Tariq Ramadan est une forte personnalité du monde musulman dont la parole compte dans les milieux religieux (musulman et chrétien) et qui draine des milliers de personnes au cours de ses conférences. C’est un professeur d’université suisse, d’origine égyptienne. Son œuvre s’articule autour d’une réflexion théologique et philosophique en lien avec la religion musulmane, les spiritualités et les différentes philosophies. Il participe à divers groupes de travail se rapportant à l’islam, à la théologie, à l’éthique et au dialogue inter religieux. Présent au Mali dans le cadre du colloque des musulmans des pays francophones, Tariq Ramadan a au détour d’un entretien, indiqué concernant la bande sahélo saharienne qu’il faut une meilleure coordination des Etats et une vraie politique éducative à la base pour contrer les salafistes. Pour lui, ce ne sont pas les jeunes manipulés par les salafistes qu’il faut viser, plutôt les têtes pensantes qui sont derrière eux. Il ajoute que la voie des armes n’est pas la meilleure des solutions mais une véritable bataille pédagogique.
L’Indépendant : vous êtes à Bamako dans le cadre du 6ème colloque international des musulmans francophones autour du thème " l’islam face aux défis actuels ". Quels peuvent être, selon vous, les défis actuels de l’islam ?
Tariq Ramadan : Le thème a été bien choisi par le Haut conseil islamique du Mali. Nous sommes des musulmanes et des musulmans. De par le monde, il y a des regards qui sont portés sur nous. Beaucoup de choses sont dites sur l’islam. Une perception négative de l’islam est là et s’est davantage développée et raffermie. Notre idée, ce n’est pas de nous constituer en victimes de tout ce qui nous arrive mais de relever le leadership et d’y faire face. Ce n’est pas de regarder envers les autres et d’attendre d’eux quelque chose. Il faut que nous devenions les sujets de notre histoire, que nous nous réveillions et prenions en main notre destin de musulman. Il y a aussi des défis quant à la diversité parmi les musulmans, où il faut que nous apprenions, à nous respecter beaucoup plus, à nous accepter. Il y a des défis de la pauvreté, de la justice. Il y a des défis des relations internationales, de l’immigration, surtout, pour ceux qui viennent de l’Afrique. Pendant le colloque nous allons aborder la plupart de ces sujets. Ce genre de rencontre est l’occasion pour nous musulmans de nous donner la main, d’aller vers des choses concrètes et d’établir des relations entre les hommes et les femmes de l’espace francophone.
L’Ind: Quel peut être le comportement d’un musulman dans un monde où on a une mauvaise perception de l’islam et où certains principes de l’islam sont rejetés ?
TR : D’abord il ne faut jamais enfreindre les lois partout où on se trouve. Il ne faut jamais se positionner par rapport au regard des gens mais se positionner par rapport à nos principes. Il y a une formule dans le Coran qui dit " une parole de bien est comme un arbre de bien ". Un arbre faible n’a pas de force en lui, il est sujet à tout ce qu’on dit de lui. Ce qui veut dire qu’il faut s’éloigner de tout ce qu’on dit de l’islam et revenir à ce qu’on est. Le fidèle doit être dans la connaissance de ce que dit l’islam. Plus on a de la connaissance, mieux on est bien outillé et on est en sécurité et on sait à quoi s’en tenir. La deuxième chose est que le musulman doit être fidèle à ses principes que sont les principes de connaissance et de contribution. C’est-à-dire qu’est ce que moi, le musulman, peut apporter au monde en terme de contribution. Les trois éléments, la connaissance, la cohérence et la contribution sont les trois principes à partir desquels tout musulman doit travailler.
L’Ind : Quels peuvent être les droits et les devoirs d’un musulman dans un Etat laïc où trop souvent les lois adoptées contrastent avec sa religion ?
TR : J’ai eu à le dire il y a 25 à 30 ans et je ne me lasserais pas de le dire, à savoir que quand on est dans un pays, on respecte les lois du pays tant que ces lois ne vous demandent pas de faire quelque chose contre votre religion. Que ce soit en France, au Mali et dans n’importe quel autre pays du monde, tant qu’on ne vous empêche pas de prier, de jeûner, d’avoir des libertés fondamentales, le musulman est tenu de se conformer aux lois en vigueur. Mais ne perdons pas de vue qu’il y a aussi des restrictions qui sont souvent là et qui portent sur des choses secondaires. Lorsque de tel cas arrive, les musulmans doivent faire le lien entre ce qui est prioritaire et ce qui est secondaire dans la tradition musulmane et ne pas se battre pour les secondaires en oubliant que nous avons des choses prioritaires. Que sont-elles les choses prioritaires que doit posséder tout musulman dans un Etat laïc ? Il faut une bonne connaissance de sa religion, une bonne compréhension de la laïcité du pays où on se trouve. J’insiste énormément sur ce sujet, il faut respecter les lois du pays.
L’Ind : Nous vivons dans une région où la menace des salafistes est plus que réelle et ces bandits armés se servent souvent de l’islam pour frapper. Quelle peut être la contribution de l’islam pour contrer ces bandits ?
TR : Les salafistes sont des gens qui sont dans la compréhension de l’islam d’un extrémisme violent. Ils sont violents parce qu’ils tuent. Ils sont extrémistes parce qu’ils ont une lecture de l’islam qui est complètement extérieure à l’islam. Tuez les gens par plaisir de tuer est un acte condamnable. Il faut que tous les Etats, comme l’a suggéré à l’ouverture du colloque le président de la République du Mali Amadou Toumani Touré, aient une meilleure coordination. Une meilleure coordination non pas en terme sécuritaire seulement. Parce que le constat est de plus en plus établi que tuer n’est pas souvent une solution à cette crise. Plus on tue, plus d’autres sont recrutés aussitôt. C’est vous dire que tuer n’est pas la solution. Il faut une vraie politique éducative, une politique réelle à la base. Ces jeunes qu’on fait recruter qui sont-ils ? Ce sont au départ des jeunes gens très sincères qui ne comprennent rien, qui ne savent rien de ce qui les attend et qui n’ont aucune compréhension politique. Ils sont une proie facile manipulée par d’autres gens qui sont derrière, tapis dans l’ombre. Attention, ceux qui sont derrière ne sont pas sincères, ils n’ont pas de religion. Ils utilisent les plus jeunes pour trahir l’islam, pour trahir les musulmans. Celui qui fait le trafic de drogue, d’armes et, qui plonge dans la corruption et qui tue, ne fait pas de l’islam. Je condamne vivement cette orientation et dit aux Etats de la région que la réponse sécuritaire par les armes, ne peut pas être la seule réponse à la mauvaise compréhension de l’islam, ça ne peut pas non plus être une vraie réponse à la manipulation politique exercée sur les jeunes. Il faut à ces Etats un travail d’éducation, un vrai encadrement. Cela n’est pas du ressort d’un seul pays mais de l’ensemble des Etats. Quand on a en face de soi des jeunes sincères mais manipulés, ce n’est pas sur eux qu’il faut tirer mais les opérateurs. Ce que nous devons atteindre, ce sont les manipulateurs et non les exécutants. Si on veut mettre un terme à la violence extrémiste, ce sont surtout les têtes pensantes qu’il faut viser.
Interview réalisée par Abdoulaye DIARRA