Relance de grands programmes d’infrastructures économiques, amélioration des conditions de vie des populations, retour de la sécurité… en point de mire.
Du haut de ses soixante ans, cet investisseur malien, Mamadou Sinsy Coulibaly, tout puissant patron des patrons du Mali, commandeur de l’Ordre national du Mali, médaillé de la Légion d’honneur française, cofondateur des patronats du G5-Sahel et du patronat ouest-africain (FOPAO), se bat depuis plusieurs années à l’échelle des pays du Sahel pour susciter ce qu’il appelle le “choc psychologique suffisamment fort“. Dans le but de récréer la “richesse et retrouver collectivement confiance en l’avenir“. Et par conséquent, “réunir les conditions d’un retour à la paix” à laquelle nous aspirons tous.
“Dix ans après le déclenchement de l’opération qui a mis un terme à l’offensive jihadiste au Mali, la situation au Sahel est préoccupante. Au regard du niveau des budgets investis (plusieurs milliards d’euros par an) et du volume des forces militaires engagés dans la résolution de cette crise (au bas mot plus de 35 000 hommes), les perspectives restent peu encourageantes et le sentiment qui prévaut est que les stratégies traditionnelles ont échoué“. Ce constat du président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM), Mamadou Sinsy Coulibaly, est sans équivoque sur la dure réalité du Sahel.
Loin de tomber dans la fatalité, le patronat des pays du G5, comme l’a révélé cet homme de conviction, estime qu’une initiative forte et concrète doit être prise pour relever le défi de la paix et du développement au Sahel. “Il faut susciter un choc psychologique suffisamment fort pour créer de la richesse, retrouver ainsi collectivement confiance en l’avenir et par conséquent réunir les conditions d’un retour à la paix“, dit-il.
En tout cas, il affirme que “les opérateurs du secteur privé des pays du G5-Sahel sont convaincus qu’une politique publique ambitieuse d’investissements dans de grandes infrastructures, par la mise en route de chantiers à haute intensité de main d’œuvre, combinée au développement de multiples petits métiers, est dorénavant la seule stratégie de nature à relever la demande et donc le niveau de consommation“.
Le Sahel dans l’impasse ?
Mamadou Sinsy Coulibaly est catégorique : “Sur le plan sécuritaire, malgré quelques succès récents, la dégradation générale de la situation au Sahel, et plus particulièrement au Mali et au Burkina Faso, est constante depuis 2016“.
Et pour cause : “Aux attaques répétées et meurtrières des groupes armés jihadistes contre les forces armées et les populations, viennent désormais s’ajouter des exactions contre les populations et des affrontements interethniques sanglants impliquant les communautés peules, dogons, celle des chasseurs traditionnels et même aujourd’hui les Bambaras“, égrène-t-il.
Un corollaire impitoyable qui se nomme, selon lui, sous-développement, chômage, pauvreté endémique et impossibilité d’accès aux services de base viennent compléter les ferments de la crise sahélienne.
Pour cet homme avisé, qui a récemment eu, lors du sommet de Paris, des contacts fructueux avec des personnalités françaises, sur le rêve économique qu’il caresse pour le Sahel, le chaos est pourtant loin de tout dominer.
En fait, se réjouit-il, en dépit de l’effet paralysant de la pandémie, il y a lieu de noter des avancées dans le domaine du combat contre le terrorisme dans la région des trois frontières, du renforcement des capacités militaires des Etats de la région, du retour de l’Etat et des administrations sur les territoires concernés.
Pour autant, regrette-t-il, ce n’est pas la raison, pour laquelle il faut dormir sur ses lauriers, car, dans le même temps, “on assiste à l’extension géographique de la menace (Kofolo, Daigri Odienné)“. Cela est d’autant plus plausible, selon son analyse, que “le volet aide au développement n’a pas suscité un grand projet emblématique et mobilisateur capable de créer le choc suffisant pour modifier la perception et l’adhésion des populations pour la sortie de crise“.
Un espoir pour le Sahel
En clair, dans l’optique de Mamadou Sinsy Coulibaly, qui pense que c’est le moyen adéquat pour le Sahel de bâtir une production régionale conséquente, il est évident qu’une politique d’investissement accru dans la zone permettra bien évidemment de meilleurs services aux populations dans des domaines essentiels, comme l’énergie et le transport. C’est aussi, dit-il, cette politique qui va permettre de créer des emplois, dont l’insuffisance aujourd’hui, déplore-t-il, a atteint un niveau record extrêmement dangereux pour la stabilité de toute la région et son avenir.
“Au niveau du G5, c’est encore une opportunité exceptionnelle de développer une vision régionale du développement et la promotion d’un aménagement concerté d’un territoire transactionnel vaste et diversifié aux ressources et potentialités dont il faut davantage jouer la complémentarité“, est-il convaincu.
Et pour le financement d’un tel développement, le patron des patrons du Mali appelle à un “choix délibéré et assumé de cette politique par les dirigeants du G5“, qui, soutient-il, devront inciter les gouvernements à mobiliser “tous les outils budgétaires, monétaires, fiscaux pour encourager l’épargne locale et amener les institutions financières et bancaires de la région à soutenir ces investissements“.
Dans le même temps, préconise-t-il, “les opérateurs sahéliens du secteur privé considèrent que les autorités politiques du G5 devraient affirmer clairement ces choix auprès des bailleurs de fonds internationaux et les amener à orienter davantage leurs ressources vers le soutien à cette politique d’investissement massif dans l’économie“.
Le développement, comme juge de paix ?
Jusqu’à récemment, reconnait ce membre influent du bureau des patronats du G5, l’approche sécuritaire en cours n’a pas donné de bons résultats. Pendant ce temps, note-t-il, de nombreux projets de développement, initiés par les Nations unies ou encore par les partenaires bilatéraux et autres, regroupés dans l’alliance Sahel, sont nés. Mais avec des résultats très peu probants.
“Entre l’autosatisfaction des effets d’annonces, les lourdeurs technocratiques des procédures et les délais avant que des effets visibles n’apparaissent, les populations sont désabusées“, pointe du doigt un patron des patrons des plus déçus.
Cependant, enseigne-t-il, “au fil du temps, et face aux limites d’une approche exclusivement militaire, les avis convergent de plus en plus pour tenter de traiter l’insécurité par une réponse économique“. Il en est ainsi, selon la perception de Coulou, que le chômage et la pauvreté constituent en grande partie le terreau de la situation actuelle.
C’est pour cela qu’il s’agit, pour lui, de créer un choc psychologique et économique à deux niveaux. Et cela, sur tout l’espace sahélien, mais inexorablement liés entre eux : lancer de grands projets d’infrastructure au niveau régional avec autour d’eux les micro-activités qu’ils vont instantanément susciter (alimentation, service, logistique), combinés à une mise en mouvement à travers de multiples petits projets donnant rapidement des effets visibles.
Un corridor reliant le Sahel
Pour ce corridor de développement, Mamadou Sinsy Coulibaly propose qu’un premier tronçon relie Bamako et Nouakchott. Il le justifie amplement ainsi : “Le Mali, compte tenu de sa situation géographique particulière, sur 7 pays de la région, a toujours eu une vocation d’échanges internationaux. La densification recherchée de son économie, comme de l’ensemble de celle des pays de la sous-région, passe naturellement par le développement de besoin de production et de flux d’échanges nourrissant les transferts et alimentant cette vocation de plateforme logistique du pays“.
En tout état de cause, admet-il, “c’est dans cette perspective d’aménagement de routes que s’inscrivent déjà avec la Côte d’Ivoire le développement de la région de Sikasso et avec le Sénégal celle de Kayes ; un tel projet reliant le Mali et la Mauritanie venant compléter ce dispositif déjà bien avancé“.
Pour en faire un véritable vecteur de sécurisation et de développement, explique le patron des patrons, “le corridor Nouakchott-Bamako doit être pensé, dès l’origine, dans une approche globale assurant l’articulation entre la dimension internationale (désenclavement commercial), les dynamiques locales de développement économique et social et la sécurisation, tout au long des frontières“. L’objectif, estime-t-il, est d’appréhender le corridor comme un outil pluridimensionnel d’aménagement du territoire, de développement économique, de progrès social et de sécurisation.
Dans la perspective de l’extension de ce corridor aux autres pays du G5, l’économiste a une option bien adaptée à l’environnement socio-économique. Il s’en explique en ces termes : “L’idée est de commencer l’exploitation du corridor entre Nouakchott et Bamako avec notamment les investissements du Port de Nouakchott et le barrage de Taoussa au Mali et de connecter ensuite le plus rapidement possible le Burkina, le Niger et le Tchad. La base de cette construction reposera sur un dialogue constructif public-privé et entre les patronats des cinq pays, à travers une active concertation en vue de concevoir des schémas productifs“.
Barrage de Taoussa : un projet global
Mamadou Sinsy Coulibaly y est très attaché. Il croit fermement qu’un tel “investissement permettrait l’installation d’une usine hydroélectrique de 25 MW et une production annuelle de 118 GWh, l’exploitation du gisement de phosphate de Bourem et le démarrage d’une production de blé à Diré, où les conditions exceptionnelles pour sa culture sont réunies“.
Autre atout : “L’étude d’impact du projet fait apparaître qu’il absorberait la totalité de la main d’œuvre du cercle de Gao, voire de Tombouctou. Au bas mot, ce sont quelques 500 000 personnes qui seront impliquées d’une manière ou d’une autre dans ce projet qui permettrait une autosuffisance alimentaire de la zone, une augmentation du taux d’activités de la population rurale et des revenus accrus pour cette même population“.
Le barrage de Taoussa, fortement soutenu par le patronat malien, une fois réalisé, selon le président Coulibaly, sera un projet dans un projet du moment qu’il peut recruter et former une partie de la population aux petits métiers avec la variété d’activités qui ne manqueront pas d’être automatiquement créées sur place. Pour lui, c’est cette interaction d’activités économiques qui participerait d’une forme de structuration de l’économie informelle, de la stabilité de la zone et de l’adhésion de la population à la recherche d’une issue à la crise malienne.
“L’emploi, j’y crois !”
Concepteur de ce projet lié à l’emploi, Mamadou Sinsy Coulibaly estime bien qu’il pourrait être intitulé, pour être porté par les pouvoirs publics, “1 mois-100 emplois, 3 mois-1000 emplois, 1 an-10 000 emplois“. Il en donne le ton en ces termes : “Pour donner le signal que le Mali va se mettre en marche résolument dans le domaine économique et enclencher un premier mouvement, certes symbolique mais concret et visible, le projet suivant : ‘l’emploi, j’y crois’ pourrait être adopté et lancé immédiatement par les autorités du pays“. C’est la “mise en mouvement du Mali“, soutient-il.
De la conception de ce projet, Mamadou Sinsy Coulibaly, ce champion obstiné de l’initiative créatrice, dit qu’il peut se reposer “sur les petits métiers généralement pratiqués de façon informelle et anarchique au détriment de l’Etat“. En fait, se défend-il, ils peuvent créer des activités génératrices de revenus, en les organisant, en les valorisant et en les sécurisant. Pour l’essentiel, remarque-t-il, ce sont des activités liées à la restauration, la confection, la protection de l’environnement, la mobilité ; toutes choses offrant la possibilité d’organiser et de lancer une dynamique de création d’activités viables et durables, si elles sont pensées collectivement.
Toutefois, prévient-il, au-delà des avantages énormes qu’il recèle, l’adhésion totale au projet et le soutien total des autorités sont les conditions indispensables de son succès.
En définitive, le patron des patrons malien est parfaitement à l’aise de constater que le sommet de N’Djamena s’est déjà engagé à accorder la priorité qui devrait être accordée à l’économie et du coup à favoriser la réalisation de grandes infrastructures, susceptibles d’assurer le développement de la zone sur le long terme et de faciliter la création, à un niveau significatif, de richesses et d’emplois.
Avec cet optimisme mesuré, il est persuadé que cette politique de relance, à travers la réalisation de grands travaux et l’accroissement de la demande, doit permettre l’élévation du niveau de vie des populations et le retour de la confiance et de la paix dans le Sahel.
Encadrés
Le gaz et le pétrole : booster l’émergence économique du Sahel
Le Port de Nouakchott peut amorcer l’émergence économique de la région, dès qu’il est connecté au corridor qui va relier la Mauritanie à l’ensemble des pays du Sahel. C’est l’utilisation optimale du gaz et du pétrole qui en est, selon Mamadou Sinsy Coulibaly, le ferment du développement des activités économiques dans la région.
Pour cela, il estime que le transport du gaz, pour une utilisation domestique, à un prix intéressant, permettra d’éviter les actuelles coupes de bois de chauffe, débouchant sur une déforestation dramatique pour l’environnement.
“L’approvisionnement en électricité compétitive des grandes villes et des futures zones industrielles, très demandeuses en énergie, sera dès lors abordable à partir de lignes hautes tensions“, argumente-t-il en faveur de l’existence d’un corridor de développement.
C’est également, selon le patron malien, le cas de la fourniture d’un éclairage public pour les petites villes, tout au long du corridor qui se fera à partir du réseau basse tension. Un dispositif qui pourrait être appuyé, comme il le prétend, “par de petites centrales solaires qui sont particulièrement bien adaptées, vu l’immensité d’un espace“, dont l’occupation ne “coûte pratiquement rien“.
Licences de pêche contre petit mil : des flux d’échanges se nouent…
Le nouveau port en eau profonde de Nouakchott est une opportunité économique cruciale, pour le patron des patrons maliens, qui croit savoir que “de nouveaux flux d’échanges peuvent germer de la complémentarité de productions recherchées par les populations des différents pays“.
Il en veut pour preuve le cas du Mali et de la Mauritanie. M. Coulibaly, cofondateur des patronats du G5, le décrit en ces termes : “Les licences de pêche en Mauritanie seront délivrées aux Maliens, comme c’est actuellement le cas pour les Sénégalais“. Histoire “d’approvisionner en poissons de mer, dit-il, très appréciés dans les pays de l’hinterland“. En contrepartie, “les Mauritaniens, apprécient particulièrement le petit mil du Mali ainsi que le bétail nourri à l’herbe, comme il est prévu d’en produire en quantité dans le projet de barrage de Taoussa“, constate le visionnaire économique. Des flux d’échanges qui se nouent alors entre des Etats…
Corridor de développement : un impact positif sur l’émigration
Pour Mamadou Sinsy Coulibaly, et tous les acteurs économiques de son calibre, “la route crée la vie, notamment économique“. Ainsi, préconise-t-il, par la création de plusieurs activités, avec en toile de fond l’opportunité, pour beaucoup de monde, dans la région, de trouver du travail, “il y aura forcément un impact positif sur l’émigration“.
“Quand les gens verront que certains s’enrichissent le long de ces corridors, ils viendront et notamment ceux qui sont en route vers l’Europe s’y arrêteront pour profiter de tous les avantages de la région, avec une bonne chance de se fixer sur place, en fonction des opportunités“, tranche Mamadou Sinsy Coulibaly qui croit que les bénéfices économiques attendus de ces corridors de développement peuvent véritablement infléchir la tendance fâcheuse de l’émigration des jeunes vers l’Europe.
Bonne vison du patronat :le développement c’est d’abord les routes, l’eau et l’énergie que l’état doit apporter. Après la population s’occupera du reste.
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