Tout sur la finance islamique : Ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Ce qu’elle finance et ce qu’elle ne finance pas

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La finance islamique est basée sur les principes du Saint Coran et de la Charia islamique qui imposent justice, équité et transparence. Elle se distingue des pratiques financières conventionnelles par une conception différente de la valeur du capital et du travail. Ainsi, les modules de la Finance Islamique mettent en avant l’éthique et la morale et puisent leurs sources dans la révélation divine et dans la sunna tout en s’inspirant des pratiques économiques et financières à l’époque du prophète Mahomet (PSL). La finance islamique, est selon de nombreux jurisconsultes et théologiens, basée sur l’interdiction de l’intérêt et la responsabilité sociale dans l’investissement. Elle lie plus étroitement la rentabilité financière d’un investissement aux résultats du projet concret associé. L’islam interdit les transactions tant civiles que commerciales faisant recours à l’intérêt (ribâ) ou à la spéculation (maysir). Cette  finance se chiffrerait aujourd’hui à plus de 2000 milliards de dollars US et plus de 40 millions de personnes à travers le monde seraient actuellement clientes d’une banque islamique. Selon des experts, ce secteur va encore doubler de volume d’ici à 2020, à plus de 4000 milliards de dollars.

 

Pour rappel, la finance islamique se présente comme une branche de l’économie islamique, visant à établir un nouvel ordre économique mondial conforme à l’islam. Le fondateur et principal théoricien de l’économie islamique est le théologien fondamentaliste pakistanais, Sayyid Abul Ala Maududi. Dans sa contribution principale, «The Economic Problem of Man And It’s Islamic Solution », il avance une troisième voie entre le capitalisme et le communisme visant à établir un ordre économique mondial plus juste. Pour cela, il défend qu’il est nécessaire de se conformer à la Loi révélée de l’islam et à la Charia. L’économie islamique est restée jusqu’ici en grande partie à un stade théorique. Deux courants de pensée s’y affrontent. L’un défend sa spécificité et son applicabilité tandis que l’autre critique l’absence d’une réelle alternative. L’une des réalisations majeures de l’économie islamique est le développement de la finance islamique.

 

Les principes de la Finance Islamique

Notons que dans chaque banque islamique, il y a ce que l’on appelle un « Sharia Board » composé d’érudits qui vérifient la conformité des opérations aux principes de la loi religieuse. L’intérêt est prohibé dans le Coran : «Le commerce est tout à fait comme l’usure Alors qu’Allah a rendu licite le commerce, et interdit l’usure.» (Coran 2:275). Afin d’expliciter ce verset, un hadith expose les règles du commerce légal. Ce hadith a une portée générale parce qu’il vise six produits dits « ribawi » : or, argent, blé, froment, dattes, sel. Tout échange de produit identique comme l’or contre l’or, le  blé contre le blé avec un avantage pour une personne constitue une opération interdite, sauf en ce qui concerne les avantages résultant de l’échange de produits de nature différente, or contre blé. En matière d’échanges de monnaie, tout surplus tiré d’une transaction non basée sur des actifs réels et préalablement possédés par le vendeur est illicite, c’est-à-dire, Haram. Entrent dans cette catégorie les contrats de prêt, comme les crédits bancaires, qu’il s’agisse des crédits à la consommation ou des crédits aux entreprises, ne respectant pas cette exigence. Pour rester dans la légalité islamique, les banques islamiques et les filiales islamiques des banques conventionnelles ont développé des mécanismes juridico-financiers pour contourner l’interdiction du prêt à intérêt (hiyal) et rémunérer l’apporteur de capitaux. Ces derniers se fondent sur des concepts nommés Moudaraba, mousharaka, Mourabaha, Ijora, l’Istisna, la Mousawama, le khard hassan et la zakat.

 

Les produits de la Finance Islamique : Ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas

La Mousharaka : est un contrat passé entre la Caisse et un client dans le but de contribuer au capital d’une entreprise,  donc au financement d’une activité ou d’un projet donné. Les profits générés sont partagés en conformité avec les termes de l’accord de Mousharaka, tandis que les pertes sont proportionnelles à la part de chaque partenaire dans le capital.

La Mourabaha : elle représente un contrat de vente au prix de revient majoré d’une marge bénéficiaire connue et convenue entre l’acheteur et le vendeur. Elle peut revêtir deux aspects. Celui d’une transaction directe entre un vendeur et un acheteur ; ou alors celui d’une transaction tripartite entre un acheteur final (ou donneur d’ordre d’achat), un premier vendeur (le fournisseur) et un vendeur intermédiaire (exécutant de l’ordre d’achat). Le paiement est réglé dans un délai convenu, soit en plusieurs versements ou en un paiement unique.
La Moudaraba : est un contrat de partenariat entre le capital et le travail, par exemple entre un ou plusieurs propriétaires de capitaux ou financiers et un entrepreneur ou gestionnaire de placements. Le profit est réparti entre les deux parties conformément à un ratio prédéterminé et convenu au moment du contrat. La perte financière est supportée uniquement par les financiers.

L’Istisna’a : il se présente sous la forme d’un contrat dans lequel un entrepreneur accepte de produire, puis de livrer à un prix donné et à une date future définie un actif bien décrit et qui doit être conforme aux spécifications déterminées. L’institution paye l’entrepreneur selon l’accord convenu, le sociétaire rembourse progressivement à l’institution le coût supporté plus une marge.

 

Les sukuk et les produits financiers assimilés : sont des titres représentant pour leur titulaire un titre de créances ou un prêt dont la rémunération et le capital sont indexés sur la performance d’un ou plusieurs actifs par l’émetteur. Ces actifs sont affectés au paiement de la rémunération et au remboursement des sukuk ou des produits assimilés.

En résumé, soulignons que la finance islamique est fondée sur cinq principes dont les interdictions portant sur la prise d’intérêt, sur l’incertitude liée aux spéculations et sur les actifs illicites comme l’alcool, les jeux de hasard ou le tabac, tous prohibés par la Charia. Elle repose sur le partage des pertes et profits, et l’existence d’un actif sous-jacent. Elle n’exige aucune garantie et se consacre exclusivement aux besoins du demandeur. De même, elle est tenue de fournir assistance et accompagnement au promoteur.

Ce qu’elle finance et ce qu’elle ne finance pas

Outre ces contrats, il existe des exigences quant à la nature de l’activité dans laquelle un investissement demeure conforme à la charia. Ainsi, les jeux de hasard, les activités en relation avec l’alcool, l’élevage porcin ou encore l’armement, l’industrie cinématographique pornographique suscitant ou suggérant la débauche ou la déchéance de l’être humain, constituent des secteurs d’investissement prohibés.

Il faut signaler que la supervision des investissements se déroule de deux manières. La première est d’ordre individuel dans le sens où tout musulman est censé ne pas investir ses fonds dans les industries non compatibles avec son éthique religieuse. La seconde est d’ordre institutionnel ou organisationnel puisque les banques et les fonds d’investissements islamiques sont composés, outre d’un conseil d’administration et d’une assemblée générale, d’un comité de supervision ou d’éthique (Sharia Board) dont les membres sont indépendants. Ainsi, les participations dans les sociétés évoluant dans les domaines illicites encourent une réprobation de ces comités.

 

Les similitudes entre la Finance Islamique et l’ancienne tradition chrétienne 

Dans son interdiction de prélever des intérêts, l’islam rappelle l’ancienne tradition chrétienne qui a été intégrée dans la théologie de Saint Thomas d’Aquin qui s’appuyait sur les enseignements d’Aristote selon lequel l’argent ne peut pas produire d’enfants. Le prélèvement d’intérêts est caractérisé comme un moyen injuste, déshonorant et contre nature d’accaparer le bien d’autrui. Mais depuis la Réforme protestante, par la voix de Jean Calvin en particulier, l’interdit du prêt à intérêt a été aboli progressivement dans les pays européens ou occidentaux. Chaque intérêt ou profit supplémentaire sur un capital emprunté est interdit. L’intérêt est seulement légitimé quand il y a une raison extérieure au crédit, par exemple un risque de perte de la somme prêtée.

 

La Mourabaha était également pratiquée en Occident au XVIIe siècle. Elle fut stigmatisée par Pascal parce que les jésuites casuistes la justifiaient. Plus récemment, dans son livre intitulé “Finance catholique”, Antoine Cuny de la Verryère présente sept principes financiers catholiques (“princificats”) dont certains sont inspirés des principes de la finance islamique: prohibition du court-termisme, prohibition des investissements non vertueux, obligation de privilégier l’épargne vertueuse, prohibition des profits injustes, obligation de partage des profits, obligation de transparence, obligation d’exemplarité financière.

Bien qu’un grand nombre de savants musulmans ait légiféré en rendant licite les activités bancaires islamiques, d’un point de vue théorique, certaines voix de la communauté musulmane s’y opposent. Il y a parmi ces dernières de grands savants reconnus tels que al-Albaniou Imran Hosein. En langue française, l’essayiste Souaréba Diaby Gassama a défendu une thèse dans laquelle il réfute tout caractère islamique à la finance islamique.

 

Les chiffres et l’état de la finance islamique à travers le monde

Un rapport daté de 2012 de la « Islamic Finance Working Group » (IFWG) de la « Toronto Financial Services Alliance », les actifs des 500 plus grandes banques islamiques dépassent désormais le milliard de dollars. Sur la dernière décennie, la finance islamique connait régulièrement une croissance annuelle à deux chiffres. Cependant, le poids global de la finance islamique ne dépasse guère le 1 % de la finance mondiale. Ce secteur est donc encore marginal mais avec une marge de progression énorme. Le principal centre de la finance islamique est la région du golfe Arabo-persique. Mais la Malaisie semble devenir le parangon de la finance islamique moderne avec : 14 banques islamiques et 8 fonds mutualistes tacafoul, le premier marché de cotation et d’émission de sukuks, 86 % des sociétés cotées garanties Sharia et une capitalisation boursière de 213 Mds $.

Alors que 25 % de la population mondiale est de confession musulmane, certains estiment que 40 à 50 % de leurs épargnes seront gérées par la finance islamique d’ici 8 à 10 ans, contre seulement 10 % en 2007.

 

La finance islamique en Europe

En Europe, c’est au Royaume-Uni que s’est développée la première industrie de la finance islamique. La législation britannique tient compte de la taxation des opérations de financement islamiques afin d’éviter un effet de double. Les montages de financements des banques islamiques sont généralement structurés de telle manière que plusieurs transferts de propriété sont nécessaires. Chaque transfert de propriété supposant un droit de mutation. L’autorité financière britannique « Financial Services Authority » (FSA) a facilité l’intégration de banques islamiques en Grande-Bretagne. Ainsi, en juin 2014, le Royaume-Uni est devenu le premier État, hors du monde musulman, à émettre des obligations souveraines conformes aux principes islamiques. En fin 2014, vingt banques islamiques existaient au Royaume-Uni et cumulaient un chiffre d’affaires évalué à 4,5 milliards de dollars, un total deux fois plus élevé qu’aux États-Unis. La City de Londres reste ainsi à la première place en Occident pour la finance islamique.

En France, le cadre juridique ne se prêtait pas aux montages de la finance islamique par la double taxation qui pouvait concerner la TVA, dans le cas de la vente de biens, le droit de mutation ou le droit d’enregistrement, dans le cas de cession de parts de SCI.

L’Institut français de finance islamique a été créé sous la présidence d’Hervé de Charette, ancien ministre des Affaires Étrangères et Président de la Chambre de commerce franco-arabe pour promouvoir la finance islamique en France.

Le premier compte compatible avec la charia est disponible à la Chaabi Bank, filiale de la Banque populaire du Maroc, depuis le 20 juin 2011.

Enfin en juillet 2012, le premier Sukuk Ijora et Mousharaka français a vu le jour pour le compte du cabinet de défiscalisation « Legendre Patrimoine certifié Chari’atiquement » également par le CIFIE. Les détenteurs de ces nouveaux sukuk seront copropriétaires d’un investissement dans des centrales photovoltaïques qui produiront de l’énergie renouvelable à EDF.

Pour conclure, nous disons que les instruments de la finance islamique sont essentiellement destinés à la lutte contre la pauvreté et le plus souvent sans obligation de contrepartie ou de remboursement. Vivement donc l’adoption dans notre pays d’un dispositif réglementaire afin d’encadrer la finance islamique et de favoriser son développement puisqu’il s’agit d’un système financier en plein épanouissement à travers le monde. Rappelons juste simplement à ce niveau que seul le candidat Soumaila Cissé, actuel Chef de file de l’opposition fut le seul à militer officiellement dans son projet de société pour l’émergence de la Finance Islamique au Mali.

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Encadré

Les principales banques islamiques à travers le monde :

Al Rajhi Bank (Arabie saoudite),

la Kuwait Finance House (Koweït)

la Dubaï Islamic Bank (Dubaï, Émirats arabes unis),

l’Abu Dhabi Islamic Bank (Abou Dabi, Émirats arabes unis),

la Bank Al Jazira (Arabie saoudite).

Al Baraka Bank (Algérie).

Meezan Bank (Pakistan).

Banque Zitouna (Tunisie).

Au Mali, nous avons la Caisse Islamique de Développement qui chercherait depuis auprès des autorités les agréments  nécessaires pour démarrer officiellement ses activités.

 

Dieudonné Tembely

tembely@journalinfosept.com

 

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