En l’absence de loi pour prévenir et réprimer les violences faites aux femmes et aux filles, la présidente de la Fondation Hèra, Me Nadia Myriam Bioule, a organisé le lundi 9 décembre 2019 au Cicb une conférence active (plaidoyer) pour l’adoption rapide de la Loi contre les violences basées sur le genre (VBG). La cérémonie était placée sous la présidence de la ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille.
Selon Me Nadia Myriam Bioule, la fondation Hèra lance cette pétition adressée à l’Assemblée nationale du Mali ainsi qu’à toute personne, organisation et groupement pouvant apporter un soutien à cette cause noble et juste cause, celle de l’adoption de l’avant-projet de loi sur les violences basées sur le genre afin d’obtenir zéro Vbg d’ici l’horizon 2030 au Mali. Et comme objectifs spécifiques, il s’agit, entre autres, d’informer et sensibiliser la population sur les violences basées sur le genre, surtout ses conséquences sur la violation des droits humains afin de soutenir l’adoption de l’avant-projet de loi sur les Vbg ; d’inspirer tous les acteurs de la lutte contre les Vbg pour plus d’engagement, de soutien et de travail en synergie afin d’accompagner le processus de l’adoption de la Loi Vbg ; traduire le plaidoyer par un engagement de haut niveau de tous les décideurs pour l’adoption rapide de la loi ; de définir les stratégies de synergies d’actions afin de réduire à zéro les Vbg au Mali ; proposer les mécanismes juridiques adéquats pour la prise en charge judiciaire des victimes ; déterminer un modèle d’autonomisation adapté pour la réinsertion socioéconomique des victimes.
Aux dires de Me Nadia Myriam Bioule, la pétition se justifie car le Mali est le seul pays des 8 pays de l’Uémoa à ne pas encore légiférer sur les Vbg afin de traduire ses engagements internationaux et régionaux en matière de protection et de promotion des droits de la femme. Pour elle, l’adoption de la Loi est une garantie pour la prévention, la répression et la prise en charges des victimes. “Une Loi contre les Vbg est une réponse considérable aux nombreux défis pour l’abandon des Vbg au Mali où certains comportements criminels basés sur le genre restent impunis. Et pire, ils sont surtout favorisés au nom de certains mythes d’un autre âge qui ne se justifient guère et doivent à cet effet être brisés pour le bien-être de tous” dit-elle.
Décidément très en verve, Me Nadia Myriam Bioule continue ainsi : “Elles sont tombées sous les coups de leurs conjoints, les armes à la main, après un accouchement douloureux suites aux séquelles de l’excision. Elles, les toutes petites, ont succombé aux viols, celles-là, les précieuses aides ménagères décédées par la honte et l’humiliation, toutes ces âmes souillées et retirées par leur client au cours de leur profession, celles autres, nos valeureuses guerrières de la crise de 2012 à ce jour, tuées et assassinées par la barbarie des hommes, manipulés par l’obscurantisme dit terrorisme, celles-ci, qui désemparées, mettent fin à leur supplice en se jetant du pont. Elles sont nombreuses, nous parlons en leur nom et elles nous entendent d’où elles sont.”
C’est pour toutes ces raisons, précise-telle que “La Fondation Hèra a décidé de mener le plaidoyer afin d’influencer les politiques publiques favorables à la protection renforcée des droits des femmes et à la lutte contre l’impunité des crimes de Vbg au Mali”, a-t-elle fait savoir. Dans sa plaidoirie, elle a invité la ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille à être la présidente de l’audience solennelle se greffant à la mouvance des 16 jours d’activisme débutés depuis le 25 novembre dernier et qui s’est achevé le 10 décembre 2019 dont la première étape a démarré le 31 juillet.
Les chiffres parlent : 2 779 cas de violences enregistrés de janvier à septembre 2019
La présidente de la Fondation Hèra a rappelé qu’il y a eu 2779 cas de violences enregistrés de janvier à septembre 2019 dont, entre autres, des agressions sexuelles, viols, mariages forcés, violences émotionnelles, etc. Et parmi les salutaires mesures à prendre il y a, au premier plan, l’amélioration du cadre législatif, l’application de loi, le renforcement des organisations de défense des droits des femmes en vue d’influencer les politiques contre les Violences basées sur le genre en vue de contribuer à zéro violence sexuelle et sexiste par l’adoption de la loi sur les Vbg et ses textes d’applications.
“Les statistiques sont alarmantes, bien qu’éparses et souvent échantillonnées et c’est là le premier défi à relever, une femme sur quatre malienne a déjà subi une forme de violence. Les violences faites aux femmes et aux filles deviennent complexes et multiformes, elles se sont accrues depuis 2012, plusieurs ne sont pas prévues par notre droit positif malien, et c’est bien celles-là, les grandes absentes, qui causent plus de dégâts et de perte. A ce grand vide juridique s’ajoute l’absence d’un dispositif national d’aide juridictionnelle, garante du droit fondamental d’égal accès à la justice, du droit à un procès équitable, du droit à être jugée dans un délai raisonnable, du droit à la représentation en justice pour les victimes survivantes. Car, un procès dans lequel l’une seule des parties est représentée et/ou assistée d’un Avocat n’est pas un procès équitable”, affirme-t-elle.
Dans cet élan, elle rappelle : “Un procès sans la présence d’un Avocat, est un procès sans âme, cette même âme qui veille sur la bonne application de la loi par le juge, dans son rôle de sentinelle et de garant du respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux de la personne humaine. Si l’on n’y prend pas garde, l’absence d’une loi répressive, résultante de ce vide législatif est une grande menace à la stabilisation et la paix dont a viscéralement besoin notre pays. L’impunité est aussi une forme de réparation des séquelles des Vbg. Parce qu’elles ont un visage économique non négligeable, les Vbg à l’égard des femmes et des filles nécessitent une prise en charge socio-économique des victimes survivantes car beaucoup de femmes subissent et tombent sous les coups de violence dans le désespoir total, n’ayant aucun pouvoir économique pour se prendre en main et le plus souvent rejetées par leur famille ou mises à l’écart par la société, une autre forme d’exclusion sociale s’ouvre.”
Pour Me Nadia Myriam Bioule : “A tout cela s’ajoute, la nécessaire prise en charge psycho-sanitaire des victimes/survivantes, composante de la prise en charge holistique, dont la mise en œuvre telle que décrite dans les modules de gestion des cas de Vbg, parjure souvent d’avec les principes cartésiens du droit positif malien, notamment la procédure pénale.
La fondation Hèra, quant à elle, joue sa partition par le sacerdoce de ses membres fondateurs, tous Avocats, rompus à la pratique judiciaire, mais aussi à l’assistance juridique et judiciaire des femmes victimes de Vbg depuis 2015 à la faveur d’une belle collaboration avec Dèmèso. A ce jour, plus de 300 cas recensés, essentiellement dans le district de Bamako, à Kati et à Ségou. Un pool d’avocats spécialisés en Vbg composé de 20 avocats, tous régulièrement inscrits au Barreau du Mali, voit le jour au nom et pour le compte de la Fondation, tous engagés à mettre leurs toges et à sillonner l’ensemble du territoire judiciaire malien pour offrir leur assistance.
En attendant la mise en place du fonds à l’aide judiciaire prévu par l’avant-projet de loi, les partenaires de la fondation Dèmèso et Wildaf pourvoiront aux primes de prise en charge. A cela s’ajoute, la mise en place d’un fonds de l’entreprenariat social (Feso) dédié à apporter une assistance juridique et formative aux femmes en général, mais aux femmes victimes de Vbg en particulier, afin de développer l’incubation de microprojets d’entreprenariat social pour leur prise en charge économique.”
La grande annonce de cette conférence est que la Fondation Hèra, selon sa présidente, “fait une dotation initiale de 10 millions de Fcfa dans ce fonds et poursuit la réflexion avec ses partenaires Banque Atlantique, Atlantique Micro Finance, et Baobab, afin de trouver un modèle d’autonomisation économique propre aux femmes victimes de violence. C’est le lieu pour moi de les remercier pour leur accompagnement”, dit-elle. D’après elle, le texte de l’avant-projet de loi portant prévention, répression et prise en charge des victimes de violences constitue en lui-même une garantie pour les victimes de violences basées sur le genre, qu’elles soient femmes, hommes, handicapés, albinos, personnes âgées. C’est un texte de loi ambitieux car il est à la fois préventif, répressif et réparateur. Tout ce qu’il faut, à bien des égards près, pour assurer une prise en charge holistique aux différents cas de Vbg. Préventif, car il prévoit les 4 catégories de violences basées sur le genre à savoir : les violences sexuelles, physiques, psychologiques et économiques. Répressif car il réprime les atteintes, les tentatives et même le refus ou l’abstinence de témoigner. C’est à ce titre qu’il est dissuasif. Et la procédure y prévue est assez particulière ainsi que le dispositif infrastructurel judiciaire qui gagnerait à s’ériger en pôle spécialisé Vbg au même titre que les pôles anti-terroristes car un auteur de Vbg est un terroriste sans commune mesure. Réparateur, car le système de réparation y prévu va au-delà de la condamnation aux dommages intérêts du délinquant auteur de Vbg. “Le seul avantage de l’avoir encore à ce jour sous la forme d’un avant-projet de loi, réside dans le fait qu’il est susceptible d’être revisité, dans les meilleurs délais, si c’est ce qui peut expliquer sa non-adoption afin de le rapprocher davantage à nos réalités politiques et socioculturelles, mais tout en privilégiant l’intérêt des victimes et le respect des engagements pris par le Mali”, a-t-elle dit.
La ministre de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille a indiqué que, depuis plusieurs années, notre planète est boursouflée par une recrudescence des violences basées sur le genre, caractérisées par des actes de nature à causer du mal ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques aux femmes, y compris des menaces, la coercition ou la privation arbitraire de la liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée, mais aussi sur les théâtres des conflits armés, avec son corollaire de viol parfois collectif, de mutilations, d’assassinats particulièrement odieux, et d’esclavage sexuel. “Les violences basées sur le genre, constituent l’une des formes de violations, les plus graves des droits fondamentaux et les plus fréquentes dans le monde. Elles ne connaissent pas de frontières et constituent, sans nul doute, un obstacle au développement économique, social et culturel de notre pays.
Le Mali est le 5ème pays avec le taux de prévalence de MGF/E le plus élevé en Afrique. Depuis l’âge de 15 ans, près de quatre femmes sur dix (soit 38%) ont subi des violences physiques. Ces violences sont principalement exercées par leur mari ou partenaire actuel dans 65 % des cas.
De janvier à septembre de l’année 2019, le nombre de cas de violences basées sur le genre rapportés et pris en charge s’élève à 2767 dont 20 % d’agressions sexuelles, 17 % de viols, 24 % de violences physiques, 8 % de mariages forcés, 17 % de violences émotionnelles et 14 % de dénis de ressources”, a-t-elle souligné.
Pour elle, le plaidoyer a pour objectif de sensibiliser les pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que les acteurs afin de mettre en place une synergie globale des actions, en vue de l’adoption rapide du texte de loi sur les Vbg, pour lutter contre l’impunité des violences faites aux femmes, aux filles et aux enfants. “C’est un avant-projet qui se veut préventif, réprimant et réparateur. Cependant, il mérite d’être revu pour intégrer de nouvelles dispositions, comme celles relatives au féminicide, entendez, le meurtre d’une ou plusieurs femmes ou filles, en raison de leur condition féminine”, a-t-elle indiqué. Elle a promis l’engagement total et indéfectible de son département pour l’adoption d’une Loi contre les violences basées sur le genre au Mali et sa bonne application.
La signature officielle de la toile a mis fin à la conférence.
Siaka DOUMBIA