Religion et politique : « Réguler les religions ou non, le dilemme de l’Etat malien » selon Crisis Group

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Des leaders religieux du Mali (photo archives)

Dans son dernier rapport publié vers la mi-juillet 2017, l’ONG International Crisis Group, pointe du doigt la montée en puissance des religieux dans la vie politique malienne. Intitulé «Islam et politique au Mali : entre réalité et fiction », ce rapport de 31 pages propose des pistes sur lesquels les religieux peuvent être un facteur de régulateur dans la vie publique.

Ce rapport,  après un rappel des liens historiques étroits entre islam et pouvoir politique au Mali, indique que le paysage musulman malien est marqué par une grande diversité et des rivalités idéologiques et personnelles. «Quelques figures très charismatiques occupent la majeure partie de l’espace religieux national. Il s’agit du président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), Mahmoud Dicko, du très populaire fondateur de l’association Ançar Dine, Chérif Ousmane Madani Haïdara, et du chérif de Nioro, Mohamed Ould Cheichnè dit Bouyé » note le rapport. Les experts de Crisis Group affirment aussi que le plus populaire à Bamako est sans doute Haïdara, qui peut mobiliser des dizaines de milliers de personnes. Mais Dicko, qui a montré sa capacité de rassemblement lors de la contestation contre le code de la famille à la fin des années 2000, maitrise mieux le système politique et les rouages de l’Etat. L’influence du chérif de Nioro repose sur sa légitimité historique et son pouvoir économique. En plus, notons qu’il existe de nombreux autres prédicateurs et imams influents, à Bamako et en régions, à l’instar de feu Soufi Adama ou de Cheikh Soufi Bilal. Ce rapport souligne que plusieurs mouvements, certains importants, d’autres minoritaires, tels que le Tabligh (aussi appelé Dawa), les chiites ou la secte des Pieds nus, nourrissent la complexité du paysage religieux malien.

L’islam, une force politique ? Mythe et réalité ?

Depuis le début des années 2000, plusieurs épisodes suggèrent une influence grandissante du religieux sur la scène politique. Un tournant majeur est l’adoption du code de la famille en 2009, lorsque la contestation organisée par les religieux contre une réforme dénoncée comme contraire à ce qu’ils appellent les « valeurs maliennes » fait reculer le gouvernement.  Le rapport note que l’élection présidentielle de 2013 consacre ensuite l’implication directe de responsables religieux dans le processus politique, à travers la création de Sabati 2012, un mouvement proche du Haut Conseil islamique, qui prend position en faveur d’Ibrahim Boubacar Keïta. «Des responsables musulmans donnent des consignes de vote, tandis que des mosquées deviennent des lieux de campagne électorale » peut-on lire dans le rapport. En outre, souligne le document, « les observateurs, occidentaux comme maliens, affirment que le pouvoir a une dette envers les religieux puisqu’ils ont mobilisé, avec succès, l’électorat ». L’influence des religieux semble avoir progressé sous le régime actuel. Fin novembre 2015, le gouvernement tente par exemple d’interdire les célébrations du Maouloud organisées par Haïdara en raison de l’état d’urgence, mais cède face au refus d’Haïdara d’obtempérer. L’année suivante, le président IBK participe à la cérémonie du Maouloud organisée par Haïdara.

Egalement, lors d’un rassemblement fin février 2017, l’imam Mahmoud Dicko dénonce la promesse faite par le ministre de la Justice d’adopter une loi criminalisant l’excision. Face à cette mise en garde, le ministre se rétracte, affirmant que la loi traitera des violences conjugales et non de l’excision.

Les responsables musulmans s’impliquent dans la vie politique à divers degrés et avec différents objectifs. Dans ce rapport, on remarque qu’ils s’expriment sur les grands débats qui agitent la société, qu’il s’agisse de l’excision, de la bonne gouvernance ou de la présence des forces internationales. Ils ne s’empêchent pas de critiquer les dirigeants lorsqu’ils l’estiment nécessaire. Parfois, ils vont plus loin en prenant position et faisant campagne pour un candidat. Enfin, une minorité d’entre eux s’est présentée aux élections et a obtenu des mandats de députés et d’élus locaux. Par exemple, en 2013, N’doula Thiam, membre du Cercle de réflexion et de formation islamique (CERFIM), est élu député au nom d’une alliance entre Sabati et le parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali (RPM). Jalil Mansour Haïdara, élu député de Ségou sur une liste conjointe Sabati-RPM, est un chef religieux appartenant à la même famille que le président du Haut Conseil islamique de la région de Ségou. De même, des disciples d’Haïdara remportent les circonscriptions de Barouéli et Banamba. Dans ce document du Crisis Group, les responsables musulmans avancent plusieurs arguments pour justifier leur implication dans la vie politique. Ils affirment que le politique ayant pour objectif de gouverner la société, ils ont « leur mot à dire » puisqu’ils sont les gardiens des « valeurs maliennes », citant l’exemple du code de la famille. Certains soulignent également la crise qui prévaut au Mali, la mauvaise gouvernance et la faillite de la politique, ajoutant qu’en « temps normal » ils gardent une réserve par rapport au champ politique. Un religieux affirme qu’il ne serait «« pas responsable de se désintéresser de la politique, surtout étant donné la crise à dimension spirituelle que connait le Mali depuis 2012 ».

Réguler la sphère religieuse, un dilemme

Devant l’implication de plus en plus grande des responsables religieux dans la vie politique malienne, l’État hésite à prendre en main l’organisation des religions. Ainsi, la plupart des interlocuteurs de Crisis Group, comme les responsables religieux de courants opposés, les hommes politiques et les représentants de la société civile, déplorent le manque d’organisation de la sphère religieuse et soulignent la nécessité de régulation. Un responsable religieux affirme par exemple que « l’Etat laisse tout le monde faire ce qu’il veut », un autre parle de « laxisme », tandis qu’un fonctionnaire évoque « une négligence coupable de l’Etat ». Un imam, quant à lui, s’inquiète du fait que « les Etats n’ont pas conscience du danger si on n’encadre pas la religion ». Des interlocuteurs mentionnent même avec une pointe de nostalgie la dictature de Moussa Traoré, lorsque l’Etat était fort. Dans leur grande majorité, les responsables politiques et religieux rencontrés par Crisis Group déplorent le manque de formation des imams et prêcheurs maliens. Ils affirment que le manque de compétences et l’absence de critères pour accéder à l’imamat risquent de favoriser les discours haineux ou intolérants. Un ministre affirme que « certains prêcheurs font n’importe quoi », tandis qu’un professeur déplore le fait que « tout le monde est devenu imam ou prêcheur ». Un autre imam affirme que si des « critères minimum » de compétences étaient établis, « plus de 80% des imams ne les rempliraient pas ». Un membre de la Haute Autorité de la communication (HAC) emploie l’expression « pleine pagaille » pour décrire la situation des médias confessionnels.

Mais, la régulation de la sphère religieuse par l’Etat comporte des risques. Non seulement l’Etat malien est discrédité en raison de son incapacité à fournir des services de base, mais il est régulièrement perçu comme étant à la solde de l’Occident. Et cela du fait de sa dépendance envers l’aide au développement et de la pression de certains partenaires pour promouvoir leurs agendas. Une immixtion de l’Etat dans le champ religieux pourrait ainsi être perçue comme une nouvelle attaque de l’Occident contre les valeurs maliennes. Pour ce rapport, empêcher un responsable religieux de construire sa mosquée, censurer ses prêches ou fermer sa radio pourrait renforcer sa popularité et plomber davantage l’autorité de l’Etat. Un responsable musulman donne le document un exemple : «lorsque le préfet d’une localité a tenté de dissuader des individus de construire une mosquée car ils n’avaient pas obtenu de permis, ceux-ci ont répondu que la banque et le bar de l’autre côté de la rue n’avaient pas non plus d’autorisation pour exercer des activités commerciales, et qu’ils n’étaient pas inquiétés pour autant ». De plus, la régulation de la sphère religieuse risque de discréditer la religion officielle plutôt que de légitimer l’Etat. Le résultat serait  l’émergence d’une religion informelle, qui prendrait le contrepied du discours que l’Etat cherche à imposer. Etant donné la diversité de l’islam au Mali, il serait contre-productif de privilégier un courant par rapport à un autre et de créer un islam officiel.

Une régulation à minima

Le rapport indique que «si l’Etat prend la décision de réguler la sphère religieuse, le mieux serait qu’il le fasse à minima et de manière concertée ». Interrogés sur le rôle de l’Etat en matière religieuse, plusieurs responsables religieux soulignent que l’ « Etat ne fait rien pour nous » : il ne finance pas la construction de lieux de culte, la formation ni la rémunération des imams, et s’intéresse peu à l’enseignement islamique. Or, si l’Etat n’aide pas le culte à s’organiser, il ne peut aspirer à le réguler. En ce sens, l’Etat serait mieux avisé d’accompagner les mesures prises par les responsables musulmans et de privilégier le partenariat avec eux. Les chercheurs de Crisis Group préconisent donc une « régulation a minima et de manière concertée » avec les responsables religieux maliens, qui peuvent constituer une « une force stabilisatrice » du pays.

«La redéfinition des rapports entre politique et religion constitue un des enjeux de la reconstruction de l’Etat malien. Trouver la juste place du religieux dans une société malienne diverse et face à un Etat faible est un défi considérable. Mais s’il souhaite instaurer un minimum d’organisation au sein de la sphère religieuse, l’Etat doit être conscient de ses limites et le faire avec prudence, à minima, en plaçant les responsables musulmans au cœur de la démarche. La régulation de propos haineux ou intolérants, ainsi que la formation des imams, sont deux domaines qui font consensus. Les responsables religieux, quant à eux, jouent un rôle important de régulation sociale : ils peuvent être l’interface entre l’Etat et les populations, contribuer à la résolution des conflits et dénoncer les dangers lorsqu’ils estiment que les dirigeants font fausse route » conclut le rapport.

Dieudonné Tembely

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1 commentaire

  1. Normalement les religions ne doivent pas interférer dans les affaires d’un état laïque. Comme les Sérès, on doit aller dans une école laïque avec tous, comme tout à chacun et pas faire dans le communautarisme!

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