A l’instar de sa devancière, la finance islamique que nous avons précédemment traitée dans nos colonnes, notre livraison de ce jour porte sur la Finance catholique. La naissance de la Finance catholique plus récente est consécutive au lancement par l’agence de notation « Standard and Poor’s », le 19 août 2015, du produit intitulé « S&P 500 Catholic Values Index ». En l’absence de texte officiel, il convient, pour parler de Finance catholique, de se référer aux travaux de la doctrine dont le texte le plus récent est la Charte fondamentale de la finance d’éthique chrétienne. Espérons que nos politiques et banquiers se saisissent de la question autant qu’ils l’avaient fait pour la Finance islamique afin que notre pays puisse ouvrir ses premières banques de Finance catholique au bénéfice de nos compatriotes de cette religion. Eclairage inédit sur une Finance qui monte.
Historique
Bien que d’usage peu courant, la notion de «finance catholique» se réfère à des activités bancaires et financières dont l’apparition remonte pour certaines d’entre elles à plusieurs siècles. Qu’il s’agisse des activités de l’ordre du Temple de la période du XIIe et XIIIe siècles, des Monts-de-piété, apparus en 1462 ou de la Chambre Apostolique rattachée directement au Vatican. Un certain nombre d’opérations de nature bancaire comme le prêt d’argent, la garantie. Ces activités pouvaient être financières avec l’émission de titres de financement et de placements. Ceci est avéré, malgré la prohibition du prêt à intérêt et la méfiance de l’Église à l’encontre des activités d’échange, par opposition aux activités de production.
À l’époque contemporaine, si la finance catholique cléricale continue de faire régulièrement parler d’elle par le biais de la banque du Vatican (IOR), elle compte par ailleurs de nombreux acteurs financiers catholiques laïcs que ce soit en Allemagne avec Pax Bank, Liga Bank, DKM Darlehenskasse ou aux États-Unis d’Amérique avec Catholic Family Federal Credit Union, Holy Rosary Credit Union. D’autres acteurs chrétiens réformés existent comme par exemple la Christian Community Credit Union et la Kingdom Bank. En France, si l’Union générale se présentait ostensiblement comme un établissement de crédit catholique, aujourd’hui, la finance solidaire, finance éthique profane, semble s’être totalement substituée à la finance chrétienne avec le Crédit coopératif, les Caisses de crédit municipal. Néanmoins, au regard des principes éthiques mis en œuvre et de leur origine historiquement catholique, bon nombre d’acteurs de la finance solidaire peuvent être rattachés à la catégorie de la finance chrétienne.
Les principes de la finance catholique
Comme la finance islamique, la finance catholique prétend encadrer des opérations de nature bancaire et financière par des principes moraux directement issus de l’interprétation de la Bible et de la Doctrine de l’Église catholique romaine comme le « Traité des vertus et des vices » considéré comme la Doctrine sociale de l’Église. Aussi, depuis la crise financière des «subprimes», a-t-on constaté que le Conseil Pontifical, Justice et Paix, prenait de plus en plus de positions sur les sujets financiers. Ainsi, en juin 2013, il publiait une note intitulée “Postures chrétiennes face à la finance”.
Dans son livre intitulé “Finance catholique”, Antoine Cuny de la Verryère présente sept principes financiers catholiques à savoir: la prohibition du court-termisme, la prohibition des investissements non vertueux, l’obligation de privilégier l’épargne vertueuse, la prohibition des profits injustes, l’obligation de partage des profits, de transparence et d’exemplarité financières.
La finance chrétienne reprend les principaux objectifs de la finance de l’Investissement Socialement Responsable, ISR. Ses objectifs sont la protection de la biodiversité, la défense des libertés fondamentales, la bonne gouvernance. Cette finance se confond souvent avec la finance solidaire et reconnaît comme vertueux le partage des revenus de l’épargne avec une association ou fondation, et l’investissement dans des entreprises solidaires, notamment pour aider les personnes fragiles. Ce qui inclut la protection de l’enfance, la réinsertion des personnes en difficulté, l’aide à l’éducation, la lutte contre l’illettrisme, l’aide aux plus démunis, et l’aide aux personnes souffrant d’un handicap mental ou physique. En plus, et c’est sa principale spécificité, la finance chrétienne applique des critères éthiques religieux. Ses principes fondateurs en réfèrent aux textes bibliques et à la doctrine de l’Église, comme par exemple, les vertus de charité, force, prudence et tempérance. La finance éthique chrétienne, telle que décrite par la Charte fondamentale de la finance éthique chrétienne, revendique également une part œcuménique et interconfessionnelle. Elle se veut fondamentalement inclusive et repose sur le libre arbitre.
Par ailleurs, à un niveau plus pratique, la Charte distingue entre des objectifs positifs, comme la vertueuse et des objectifs négatifs. Sont présumés être positifs la protection de la vie, le développement «de tout homme et de tout l’homme». À l’inverse, sont présumés négatifs les investissements favorisant la marchandisation de l’être humain, la promotion de l’infidélité, les manipulations génétiques sur le corps humain à des fins autres que thérapeutiques.
À noter que les techniques financières sont expressément visées. Ainsi, sont considérés comme non vertueux inter alia : l’endettement excessif, le recours aux sociétés écrans et aux mécanismes juridiques de déresponsabilisation des personnes physiques. Il y a aussi le financement excessif des multinationales au détriment des petites entreprises, la spéculation à l’origine de l’instabilité financière ou de la rupture de l’accès aux ressources. La finance chrétienne se présente fréquemment comme l’anti modèle d’une certaine finance ultralibérale.
Les produits financiers chrétiens
Selon l’article 1er de la Charte fondamentale de la finance éthique chrétienne, «doivent être identifiés comme faisant partie du domaine de la finance éthique chrétienne, l’ensemble des acteurs, activités, produits, comportements, concepts et organisations, relevant du secteur bancaire, financier ou assuranciel, respectueux des principes fondamentaux». Or, une analyse de ces principes prouve, tout d’abord, que la finance chrétienne est une finance éthique qui cumule, à la fois, les critères de la finance durable à savoir la finance d’Investissement Socialement Responsable et ceux de la finance solidaire. En outre, elle ajoute d’autres critères éthiques spécifiques à la religion chrétienne.
Indiquons aussi que la finance catholique, pour sa part, est un sous-genre de la finance chrétienne au même titre que la «finance protestante» ou l’éventuelle «finance orthodoxe». Elle se caractérise par des critères éthiques alignés sur la doctrine sociale de l’Église catholique romaine. Si certaines opérations financières ont été explicitement condamnées parce qu’elles contournaient la prohibition de l’usure comme le contrat mohatra, les opérations de banque catholiques contemporaines se caractérisent surtout par leur recherche de solidarité et la répartition des bénéfices au profit des plus démunis. Par exemple, la Liga Bank propose des cartes de paiement dont les commissions sont reversées à des associations caritatives de soutien à l’enfance.
Développement de la finance catholique
Plusieurs acteurs financiers chrétiens sont apparus en France à la suite de la création du fonds Proclero et de la publication du livre Finance Catholique en juillet 2013, notamment la plateforme de financement participatif Credofunding ou celle des Projets Rosalie et la société de conseil en investissement, le Cèdre finance éthique. L’été 2015 voit l’avènement de la finance chrétienne en France. Jusqu’au lancement par Standard & Poor’s (S&P) du produit “S&P 500 Catholic Values Index”. Les concepts “finance catholique” et “finance chrétienne” étaient très controversés en France. Les principales critiques redoutaient une confusion entre l’Église et les pratiques financières. Néanmoins, le lancement du produit par S&P a permis de consacrer publiquement les concepts. L’association internationale à but non lucratif nommée Observatoire de la Finance Chrétienne publie en août 2015 une Charte Fondamentale de la Finance Éthique Chrétienne en plusieurs langues comme le français, l’anglais, l’italien et le russe. Sa commission de notation Excelsis, regroupant des professionnels de la finance de plusieurs nationalités, attribue la note B- au produit “S&P 500 Catholic Values Index”. Le volume des investissements des banques chrétiennes allemandes s’est sensiblement accru entre les années 2005-2012 pour atteindre les 15 milliards d’euros.
Finance orthodoxe
Il faut souligner qu’un groupe d’hommes d’affaires auraient commencé à travailler en décembre 2014 à la création d’une banque orthodoxe et d’un fonds d’investissement, inspiré des institutions bancaires islamiques. L’archiprêtre Vsevolod Chaplin aurait bien accueilli le projet car il permettrait de pallier les mécanismes usuraires. Annoncé en plein cœur de la crise du Rouble et dans le contexte des tensions entre russes et occidentaux au sujet de l’Ukraine, ce projet, aurait, pour certains analystes, une dimension politique. Il serait une façon de faire reposer sur le système financier occidental les difficultés économiques et financières que traverse la Russie.
Dieudonné Tembely