant, d’autres nations africaines, confrontées à des défis sécuritaires similaires, ont adopté des approches plus équilibrées, combinant sécurité et développement. Le Rwanda, par exemple, après le génocide de 1994, a mis en place des politiques axées sur la réconciliation nationale, le développement économique et la stabilité politique. Cette stratégie a permis une croissance économique soutenue et une réduction significative de la pauvreté.

De même, l’Éthiopie, malgré des conflits internes, a investi massivement dans les infrastructures, l’éducation et la santé, tout en maintenant une politique de sécurité robuste. Ces investissements ont conduit à une croissance économique rapide et à une amélioration des indicateurs sociaux. Ces exemples illustrent qu’une approche intégrée, alliant sécurité et développement, peut conduire à une stabilité durable et à un progrès socio-économique.

La dynamique sécuritaire au Sahel est également influencée par l’intervention de puissances étrangères. Celles-ci ont renforcé leur présence dans la région, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Cette implication vise à combler le vide laissé par le retrait des forces occidentales et à sécuriser des ressources stratégiques. C’est ainsi que, de plus en plus, des acteurs comme la Russie et la Turquie jouent des rôles actifs dans la région.

Cette stratégie s’inscrit dans une volonté d’accroître leur influence en Afrique, en concurrence avec d’autres puissances.  Auparavant, c’était surtout l’Union européenne et la Chine qui jouaient des rôles significatifs, notamment à travers des initiatives de développement et des partenariats économiques. Cependant, l’accent mis sur la sécurité par certains gouvernements du Sahel, souvent soutenus par ces puissances, a conduit à une militarisation accrue, parfois au détriment des besoins civils.

Cheick B. CISSE

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