Le centre du Mali est en proie, depuis des mois, à un conflit intercommunautaire entre Peuls et Dogons. Sa gestion requiert beaucoup d’attentions. Les mécanismes traditionnels de résolution de conflit apparaissent à ce titre comme un levier sur lequel les autorités peuvent s’appuyer pour résoudre la crise.
Le centre du Mali est déchiré par un conflit intercommunautaire qui a provoqué de nombreux déplacements à travers le pays. Selon Studio Tamani, le nombre de déplacés à Bamako s’élève à plus de soixante mille personnes. Les communautés peule et dogon se regardent en chiens de faïence et s’accusent mutuellement. «Cette situation est due à une incompréhension qui fait de tout Peul un djiahadiste et tout Dogon un donso», regrette Idrissa Sankaré, député à l’Assemblée nationale, élu à Bankass et membre de l’Association Nyugal Pulaaku.
Les repères historiques des sociétés… constituent les références majeures dans la résolution de conflit
Les mécanismes traditionnels de résolution de conflit peuvent jouer un rôle important dans la gestion de la crise au centre. C’est en tout cas ce qu’a instruit le Haut conseil islamique lors de son meeting du 10 février au stade du 26 mars. Dans sa déclaration, l’institution dirigée par l’Imam Mahmoud Dicko demande «aux communautés en conflit au centre du Mali de privilégier les mécanismes de résolution des crises définis par nos valeurs sociétales et religieuses».
Pour Ambroise Dakouo, les mécanismes traditionnels de résolution de conflit se définissent «comme l’ensemble des mécanismes sociaux destinés à assurer la sécurité de proximité dans une logique de prévention et de gestion des conflits inter et/ou intracommunautaire». Il écrit, à ce titre, que «les repères historiques des sociétés, les valeurs symboliques, éthiques et morales de même que les conventions sociales intercommunautaires établies au fil de l’histoire constituent les références majeures dans la résolution de conflit».
De nombreux mécanismes existent et varient d’une région à l’autre
Le Mali dispose de nombreux mécanismes traditionnels de résolution de conflit qui varient d’une région à l’autre. Selon Ousmane Kornio, cité par Ambroise Dakouo, on distingue : «La pratique du poulet noir qui se fait chez les Bwa, l’échange de fagot de bois mort entre parties en conflit, chez la femme soulever le sein droit est une pratique qui se fait en milieu Sonrhaï, la pratique de jurer sur le coran, la bible ou autre, l’existence de castes, les Kamankolis…» Bien d’autres mécanismes sont cités par l’auteur comme le Toguna, pratiqué chez les Dogons.
Mais c’est le cousinage à plaisanterie (Sanankouya), présent à travers tout le pays, que recommande Marcelin Guinguéré, chef de la branche politique de la milice d’autodéfense Dan Na Ambassagou, pour résoudre la crise entre Peuls et Dogons. Il constitue la clé de voûte du dialogue entre différentes communautés.
«Personne ne pourra rapprocher les Dogons si ce ne sont les Bozos. Les Dogons n’ont pas le choix, ils seront beaucoup plus ouverts avec leurs cousins. Les Peuls également sont contraints d’écouter et de respecter les avis des Bwa et les forgerons», explique-t-il. Les cousins à plaisanterie doivent exiger un pourparler intracommunautaire et par la suite organiser un dialogue intercommunautaire.
«Le cousinage à plaisanterie est un bon mécanisme qu’il faudra préserver»
«C’est la meilleure solution», assure le chef de la branche politique de la milice Dan Na Ambassagou et va, selon lui, permettre d’apaiser les rancœurs. «C’est seulement devant les cousins que les vrais problèmes seront dévoilés. Ce qui permettra de trouver des solutions durables», argumente-t-il. «C’est l’approche qu’il faut. Le cousinage à plaisanterie permettra aux gens de rire, d’oublier le stress et facilitera le vivre ensemble», commente Baba Dagamaïssa, membre du réseau des communicateurs traditionnels (Recotrade).
«Le cousinage à plaisanterie est un bon mécanisme qu’il faudra préserver», précise le Dr. Bréhima Ely Dicko, sociologue à la Faculté des lettres, des langues et des Sciences du langage de l’université des Sciences humaines de Bamako. «On est obligé de recevoir et d’écouter les conseils de son cousin. C’est un moyen de créer un cadre de dialogue entre les différentes parties prenantes de la crise», justifie-t-il.
Une conviction que partage le député Idrissa Sankaré, car convaincu que l’armée ne pourra pas résoudre le problème entre les communautés. «À chaque fois que le dialogue est possible, il faut l’utiliser jusqu’au bout», précise-t-il. «Le mécanisme le plus efficace est et demeure le dialogue», renchérit Maître Moctar Mariko, président de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH). «Il faudra les réunir pour qu’ils se parlent», soutient le défenseur des droits de l’homme.
Pour cela, il pense qu’il faut identifier les personnes qui ont une grande influence dans les deux communautés vivant à Bamako et dans les zones de conflits afin de les réunir autour d’une table pour discuter. «Le jour où nous arriverons à organiser une telle rencontre entre protagonistes, nous aurons la paix», assure l’avocat.
Pour tout dialogue entre les deux communautés, Marcelin Guinguéré souhaite qu’il soit piloté par des cousins à plaisanterie. Une demande réitérée par le député Idrissa Sankaré qui estime que beaucoup de représentants de l’Etat se sont décrédibilisés aux yeux de la population. «Il faut inviter les vrais acteurs à la table du dialogue», préconise le député élu à Bankass.
Le cousinage à plaisanterie est insuffisant
«Les mécanismes traditionnels de résolution de conflits ne peuvent être que des palliatifs qui permettront de résoudre la crise à court terme. Ils ne peuvent pas remplacer la justice», tempère Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études et de sécurité (ISS). Il demande de verser la question dans le débat de la réforme constitutionnelle en cours dans notre pays.
Le cousinage à plaisanterie est insuffisant. Il peut résoudre les problèmes en temps de paix mais pas en période de guerre. «Les frustrations sont tellement énormes et profondes que le cousinage à plaisanterie ne permettra pas d’apaiser les cœurs et les esprits. C’est trop simple dans un contexte de frustration énorme où beaucoup de personnes ont perdu leurs parents», analyse le sociologue Bréhima Ely Dicko.
Abdrahamane SISSOKO
Source : Le Wagadu