Le Centre Djoliba a servi de cadre, samedi 14 novembre 2020, à la restitution de l’étude sur la contribution des religieux au vivre ensemble.
L’étude réalisée par les prêtres Jésuites, Bérilengar Dathol et Dabiré Danikou Nestor, avec Haïdara Ibrahim, sous la coordination de Pr. Pascal Valentin Houenou, Directeur de l’antenne de l’IAM de Côte d’Ivoire, est financée par l’Association of Master Chin Kung’s friends at Unesco.
Selon les résultats de l’enquête, il y a une unanimité pour reconnaitre que les valeurs traditionnelles et pratiques sociales maliennes ont favorisé et participent encore aujourd’hui au maintien de la cohésion sociale. Ne dit-on pas simplement au Mali, dans plusieurs milieux « que le noir est né avant la religion » ? La plupart des enquêtés, âgés de 60 ans, évoquent avec nostalgie le système éducatif traditionnel dans les différentes cultures maliennes à travers les rites initiatiques dont l’objectif étaient de former l’homme pour une vie harmonieuse dans la société en lien avec son environnement.
« Chez les Bambaras par exemple, commente un retraité, l’initiation faisait entrer dans une fraternité sociale par laquelle on parcourait 6 étapes au bout desquelles d’autres liens que familiaux et lignagers naissaient entre ses membres. Ces liens pouvaient ensuite être utilisés pour apaiser tous conflits ou favoriser toute négociation». En effet, le terme de chaque initiation était « l’accouchement d’une nouvelle promotion sociale et humaine » dont les membres s’engagent à vivre unis autour des valeurs fondamentales acquises. L’initiation est donc un processus d’intégration sociale et d’acquisition des valeurs fondamentales.
Il existe traditionnellement des agents pacificateurs de par la fonction sociale qu’ils assument dans la société malienne. Les gens « de caste » jouent un rôle important dans la prévention des conflits, par les conseils et gestion des conflits, par leurs interventions diverses. On note les Djambé et Doubé chez les Dogons dans la région de Mopti ; les Niamakala qui regroupent : les forgerons (numu), les griots (djeli), les cordonniers (garankè) et les tisserands (finah chez les Bambaras, Mabo chez les peulhs et Bara koy chez les Sonrhaïs).
La fonction du forgeron par exemple, relève du sacré, de la vie, car de la forge est référée l’origine cosmique. Le forgeron est important dans la résolution des conflits entre deux partis. Un enquêté, connaisseur des traditions, illustre qu’en cas de « conflits entre deux personnes ou groupes, quelle que soit sa gravité, si le forgeron jette ses outils de forge entre eux, les deux partis doivent obligatoirement accepter la paix».
Les griots, communicateurs traditionnels, sont les dépositaires des secrets et de l’histoire de la société. Maitres de la parole, ils jouent un rôle de conseiller des chefs, de médiateur et de pacificateur, garants des liens familiaux en même tant que dans la société en générale.
Ce sont les modérateurs sociaux et peuvent être artistes musiciens. Ils sont garant de l’harmonie des rapports sociaux. Ceci corrobore les recherches de Bakary Camara : « artiste de la parole, la catégorie gnamakala Djéli (y compris les femmes) crée des chansons et poèmes à chaque événement important de la vie sociale. Leurs messages sont entendus par le peuple parce que délivrés dans la langue du peuple. Ces messages sont chantés pour éduquer, encourager, avertir, critiquer au besoin et construire la nation. Les tâches, enfin, qui reviennent aux gnamakala consistent à prévenir et gérer les conflits et à garantir la paix sociale ».
Le grin et les espaces de socialisation
Dans l’espace social malien, dans les villages comme dans les grandes villes, existent des groupes rassemblant des personnes sous le nom de « grin ». Issus des traditions, ces espaces portaient le nom bambara barodà (littéralement « le lieu de causerie »), là où, chaque soir, on venait causer avec ses camarades d’âge. L’époque coloniale aurait créé le mot grin en le substituant au mot bambara. « Le grin est un groupe de jeunes d’un même village ou même quartier, d’une même classe d’âge se réunissant régulièrement pour discuter de sujets politiques, de société ou de simples badinages. À l’origine, il réunissait les garçons ayant subi certains rites (circoncision surtout) au même moment ; ces groupes étaient censés renforcer la cohésion sociale. Aujourd’hui de nombreux grins sont mixtes, et on a aussi des grins regroupant uniquement des femmes, des hommes d’affaires, des retraités… ».
Un peu plus de 98% des enquêtés reconnaissent l’importance des valeurs traditionnelles et leur rôle de cohésion sociale. La conférence épiscopale malienne (CEM) dans une prière composée pour la paix au Mali, liste une série de valeurs dites ancestrales sensées caractériser l’identité malienne. Il y est question notamment de la fraternité, la solidarité, l’humanisme, l’hospitalité, la compassion, le sinankunya, le sens du pardon, de la paix, de la non-violence du respect de la vie, de l’environnement et de toute croyance.
« Nous relevons quatre valeurs qui ont été régulièrement mentionnées dans les entretiens, le Sinakunya, le voisinage, la valeur des symboles et la famille ».
Avec ces éléments socio-culturels, le Mali a en pratique tous les atouts pour prévenir les conflits, les résorber ou mieux les gérer. Malheureusement les conflits fusent de toute part au risque de mettre en cause le vivre ensemble. Ils se manifestent sur les plans socio-politiques, à travers des revendications d’autonomie régionale et conflits armés, des conflits intercommunautaires, les contestations et revendications, les conflits intra et inter religieux.
« En définitive, l’étude a montré qu’il existe des initiatives pour la construction du vivre ensemble, portées par des leaders religieux et traditionnels qui ont un impact réel sur la vie socio-politique. Pour que ces initiatives soient davantage porteuses de résultats, trois recommandations émergent après l’étude.
Les chances de la paix
Éduquer au vivre ensemble par l’élaboration d’un programme de formation (aux valeurs) et sa mise en pratique dans les écoles privées par des ateliers/séminaires de formation.
Former au leadership dans le domaine de la paix les leaders religieux et traditionnels (imams, formateurs, prêtres…)
Institutionnaliser une journée nationale du vivre-ensemble : il s’agit, dans un premier temps, de procéder à une étude de faisabilité ».
Pour leur part, le Cardinal Jean Zerbo, le pasteur Kalane Djibril et l’Imam Traoré ont salué le travail accompli. Ils diront que, nous avons toujours vécu dans l’harmonie et nous devons chercher à l’améliorer. « Toutefois, nous devons veiller à ce que cette étude ne soit gardée dans les tiroirs », préviennent-ils.
Créée en 2013 à Paris, l’institut Afrique monde est une organisation non gouvernementale, un laboratoire d’idée libre, indépendant et apolitique qui vise à contribuer par la réflexion, l’échange, les études et les débats à la reconnaissance du potentiel de l’Afrique pour qu’elle prenne sa juste place dans le monde.
Ibrahima Ndiaye